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Michel Cicurel (La Maison) : « Pour mobiliser efficacement l’épargne dormante, il faut que l’Etat se fasse garant »


Ancien élève de l’ENA et ancien directeur de cabinet du directeur du Trésor, Michel Cicurel est économiste, essayiste et fondateur du fonds d’investissement La Maison. Il revient dans cet entretien sur l’urgence politique qu’il y a à encourager les classes moyennes à investir leur épargne dans les transitions stratégiques de...

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Ancien élève de l’ENA et ancien directeur de cabinet du directeur du Trésor, Michel Cicurel est économiste, essayiste et fondateur du fonds d’investissement La Maison. Il revient dans cet entretien sur l’urgence politique qu’il y a à encourager les classes moyennes à investir leur épargne dans les transitions stratégiques de l’avenir.

Quelles sont les habitudes d’investissement des classes moyennes françaises ?

Les classes moyennes en France, ce sont les personnes qui gagnent entre 20 000 et 30 000 euros de revenus annuels et détiennent entre 200 000 et 300 000 euros de patrimoine net de dette ; c’est-à-dire la tranche qui se situe entre les 30% les plus modestes et les 20% les plus riches. Elles représentent donc la moitié de la population française ! Or il convient de rappeler que d’une part les Français aiment épargner – en moyenne 15% de leurs revenus disponibles bruts sont mis de côté chaque année –, et d’autre part qu’ils ont une propension très faible à investir dans des produits financiers à hauts rendements, qui restent la chasse gardée des ménages les plus riches. Cela s’explique par la crainte légitime de ne pas pouvoir assumer les risques financiers liés à ce type de produits et une méconnaissance des méthodes et des possibilités d’investissement. Par conséquent, cette épargne des classes moyennes est essentiellement investie dans l’immobilier à crédit et des produits qui ne rapportent rien ou presque, comme les livrets A ou l’assurance-vie. Un argent sans risque est un argent sans rendements. Et dans le contexte inflationniste actuel, cet argent ne fait pas que dormir, il meurt…

Vous parlez d’un risque de « prolétarisation » des classes moyennes. Pourquoi ?

Il suffit d’observer le mouvement des Gilets jaunes, les protestations contre la réforme des retraites ou encore les succès politiques des partis populistes pour se convaincre que les classes moyennes éprouvent un sentiment de déclassement et d’exclusion très prononcé. Emmanuel Macron a lui-même désigné les classes moyennes comme « la France de l’angle mort », c’est-à-dire ceux qui sont « trop riches pour être aidés, mais pas assez pour bien vivre ». Sur ce point, il a parfaitement raison. Les classes moyennes sont le principal contributeur de l’Etat-Providence et pourtant elles ont peur de la fin du mois. D’un point de vue financier, elles sont surchargées d’impôt et font face à un marché de l’immobilier de plus en plus inaccessible, tandis que les produits sans risques dans lesquels elles investissent sont de moins en moins rentables. Les écarts de gains entre classes aisées et classes moyennes vont donc croissant et alimentent d’autant plus ce clivage entre France périphérique et France des métropoles que décrit Christophe Guilluy depuis 20 ans.

Et que dire de notre régime de retraites par répartition à bout de souffle, qui ne peut survivre au changement de visage démographique de la France, peu importe l’âge du départ ? En 2030, il y aura en France un actif pour un retraité, ce dernier vivant en moyenne dix ans de plus qu’en 1946, lors de la création de ce système. Dans mon livre La Génération inoxydable, publié il y a 35 ans, je disais déjà qu’il fallait proposer aux classes moyennes de financer leurs retraites par des compléments d’épargne plus rentables que l’immobilier ou le livret A. C’est vers ce genre de solutions que l’exécutif doit résolument engager les politiques publiques, parce qu’il serait folie aujourd’hui de réduire les dépenses redistributives tant que les classes moyennes n’ont pas touché les bénéfices d’une reprise de la croissance et de la hausse du pouvoir d’achat.

Justement, vous préconisez souvent une solution structurelle qui engagerait le passage d’un « État dépensier » à un « État garant ». De quoi s’agit-il ?

C’est à mon sens une solution à la fois simple et réaliste qui nous permettrait de trouver une voie de sortie du triangle infernal dans lequel nous nous trouvons. Je veux parler de la dégradation des finances publiques et du poids de la dette qui gangrènent notre Etat-Providence, du désespoir de nos classes moyennes pour les raisons que j’ai évoquées et enfin de l’urgence absolue d’investir dans les transitions énergétique, numérique ou encore sanitaire sur lesquelles reposent notre avenir collectif. Pour le dire simplement, l’État dépensier français est exsangue et fait face à des besoins colossaux de financement pour relever les grands défis de l’avenir : vieillissement de la population, sécurité sanitaire et migratoire, protection de l’environnement et transition numérique, soutien de la croissance économique et réindustrialisation…

Substituer l’État garant à l’État dépensier, c’est mobiliser efficacement l’épargne dormante de la classe moyenne en lui proposant des rendements élevés et moins risqués sur des portefeuilles diversifiés. C’est encore intéresser la classe moyenne à la création de valeur des entreprises en orientant les intérêts individuels vers l’investissement dans des secteurs d’avenir comme la Tech. Concrètement, en garantissant les investissements à forts rendements, par exemple jusqu’à concurrence d’un plafond de 75 000 euros, sans le moindre coût dans la durée. La solution de l’État garant est donc un levier pour activer une masse d’épargne existante (35 000 milliards d’épargne de précaution en Europe), sans hausse significative des dépenses publiques et pour le plus grand intérêt des classes moyennes et de l’avenir de notre pays.

En quoi le passage à un État garant permettrait à la France de devenir cette “grande nation technologique” et de rester dans la course mondiale face à la Chine et aux États-Unis ?

Je crois que pour rattraper son retard technologique sur la Chine et les États-Unis, l’Europe ne manque pas de cerveaux ou de formation mais d’argent. Les vaccins qui ont mis un terme à la pandémie de Covid-19 ont été conçus en France et en Allemagne mais financés et produits en Amérique… Les nombreuses start-ups technologiques lancées en France à coups de millions d’euros de levées de fonds… sont transformées en licornes dans la Silicon Valley à coups de milliards de dollars. Pour caricaturer, ce qui manque à la France et à l’Europe, ce sont les capacités de financement des fonds de pension américains. On parle d’un manque de mille milliards d’investissement pour combler l’écart qui se creuse ! Puisqu’il n’est pas question d’alourdir le fardeau de la dette et qu’on ne peut pas compter sur les finances publiques déjà très déficitaires, le passage à un État garant permettrait de tirer parti des imposantes capacités de l’épargne française – et européenne – pour investir dans les secteurs d’excellence tout en conservant le modèle équilibré d’un capitalisme tempéré européen. C’est d’autant plus urgent que ce modèle, s’il permet un niveau d’inégalités exceptionnellement bas dans le monde, est aussi responsable d’un retard de croissance qui ne peut être compensé que par des gains de productivité, c’est-à-dire par la technologie ! La boucle est bouclée d’une certaine manière. On voit mal comment l’Europe pourrait faire face notamment au vieillissement de sa population et à l’immigration massive due à l’explosion de la démographie africaine, sans des investissements massifs dans les technologies de la santé et des transferts de technologies vers les économies africaines.

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