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« A moyen terme, il y a très peu de chance de voir un euro digital officiel sur Coinbase »


Tandis que les particuliers se ruent sur les cryptomonnaies, la Chine avance dans la mise en place de son yuan digital et l’Europe prépare le sien… Les États, d’abord réticents face à l’émergence de ces monnaies numériques, ont finalement décidé de prendre le taureau par les cornes. Jean-François Faure, fondateur...

Entreprendre - « A moyen terme, il y a très peu de chance de voir un euro digital officiel sur Coinbase »

Tandis que les particuliers se ruent sur les cryptomonnaies, la Chine avance dans la mise en place de son yuan digital et l’Europe prépare le sien… Les États, d’abord réticents face à l’émergence de ces monnaies numériques, ont finalement décidé de prendre le taureau par les cornes. Jean-François Faure, fondateur et dirigeant de VeraCash, décrypte les enjeux de cette irruption prochaine des États dans le monde des cryptomonnaies.

Pourquoi les cryptomonnaies ont-elles vu le jour ?

Aujourd’hui, sur les cryptomonnaies, il y a deux enjeux majeurs et antagonistes l’un de l’autre. D’un côté, on a la vision des fondateurs des cryptos, notamment celle de l’inventeur du bitcoin : trouver un nouvel instrument monétaire qui permet de régler les problèmes liés à la confiance des intermédiaires et des contreparties. Voulant dire que dans cette vision excluait à ses débuts les banques ou les États considérés comme peu sûrs car en posture de manipuler la monnaie comme cela les arrange. Pour mémoire, le Bitcoin a été créé en réaction à la crise de 2008, aux scandales de ces banques dont les États ont payé la note de leur refinancement.

Et de l’autre côté, nous avons les États qui étaient plutôt à l’aise dans leur manière de gérer la monnaie. La crise de l’euro passée sans trop de casse leur a même laissé croire qu’ils avaient à présent la solution à tout, notamment en pouvant émettre autant de monnaie que nécessaire sans que cela se traduise par une inflation galopante. Du côté des États, les enjeux autour des cryptos sont ambivalents.

Ils savent que les interdire purement et simplement donnerait lieu à une économie parallèle sur laquelle ils n’auraient aucune prise. Et en même temps, ils considèrent que passer du système monétaire actuel à un modèle basé sur des cryptos — donc selon un modèle distribué — leur enlèverait toute marge de manœuvre dans leurs actions, notamment quand il faut sortir l’économie d’un mauvais pas. Aujourd’hui, les États savent que le sens de l’histoire est à l’émergence des monnaies digitales. Leur enjeu est donc de les utiliser sans les subir.

En créant leur propre monnaie digitale, à l’image de l’Europe avec l’euro digital ou la Chine avec le yuan digital ?

L’UE essaie de créer un Euro digital plutôt dédié aux transferts entre institutions. A l’autre bout du spectre, nous avons en effet la Chine qui souhaite clairement remplacer le cash par un e-yuan, lui permettant d’avoir un contrôle sur les actions de ses citoyens et de toutes les personnes qui l’utiliseront. Cette nouvelle monnaie ne serait-elle pas alors pour la Chine un puissant accélérateur dans son projet de devenir la première puissance mondiale ? Le pouvoir sur la monnaie, c’est le pouvoir tout court.

D’ailleurs, il serait intéressant de se projeter dans une uchronie et se demander ce qu’il se serait passé en 2008 si nos monnaies avaient été des cryptos sans possibilité d’interaction des États. D’abord, les cryptos n’auraient pas empêché un modèle pervers tel que celui des subprimes puisque ce n’est pas un modèle qui empêche la spéculation, bien au contraire. Cependant, quel amortisseur aurait permis aux États de sauver les banques et donc tout notre système économique ? Je pense que nous nous serions tous retrouvés dans cette posture de ces pays défaillants comme l’Argentine ou le Venezuela où il s’instaure une fuite de la bonne monnaie créant alors d’immenses disparités entre ceux qui peuvent passer le cap difficile et ceux qui le subissent. On a eu une sorte d’exemple similaire dans les années 1920-1930 où les effets majeurs de la crise de 29 étaient largement dus à la volonté du Royaume-Uni de rétablir coûte que coûte l’étalon or dont ils étaient sortis pour pouvoir financer leur participation à la Première guerre mondiale.

Combien de temps faudra-t-il pour voir l’e-yuan s’imposer sur les plateformes d’échanges ?

Si l’e-yuan est poussé sur les plateformes d’échange, il sera tout de suite approprié massivement par les utilisateurs de cryptos qui vont y voir à la fois un stablecoin soutenu par un État, mais aussi de manière spéculative la monnaie du pays leader d’ici les dix prochaines années. Il y a aura donc à la fois une approche utilitaire sur une devise solide et spéculative en misant sur le champion de demain.

L’e-yuan pourrait-il jouer le même rôle que le dollar américain au cours du siècle passé ?

Personne n’est capable de prédire l’avenir. Cependant, les ambitions de la Chine sont claires quant à leur projet : devenir leader mondial devant les États-Unis. Comment imaginer être la première puissance mondiale sans avoir la monnaie à la mesure ? Et si le Yuan devient à son tour une monnaie de référence, sa forme digitale en sera la meilleure expression et la plus pratique pour des usages entres États mais aussi entre particuliers. Dans un premier temps, je vois bien une émergence du e-yuan dans de nombreux pays d’Afrique et dans le Sud-Est Asiatique.

Quel impact pour les stablecoins adossés au dollar ?

Les stablecoins actuels ne sont ni soutenus par les USA, ni par les autorités de régulation et, pire, ce sont des cryptos dont les sous-jacents sont partiellement du dollar. Ce qui veut clairement dire qu’en cas de « bankrun » sur ces cryptos, leur faillite serait immédiate et des milliers d’utilisateurs seraient touchés. Toute la communauté crypto le sait, mais faute de mieux, tout le monde utilise ses actifs car ils sont nécessaires pour stopper les risques de change entre deux transactions crypto.

Aujourd’hui, Tether est par exemple la crypto avec les plus gros volumes d’échange quotidiens, largement au-dessus du bitcoin. Le risque est maximal. Avec un stablecoin qui serait alors l’e-yuan, nous avons à la fois un actif garanti par un État — c’est une vraie monnaie — et la stabilité recherchée. D’ailleurs, l’émergence du e-yuan sur les exchanges pourrait avoir des conséquences sur des stablecoins comme Tether qui pourraient être boudés par les investisseurs. Or, un stablecoin comme Tether n’est soutenu que par sa croissance, qui fait que les nouveaux entrants financent les sorties des précédents. Tether n’est pas dimensionné pour une baisse massive de son usage. Il s’effondrerait immédiatement par absence de contrepartie suffisante.

Quelles sont les alternatives ?

Certains attendent une alternative du côté d’un d’euro digital, mais à ce jour, il s’agit plus d’un projet de facilitation d’échange entre banques centrales et institutionnels financiers. Il y a très peu de chance de voir à moyen terme un euro digital officiel sur Coinbase alors qu’en parallèle, ces mêmes États voient d’un très mauvais œil cet écosystème, qu’ils accusent de faciliter les trafics illicites et le blanchiment.

Enfin, il y a les stablecoin adossés à des actifs non monétaires et dont les marchés sont connus et globalement aussi stables que les devises. C’est par exemple le cas de l’or qui assure encore un rôle de monnaie entre les États qui ne peuvent traiter en dollar. L’or restera probablement toujours en retrait, mais occupera clairement sa place. Quel est l’actif à la fois indépendant et de niveau monétaire ? C’est l’or. Et nul doute que face à l’hégémonie prochaine de monnaies étatiques dans l’environnement crypto, les utilisateurs voudront se diriger vers des valeurs à la fois stables et que l’on ne pourrait soupçonner de servir les intérêts d’un pays dont on ne partage pas les projets ou les valeurs. L’or est lui aussi une crypto de demain.

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