Après plus de 50 ans de carrière, l’emblématique journaliste-animateur-producteur préféré des Français, toujours à la tête du premier talk-show national sur France 2, revient sur scène dans un deuxième spectacle riche en surprises et en émotions. Rencontre avec Michel Drucker pour parler de la crise actuelle, du temps qui passe, de ses recettes de forme, et de l’avenir plein de projets de ce boulimique de travail.
Comment avez-vous vécu cette période inédite et historique de confinement due à l’épidémie de Covid-19 ?
Michel Drucker : Moi, c’est un secret pour personne, je suis hypocondriaque. Depuis mon enfance, j’ai été baigné dans le milieu médical avec mon papa Abraham qui était médecin de campagne – et que j’accompagnais lors de ses visites chez ses patients à Vire – et mon frère Jacques, professeur de médecine et épidémiologiste. Donc, vous imaginez bien que j’entends parler de virus depuis longtemps ! J’ai enregistré ma dernière émission le 17 mars dernier, avant de partir dans ma maison familiale en Provence, quelques heures avant le début du confinement. J’y suis donc resté confiné avec ma fille et ma petite-fille, alors que mon épouse était toujours à Paris. J’ai bien vécu cette période car c’est vraiment ma deuxième maison d’habitation, dans ce petit village de Provence, près duquel mes parents, mon frère Jean, sont enterrés.
J’estime que j’ai beaucoup de chance, car j’ai vécu cette période près d’eux dans une maison avec un grand jardin. Je me suis organisé très vite, notamment pour mes activités sportives, en continuant à pédaler une heure par jour autour de chez moi et à faire de la gym. Pour mes émissions à venir, j’avais beaucoup anticipé avec mes équipes et j’ai travaillé à distance avec eux, car nous avons en stock et en archives des milliers d’heures d’émissions emblématiques utilisables, car jamais rediffusées à l’heure où nous parlons. Ma fille Stéphanie, décoratrice et ma petite-fille Rebecca, qui travaille dans une grande maison de couture, ont installé des machines à coudre dans le salon pour confectionner plus de dix masques en tissus par jour pour les gens du village en vue du déconfinement.
Quel regard portez-vous sur cette crise sanitaire, sociale et économique sans précédent ?
M.D. : Nous sommes confrontés à trois drames avec cette épidémie. Le drame de beaucoup de Français, notamment les plus âgés, confrontés à l’isolement le plus total pendant le confinement, sans balcon, sans jardin, sans possibilité de sortir ni même de recevoir leurs proches. On ne mesure pas encore toutes les répercussions et les séquelles psychologiques de cet enfermement. Le deuxième drame, c’est celui du personnel médical et soignant qui a été obligé de partir au front, jour et nuit, pendant des semaines, dans des conditions effroyables, avec un manque considérable d’équipements et de moyens : manque de lits, de masques, de gants, de sur-blouses, de respirateurs, de réactifs…
Le seul point positif, c’est qu’on a enfin compris – en tous cas, je l’espère – combien on avait besoin du personnel hospitalier et de tous ceux qui les entourent. J’espère que le gouvernement comme les Français se souviendront de tout cela et qu’il y aura un avant et un après, avec une revalorisation de toutes ces professions médicales et paramédicales, et de vrais budgets alloués. Quant au troisième drame, il est bien entendu économique et social et l’on ne pourra pas passer à côté d’un vrai plan de relance pour aider tous les Français, toutes les entreprises, à s’en sortir et à se relever.
« Le seul point positif, c’est qu’on a enfin compris combien on avait besoin du personnel hospitalier »
Vous avez eu la merveilleuse idée de profiter de votre confinement pour envoyer des vidéos aux résidents des maisons de retraite. Expliquez-nous.
M.D. : J’ai eu l’occasion de rencontrer Delphine Dupré-Lévêque, ethnologue spécialiste du 3e âge et conseiller stratégique auprès de la haute autorité de santé, qui œuvre au sein de l’association « Stop à l’isolement » dans laquelle on trouve également mon amie Sophie Darel. Elles se sont énormément mobilisées auprès des Ehpad pour accompagner nos aînés pendant la période de confinement. J’ai voulu trouver à mon tour une idée pour aider les personnes âgées à vivre cette situation extrêmement difficile, sans contacts avec leurs proches. Car imaginez combien tout cela a été dur pour elles, dans les Ehpad mais aussi pour tous ceux qui vivent seuls chez eux.
J’ai donc enregistré tous les deux jours des vidéos de 3 à 4 minutes que j’ai envoyées dans les 7 500 maisons de retraite en France et que l’on peut aussi visionner sur la page Facebook de l’association. Je leur ai raconté mon métier, des anecdotes, ce que je faisais pendant le confinement, je leur ai montré mes animaux, mais leur ai aussi parlé de nos chers disparus… Jean Yanne, Lino Ventura, Bourvil, De Funès, Galabru… Sans oublier tous les grands seniors qu’ils aiment et qui tous sont en forme à 90 ans : Line Renaud, Annie Cordy, Hugues Aufray, Marcel Amont, Charles Dumont… Je suis le senior en activité le plus âgé de la télé, je trouve donc cela normal que ce soit moi qui m’adresse à nos anciens !
Votre premier spectacle « Seul avec vous » a fait un carton avec plus de 150 représentations pendant deux ans de tournée. Une sacrée aventure que de vous retrouver seul en scène face à votre public ?
M.D. : Oui, une folle aventure de 150 dates jusqu’à la dernière à Tel-Aviv. J’avais cette envie depuis longtemps : d’être seul sur scène devant le public, pour évoquer mes souvenirs accumulés au cours d’une carrière, dont la longévité n’en finit pas de m’étonner moi-même.
D’où votre idée de repartir sur scène et en tournée en 2020 avec un nouveau spectacle intitulé « De vous à moi » dont les représentations ont été reportées pour cause de coronavirus…
M.D. : Oui, je l’ai déjà joué 20 fois, mais malheureusement en effet, toutes les représentations ont été annulées au moment du confinement. J’espère pourvoir reprendre d’ici la fin de l’année, sinon on décalera toutes les dates prévues pour la tournée, d’un an en 2021, certainement de janvier à juin, et avec le final à Paris en octobre aux Théâtre des Bouffes Parisiens.
Racontez-nous ce deuxième spectacle…
M.D. : Il est évidemment très différent du premier avec une scénographie originale et des trouvailles techniques que je dois à ma fille Stéphanie qui me met en scène. On y voit un immense écran de télévision en forme d’Iphone où à dix reprises pendant le spectacle, je converse… avec moi… mais à 35 ans. Pendant 1h30, toutes les vingt minutes, à chaque changement de thème le jeune Michel Drucker questionne le Michel Drucker senior autour de sujets aussi différents que : Quels sont mes rapports avec les jeunes d’aujourd’hui ? Quels liens j’entretiens avec le public ? Et en fin de spectacle, pour le rappel, je finis par un hommage à mon ami Johnny pendant 15 minutes. Johnny, c’est mon tube à moi !
Vous vous attendiez à un tel succès en démarrant une nouvelle carrière à plus de 70 ans ?
M.D. : Absolument pas ! J’imaginais au départ que les salles ne seraient pas pleines et qu’il me faudrait 20 à 30 dates pour me rôder et faire le plein. Dès la première à Rennes, on a affiché complet et cela a duré plus de deux ans ! Ce qui m’a fait vraiment plaisir, c’est que les gens ont beaucoup ri et que les anecdotes inédites que je leur raconte ont fait mouche à chaque fois. Ce qui a beaucoup plu aussi, c’est l’hommage à nos grands disparus et la fin du spectacle avec Thierry Le Luron qui chante cette merveilleuse chanson de Charles Aznavour « Nous nous reverrons un jour ou l’autre ». On a d’ailleurs fait une captation de ce premier spectacle ainsi qu’un documentaire qui raconte cette folle aventure, afin de pouvoir les diffuser à la télévision, pour ceux qui n’ont pas pu se déplacer.
La crise actuelle a profondément modifié notre existence. Comment voyez-vous la vie d’après ? Plus rien ne sera comme avant ?
M.D. : Les Français sont certainement le peuple le plus individualiste au monde, mais je remarque que dans notre histoire, dans tous les grands moments importants, ils étaient là et ils sont toujours là. Ils savent toujours se réunir, agir et faire preuve de solidarité. C’était vrai à l’Hiver 54 avec l’Abbé Pierre, ça l’a été aussi quand nous avons lancé le premier Téléthon avec Claude Sérillon, mais aussi avec le Sidaction et plus récemment lors des attentats terroristes. Les Français peuvent parfois être déconcertants, mais ils savent aussi être exemplaires. Oui, je le pense, il y aura un « avant » et un « après » cette crise du coronavirus. Après la crise sanitaire, nous entamons la crise sociale et économique. Et ça va être épouvantable ! Nous avons la chance d’avoir en France la meilleure médecine du monde, mais il ne faut pas la laisser tomber !
Quels enseignements devons-nous en tirer ?
M.D. : J’espère que les Français et surtout ceux qui nous gouvernent auront compris que s’il y a bien un secteur qui doit désormais disposer de tous les moyens, c’est bien celui de la Santé et qu’ils tireront les enseignements de cette crise sanitaire inédite pour que nous soyons mieux préparés à l’avenir à l’arrivée de nouveaux virus. Je pense aussi que les gens ont redécouvert ces héros du quotidien que sont tous les professionnels de santé, des médecins aux infirmières en passant par les aides-soignantes, les personnels d’entretien. Il faut en général avoir été hospitalisé pour comprendre qu’ils font beaucoup plus que nous soigner.
Quand on est seul dans une chambre d’hôpital, malade, souffrant, désemparé, intubé, loin de sa famille, ce sont eux qui vous rassurent, vous font manger, vous tiennent la main et vous parlent. Non seulement, ils sauvent nos vies, mais ils jouent en plus un rôle psychologique essentiel. A ce moment-là, ce sont eux notre famille. Je suis donc heureux d’avoir vu les gens les applaudir tous les soirs à 20h de leur fenêtre ou balcon. Mais j’espère aussi que cela ne s’arrêtera pas là, et qu’ils se souviendront toujours. Combien de gens gardent-ils le contact avec l’infirmière de nuit qui a veillé sur eux, combien lui écrivent un mot de remerciement ? Espérons que cela va changer.
Et sur le plan économique ?
M.D. : Il y aura aussi un avant et un après sur le plan économique. Tout le monde s’est rendu compte qu’on ne peut pas continuer à dépendre des autres pays, comme la Chine ou l’Inde, pour des masques, des respirateurs ou des médicaments. Il va falloir relocaliser en France et relancer toute notre économie autour du « made in France », et pas seulement dans le domaine médical. Nous avons tout ce qu’il faut dans notre pays, et toutes les compétences, donc tout est à revoir, à repenser, à réorganiser. Quant à l’Europe, avant d’être vraiment unie et efficace, il y a encore du boulot !
« Il va falloir relocaliser en France et relancer toute notre économie autour du « made in France » »
Finalement, la grande gagnante de cette crise n’est-elle pas la télévision, vers laquelle tous les Français se sont de nouveau tournés pendant le confinement ?
M.D. : Oui, c’est vrai, la télévision est la grande gagnante comme les plate-formes de type Netflix et les nouvelles technologies. Des millions de Français, notamment les jeunes, ont redécouvert l’attrait du petit écran. Les chaînes ont refait des scores d’audience et tout le monde, même les seniors, s’est mis au numérique pour télétravailler, échanger avec ses proches et se divertir. A la télévision française, la grande gagnante, c’est France Télé, qui tient le choc grâce à la redevance qui représente 60% de ses recettes (la publicité 40%). Ce n’est pas le cas des chaînes privées qui ont souffert du manque de publicité qui les fait vivre. Idem pour les programmes.
Tout s’est arrêté pendant le confinement. Là encore, la grande chance du service public c’est d’avoir racheté tous les grands films qui font des scores d’audience incroyables. Les rediffusions marchent très fort et la nostalgie aussi. Nous, on a de quoi rediffuser pendant l’été des milliers d’heures de pro- grammes de « Vivement Dimanche » (22 ans d’émissions), « Stars 90 », « Champs-Elysées » (300 émissions) qui n’ont jamais été rediffusées, sans parler de tous ces portraits de stars que je suis allé rencontrer et filmer chez elles : Michèle Morgan à Saint-Tropez, Mireille Darc à Marrakech, Michel Galabru en Lozère, Lino Ventura à Montretout, Jean Rochefort à Rambouillet avec ses chevaux, Madonna à Hollywood…
C’est quoi votre secret de forme Michel Drucker à 77 ans ?
M.D. : Je suis très impatient, très stressé, et le seul moyen de calmer mon impatience ou mon stress, c’est d’avancer, de faire des choses, de mener à bien de nouveaux projets. Vieillir, on ne peut pas l’éviter, mais devenir vieux ou pas, ça ne tient qu’à soi ! L’inquiétude, c’est mon moteur et pour la calmer ou la vaincre, je ne connais que le travail. A côté de cela, c’est vrai, j’ai une bonne hygiène de vie, je dors bien, je m’alimente sainement, je suis bien entouré, je pédale et je marche beaucoup et je gamberge beaucoup aussi ! Je suis le plus âgé de la télévision, mais certainement le plus en forme des seniors de la télé encore en activité. Et puis, avec le démarrage du déconfinement, je suis pressé d’enregistrer de nouvelles émissions et j’ai encore plus hâte de retrouver mon public sur scène dans mon nouveau spectacle. Comme je le dis dans mon dernier livre : Il faut du temps pour rester jeune ! Alors, c’est ça le secret, toujours avancer et regarder vers l’avenir.
Propos recueillis par Valérie Loctin