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Mickaël Le Nezet (La Banque Postale) : « Pour accélérer la sortie de crise, il faut miser sur l’innovation »


Après une année particulièrement marquée par la crise sanitaire et économique, le Baromètre sur les pratiques d'achat au sein des villes moyennes de La Banque postale présente de précieux enseignements sur les grandes tendances nées de ces bouleversements.

Entreprendre - Mickaël Le Nezet (La Banque Postale) : « Pour accélérer la sortie de crise, il faut miser sur l’innovation »

Après une année particulièrement marquée par la crise sanitaire et économique, le Baromètre sur les pratiques d’achat au sein des villes moyennes de La Banque postale présente de précieux enseignements sur les grandes tendances nées de ces bouleversements. Mickaël Le Nezet, Directeur du marché des professionnels à La Banque Postale, décrypte les principaux enseignements de cette enquête.

Quelles sont les répercussions de la crise sanitaire, et plus particulièrement du reconfinement, que vous avez mesurées sur l’activité économique dans nos territoires ?

Mickaël Le Nezet : Il nous faut distinguer plusieurs temps dans cette crise. Il y a d’abord eu une forte baisse des flux financiers sur les comptes que nous suivons : d’au moins de 30% pour la seule période allant de la mi-mars au 11 mai 2020. Il faut se rappeler qu’en dehors des commerces des secteurs dits « essentiels », la grande majorité des entreprises ont été mises à l’arrêt par décision administrative. A La Banque Postale, nous avons vécu cette période comme la plupart de nos clients, c’est-à-dire avec la préoccupation constante de limiter la perte d’activités.

Puis, pendant tout l’été, nous avons assisté à un rattrapage assez rapide. D’après une enquête de la CGPME, la baisse moyenne n’était alors plus que de 5%. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce chiffre encourageant masque d’importantes disparités… Si quelques commerces alimentaires sont parvenus à tirer leur épingle du jeu, ce n’est absolument pas le cas pour l’immense majorité d’entre eux. En effet, les dispositifs de soutien (chômage partiel, PGE Tourisme…) ont en partie amorti les effets dans des secteurs comme l’hôtellerie ou la restauration, mais leur situation reste très préoccupante.

Comment le réseau de La Banque postale s’est-il mobilisé pour aider les professionnels durant cette période ?

Mickaël Le Nezet : nous distribuons aujourd’hui massivement des Prêts Garantis par l’Etat (PGE) ; ces derniers peuvent représenter jusqu’à 25% du chiffre d’affaires. En tout sur le territoire, plus de 630 000 PGE ont été attribués par les banques depuis mars, un chiffre important qu’il faut toutefois relativiser lorsque l’on sait que la France compte près de 4 millions entreprises… Par ailleurs, nous avons aussi cherché des solutions avec nos clients qui rencontraient des difficultés pour faire face à leur échéancier ; nous avons par exemple différé le remboursement de 6 mois des prêts de nos clients.

Au-delà du soutien en besoin de trésorerie ou de financement, pour ceux qui souhaitent digitaliser leur offre, comme les commerces de centre-ville, nous disposons également de solutions pour les accompagner rapidement dans leurs projets.

De quoi les professionnels ont-ils besoin pour passer ce cap selon vous ? Quels seront les secteurs qui auront le plus besoin de soutien ?

Mickaël Le Nezet : Dès le début de la crise, nous avons décidé d’accompagner nos clients professionnels, afin de mieux comprendre leur état d’esprit et trouver des solutions adaptées à chaque situation. Les indicateurs de notre tableau de suivi nous permettent de  constater une baisse de l’utilisation des espèces (- 25 %) et des chèques (entre – 8 et – 10 %). En revanche, la monétique – le paiement sans contact – a enregistré une hausse de près de 30 % ! D’ailleurs, c’est au plein milieu du confinement que le plafond du paiement sans contact a été rehaussé à 50 euros, entraînant un bouleversement durable des usages.

Avec ces innovations qui vont inévitablement bénéficier à certains acteurs économiques, la situation demeure très compliquée pour des secteurs comme l’hôtellerie qui n’ont évidemment pas la possibilité de mettre en place de solutions de click-and-collect.

Selon le Baromètre sur les pratiques d’achat des Français des villes moyennes, dont La Banque Postale vient de publier l’édition 2020, 55 % des Français estiment que les commerces de proximité ne sont pas assez présents sur internet. Que faire pour y remédier ?

Mickaël Le Nezet : Quand on regarde les résultats de notre enquête, on note que 8 Français sur 10 s’attendent à un développement de la vente à distance. Mais lorsque l’on se penche plus en détail sur les résultats de ce baromètre, nous constatons en réalité que les consommateurs veulent d’abord commander en ligne et ensuite choisir la modalité de retrait du produit la plus pratique pour eux. Cela peut être aussi bien la livraison que le retrait en magasin mais le client veut avant tout pouvoir choisir son parcours de vente !

Dans l’urgence du moment, l’opération « Clique mon commerce », initiée par le gouvernement, a été lancée pour répondre à ces attentes. L’objectif est de proposer différents services qui offrent la possibilité de maintenir l’activité malgré les restrictions. Pour accélérer la sortie de crise, il faut effectivement miser sur l’innovation. La Banque Postale propose par exemple une solution pour faciliter l’encaissement à distance même sans site internet. Concrètement, cette plateforme permet aux commerçants, restaurateurs et artisans d’envoyer des liens de paiement par sms et/ou par mail. La Banque Postale s’est engagée, à ce jour, à assurer la gratuité des transactions jusqu’au 31 décembre 2020.

Au niveau du groupe La Poste, le sujet est également au cœur des dispositifs de soutien. Dès 2018, la plateforme e-commerce « Ma Ville Mon Shopping » a été lancée. Elle permet aux commerçants, artisans et restaurateurs de vendre leurs produits en ligne notamment aux habitants de leur commune. Avec notre expérience, nous pouvons affirmer que cette activité à distance peut représenter le quart, voire le tiers du chiffre d’affaires de certaines entreprises. Aujourd’hui, ces alternatives sont encore assimilées à des solutions de survie, mais en réalité il y a fort à parier que ces canaux de distribution deviendront de plus en plus incontournables !

Comment aider les entreprises françaises à se faire une place en ligne ? Les GAFAM représentent-ils une forme de concurrence pour elles ?

Mickaël Le Nezet : Il faut avoir à l’esprit qu’aujourd’hui près de 37 % des TPE ont un site internet tandis que l’e-commerce représente seulement entre 5 et 7 % du chiffre d’affaires des entreprises, y compris dans le monde de la franchise, pourtant un peu en avance sur ce sujet. Derrière ces chiffres, il faut s’intéresser, comme l’indique la FEVAD, à l’activité sur ces plateformes tel que le nombre de commandes effectuées en ligne.  Un rattrapage est en cours en ce moment avec les GAFAM, mais les aides au secteur numérique, prévues dans le plan de relance et annoncées par Bruno le Maire, ne seront pas suffisantes…

On ne peut pas comparer l’accompagnement client ou la chaîne logistique d’un commerce de quartier avec Amazon… Cela n’a évidemment rien à voir. Pourtant, depuis le premier déconfinement, 42 % des Français déclarent se rendre plus régulièrement dans les commerces locaux, tout en indiquant en même temps leur souhait que ces derniers investissent un peu plus sur le digital. De plus, il faut faire des différences en fonction de la taille et des profils des entreprises. Concrètement, si ma société propose des produits à des prix « classiques », je vais plutôt avoir avantage à vendre sur mon propre site en ciblant d’abord ma clientèle traditionnelle. A l’inverse, si je vends des produits très pointus, si j’ai envie de me développer à l’international, je veux donc exposer mon produit à une clientèle plus large et je peux trouver un intérêt à adhérer à une marketplace.

La tendance est donc bien à « l’hybridation du parcours du vente ». C’est pourquoi, on peut affirmer qu’il existe une forte complémentarité entre les différents acteurs de l’écosystème. Dans cette perspective, d’importants progrès sont possibles. En effet, les habitants sont encore trop souvent frustrés de ne pas pouvoir trouver leurs commerces de centre-ville sur les moteurs de recherche. En revanche, quand Google affiche les horaires d’ouverture des commerçants, la firme de Mountain View leur rend un vrai service, gratuitement. En somme, il ne faut surtout pas opposer les uns et les autres dans une vision trop manichéenne du commerce !

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