C’est une élection qui se fait attendre. Reportée à de nombreuses reprises, le scrutin présidentiel libyen, prévu en 2022, est supposé clore définitivement la page de la seconde guerre civile libyenne, née de la chute de Mouammar Kadhafi et des violents troubles politiques qui s’en sont suivis à partir de 2014. Si tous les candidats déclarés sont issus de l’élite politique libyenne ou de l’ancien régime khadafiste, l’un d’entre eux, Mohamed Shawesh, âgé de 35 ans, vient de la société civile et du monde des affaires. Portrait d’un candidat-entrepreneur qui veut renverser la table et offrir à la Libye un nouvel espoir.
Renverser la table d’une classe politique immuable
Quand on lui reproche son jeune âge, Mohamed Shawesh préfère répondre en évoquant son expérience. Plus de 18 ans d’entrepreneuriat dans des domaines aussi variés que les smart cities, la construction, les banques numériques ou encore la gestion de crise ont forgé l’entrepreneur qu’il est aujourd’hui. « Je me fais une très haute idée du leadership entrepreneurial, que je perçois comme un vecteur de transformations dont tous les pays ont besoin, pas seulement la Libye », explique Mohamed Shawesh au magazine « Le Monde arabe », où il a récemment été interviewé.
Si sa carrière de chef d’entreprise est déjà plutôt réussie -il dirige plusieurs entreprises dans le domaine des smart cities et des infrastructures-, il aspire désormais à mettre son expérience, son sens des affaires et son goût de l’entrepreneuriat au service de son pays, la Libye, particulièrement meurtrie par l’Histoire et une guerre civile qui, depuis 2014, plonge le pays dans une instabilité chronique, obstacle à son développement socio-économique. La première élection présidentielle libre et démocratique de l’histoire du pays est, pour lui, l’occasion de proposer quelque chose de nouveau.
Une élection dominée par les figures historiques -et contestées- de la vie politique libyenne
La tâche est ardue, car les vieilles huiles de la vie politique libyenne sont bien en place. Et semblent peu disposées à céder le pouvoir à une nouvelle génération venue de la société civile, assoiffée de démocratie et de modernisation économique. Parmi eux, des proches assumés des Frères Musulmans, des militaires ou d’anciens membres des cercles kadhafistes, dont la plupart ont, de près ou de loin, été au cœur d’enquêtes judiciaires en Libye ou visés par des enquêtes pénales internationales.
Si Mohamed Shawesh s’invite dans cette élection présidentielle, c’est avant tout pour renverser la table et aligner la Libye sur les standards internationaux. Le pays en est loin et occupe aujourd’hui systématiquement les bas-fonds de tous les classements internationaux. Avec un score de 17 / 100 à l’indice de perception de la corruption de Transparency International, la Libye fait à peine mieux que l’Afghanistan, la Corée du Nord ou encore le Yémen. A l’indice d’instabilité globale du Global Peace Index, la Libye est classée à la 154ème place internationale. Pour ce qui est de l’indice de développement humain, la Libye fait à peine mieux, avec une triste 145ème place. Au niveau de l’indice de démocratie, le pays est 157ème, juste derrière l’Arabie Saoudite. Le tout, dans un contexte économique et social tendu, au sein duquel le chômage s’élève à environ 19 % de la population et une croissance qui, en 2020, a dévissé de plus de 30 % dans un contexte de chute des cours du pétrole et de crise sanitaire. Si rien ne va, Mohamed Shawesh veut encore garder l’espoir. « En 2050, mon souhait le plus cher est que la Libye soit perçue dans le monde comme l’exemple d’une transformation réussie d’un pays en ruine vers une nation solide », souligne le candidat-entrepreneur.
État de droit et redressement économique
Pour sortir la Libye du désastre, Mohamed Shawesh souhaite offrir à la Libye un État de droit, accordant une grande place à la démocratie et aux libertés individuelles qui sont, selon lui, les seules solutions à la réunification d’un pays, qui a trop souvent privilégié les armes au dialogue. Il souhaite, dès sa première année de mandat, mettre en place un cadre législatif clair pour garantir à chaque Libyen les droits humains les plus fondamentaux. Quant au redressement économique, il passe évidemment par une lutte active contre la corruption endémique, la gabegie financière et les détournements de l’aide internationale, mais aussi des investissements massifs dans les infrastructures les plus stratégiques du pays, en complète désuétude, notamment les réseaux d’électricité, en pleine désuétude et créateurs de pannes récurrentes. D’un point de vue social, Mohamed Shawesh souhaite donner un minimum de garantie pour permettre à chaque Libyen d’avoir accès à l’eau potable, à l’électricité, à la nourriture, mais aussi au WIFI, qu’il perçoit comme un vecteur de développement économique dans un pays où la connectivité reste modérée hors des centres urbains.
Mohamed Shawesh ne nie pas que l’économie libyenne, en grande partie informelle et quasi-entièrement tournée vers le secteur des matières fossiles, n’est pas adaptée à un monde globalisé. La modernisation du pays reste ainsi, en ligne de mire, l’un de ses principaux objectifs. Elle serait fondée sur la transition massive vers les énergies renouvelables et un plan de diversification économique, le soutien public aux entreprises des nouvelles technologies et l’accent mis sur la formation universitaire qui reste, selon Mohamed Shawesh, la condition sine qua non, à la prospérité libyenne. Un moyen aussi de mettre en œuvre à l’échelle de son pays, le concept qu’il affectionne particulièrement de « Résilience sociétale mondiale » qui aspire à préparer les populations et adapter leurs besoins aux grands bouleversements globaux attendus. « La Libye, qui est signataire de l’Accord de Paris sur le climat, doit naturellement se joindre aux autres pays pour ouvrir la voie dans la lutte mondiale contre le changement climatique », souligne Mohamed Shawesh.
Alexandre Bodkine