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Nathalie Boy de la Tour, présidente de la LFP : « Le monde du football n’est pas plus sexiste que le monde de l’entreprise »


Élue à la surprise générale à la tête de la Ligue de Football Professionnel depuis 2016, Nathalie Boy de La Tour...

Entreprendre - Nathalie Boy de la Tour, présidente de la LFP : « Le monde du football n’est pas plus sexiste que le monde de l’entreprise »

Au moment où débute la Coupe du Monde de football féminin, Nathalie Boy de la Tour, directrice générale de la Ligue de Football Professionnel revient sur son parcours et sur la place des femmes dans le football.

Comment devient-on l’un des principaux dirigeants du football français ?

Nathalie Boy de La Tour : Je suis arrivée dans le monde du football par la voie entrepreneuriale. Diplômée d’une école de commerce, j‘ai fait dix ans dans le conseil en organisation et en stratégie chez Bossard Consultant avant de prendre la direction d’ une agence interactive, filiale du groupe de communication international BBDO (Batten, Barton, Durstine & Osborn). Issue d’une famille d’entrepreneurs, j’ ai été bercée par la volonté d’entreprendre et de développer mon business. Mes parents m’ont éduquée en m’inculquant des valeurs de loyauté, de respect de la parole donnée, de générosité, de volonté d’implication du plus grand nombre, de travail, et d’exigence. Le travail a toujours tenu une place très importante dans ma vie.

J’avais besoin de voir si j’étais capable de lancer un projet par moi-même. Grâce à un jeu de rencontres, j’ai lancé le Salon du football, « Galaxy Foot ». Cela a très bien fonctionné, et je l’ai revendu au bout de trois ans. J’ai découvert l’univers du football à travers ce salon qui m’a permis de plonger dans son écosystème et de côtoyer les différents acteurs en présence (clubs, sponsors, institutionnels, médiatiques, etc). Cette expérience m’a donné bon aperçu de ce qu’était le monde du foot. J’ai été littéralement mordue. J’ai donc décidé de poursuivre dans le football en participant au lancement d’une fondation. J’ ai dirigé cette fondation pendant une petite dizaine d’années. J’ai eu la joie d’y rencontrer Philippe Seguin qui en fut le premier président. J’ai eu un véritable coup de cœur professionnel pour cet homme pour lequel j’éprouve une grande admiration.

Comment avez-vous accéder à la présidence de la LFP ?

N’oublions pas que cela fait déjà 15 ans que j’évoluais dans le secteur du football – je suis notamment entrée en 2013 au conseil d’administration de la LFP. Il existe une vraie cohérence dans mon parcours. La présidence m’a été proposée à deux reprises mais j’ai dû décliner l’offre car mon mari était très malade à l’époque. Je n’imaginais pas alors pouvoir concilier une vie personnelle très compliquée et la responsabilité associée à la présidence. On m’a incité à me porter candidate une troisième fois dans un contexte de crise de gouvernance du football français. Ma situation personnelle ayant évolué positivement, j’ai bénéficié d’un alignement des planètes qui m’a permis d’accéder à la présidence de la LFP.

Oui, vous avez même lancé une affaire… Quelles relations entretenez-vous avec la Fédération français de football (FFF), notamment sur le football féminin ?

La fédération, qui gère l’ensemble du football en France, a une délégation de service public du ministère des Sports. Elle gère les 2 millions de licenciés, les 18 000 clubs de foot amateur et l’équipe de France. La FFF a également la charge de la pratique et compétitions féminines. Nous travaillons main dans la main et en bonne intelligence afin d’aider au développement du football féminin, car ce sont souvent nos clubs qui ouvrent une section féminine. Aujourd’hui, sur les 40 clubs de L1 et L2, 37 ont une section féminine, et sur les 12 clubs de D1 féminine, 9 clubs sont en réalité des sections féminines de clubs de L1 ou de L2.

Vous êtes la première femme à présider la LFP. Comment votre arrivée a-t-elle été perçue ?

Je ne pense pas que le monde du football soit plus sexiste que le monde de l’entreprise, mais il faut avoir à l’ esprit qu’il s’agit d’un univers particulièrement dur pour une femme comme pour un homme. Il faut accorder leur place aux femmes sur des critères de compétences et non sur un critère de sélection en fonction du genre. Aujourd’hui, la direction générale de la FFF est assurée par Florence Hardouin, qui est la première femme directrice générale de la fédération. Elle est par ailleurs membre du comité exécutif de l’UEFA. La présidente de la LFP est également une femme. On voit donc que le monde du foot donne sa place aux femmes, mais qu’elles sont encore aujourd’hui assez peu présentes. Je le constate dans notre conseil d’administration que j’aimerais fortement féminiser : je suis la seule femme sur 25 membres. Il est difficile de trouver des femmes légitimes dans le foot. Pour inverser la tendance, je crois beaucoup aux actions de fond.

Il faut commencer à développer la pratique. Nous observons un formidable succès ces dernières années puisqu’on est passé de 50 000 licenciées à 180 000 aujourd’hui. La Coupe du monde féminine qui se tiendra à partir du 7 juin en France devrait largement favoriser le développement de la pratique féminine. À partir du moment où la pratique n’est plus un sujet et qu’un travail de fond a été réalisé pour expliquer aux femmes qu’elles ont leur place dans les clubs de foot amateurs et professionnels, et pas uniquement dans les clubs de foot amateurs pour tenir la buvette ou laver les maillots, le tour est joué. C’est un travail de longue haleine auquel nous participons très activement.

Existe-t-il, selon vous, un management « au féminin » ?

De nombreux dirigeants de plus de 50 ans déclarent séparer la vie personnelle et la vie professionnelle. Cette frontière est beaucoup plus nuancée pour les nouvelles générations. Ce cloisonnement est faux, c’est une vue de l’esprit, car qu’on le veuille ou non, à un moment, vie personnelle et vie professionnelle sont liées. La charge mentale est réelle et concerne surtout les femmes. La nouvelle génération avance sur le sujet et n’est désormais plus prête à sacrifier complètement sa vie privée.

Je n’apprécie guère la posture managériale adoptée par certains qui prétendent séparer hermétiquement vie professionnelle et personnelle. On sait pertinemment que c’est faux. On ne peut négliger les réseaux, les relations professionnelles qui se transforment en amitié, sans pour autant dériver en copinage. La vie professionnelle est tellement chronophage qu’il est normal de juger en amont sa compatibilité avec la vie privée.

Quelles sont les leviers de développement pour le football féminin ?

Le développement de la pratique et la visibilité médiatique que vous lui donnez sont les principaux nerfs de la guerre. La diffusion du football féminin est une très bonne chose. La Coupe du monde féminine sera un tremplin incroyable. Pour peu que notre équipe de France aille loin dans la compétition, nous devrions assister à un engouement important dans les clubs de foot amateur à la rentrée prochaine. Il faudra donc s’organiser afin d’être en capacité d’accueillir cet afflux de filles dans les clubs. Il faut également faire découvrir le football aux femmes et montrer que ce n’est pas une passion strictement réservée aux hommes. Nous avons vu l’engouement extrêmement fort autour de l’équipe de France qui doit se répercuter sur nos championnats. Nous devons proposer aux femmes de vivre différemment le foot dans les stades en tant que supportrice ou en tant que téléspectatrice.

La France accueille la Coupe du Monde féminine (7 juin-7 juillet). Qu’attendez- vous de cet évènement ?

Avoir une Coupe du monde féminine qui se tient en France est un puissant levier pour la reconnaissance du football féminin. Le regard du grand public sur le foot féminin doit changer. Il faut faire découvrir le football féminin à ceux qui ne le connaissent pas suffisamment et ne le perçoivent pas encore comme un sport qui a les mêmes règles de fonctionnement, la même beauté, la même magie et le même partage d’émotions que le foot masculin. C’est déjà un très beau succès au niveau de la billetterie, les objectifs qui avaient été définis sont largement dépassés. En termes de retombées économiques de la compétition, les signaux sont au vert. Nous constatons que de nombreux supporters étrangers feront le voyage en France pour supporter leurs équipes. C’est particulièrement vrai pour les Américains. Cette compétition aura un impact économique très favorable pour les villes qui vont recevoir les matchs.

Comme de nombreux secteurs économiques, le football a-t-il lui aussi été disrupté ?

Notre transformation se fera à travers l’évolution des droits télé et la diffusion de nos compétitions. Nous venons de signer un nouveau cycle des droits télé avec Mediapro pour 2020-2024. En se projetant à 6-7 ans, il est difficile de savoir si les diffuseurs traditionnels du foot seront toujours présents, si les Gafa auront pris leur place ou si nous devrons devenir notre propre diffuseur… Toutes ces questions sont extrêmement importantes. Comment le football sera-t-il diffusé en France et à l’étranger à l’avenir ? C’est le premier sujet stratégique de réflexion et de prospective. Le second concerne la transformation digitale.

Alors que la LFP a pris beaucoup du retard sur le sujet, nous travaillons activement avec Didier Quillot (directeur général, ndlr) afin de rattraper ce retard en mettant en place un plan de transformation. Mais il nous reste beaucoup à faire. Sur les habitudes de consommation du foot, les choses sont très différentes, les jeunes de 20 ans ne regardent pas et ne consomment pas le foot exactement de la même manière que la génération précédente. Les usages changent énormément et nous devons donc nous y adapter.

Que faut-il changer ?

Nous avons d’importants leviers d’innovation dans le football : en matière d’arbitrage, par exemple, comme nous l’avons notamment vu avec l’arrivée de la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage, ndlr). Il y a de plus en plus de systèmes extrêmement performants permettant de remonter et d’analyser des données sur le plan sportif. Les stades se transforment également et les applications offrent la possibilité de commander depuis sa place un sandwich ou une boisson. Nous sommes donc dans un univers qui doit évoluer et se transformer avec les codes de son environnement.

Quelle est votre vision de l’avenir du football professionnel français ? Quelles sont ses spécificités ?

Le foot professionnel génère plus de 2 milliards de CA en France et est encore en forte croissance. Nous devons poursuivre le plan stratégique initié il y a deux ans lors de ma prise de fonction. Le monde du foot doit coller à l’évolution de la société, qu’elle soit économique, sociétale ou autre. C’est ce qui est incroyable dans cet univers, et qui est incomparable avec les autres : vous êtes à la croisée des chemins, entre une économie très puissante, une exposition inégalée – 10% de l’espace médiatique –, et un impact et une responsabilité sociale également importante. Nous devons gérer au jour le jour non seulement les missions de long terme, mais également les crises quasi quotidiennes.

Ces crises peuvent être liées au volet sportif, aux médias ou aux relations humaines. Imaginez une entreprise basée à 100% sur de l’humain mais qui se trouve chaque semaine en concurrence avec 19 autres et qui doit affronter deux mercatos par an. C’est précisément toute la difficulté du football : nous sommes sans cesse sur du réglage permanent… Nous sommes tous portés par la même passion. Ce sport génère de l’ émotion et du bonheur et possède une incroyable capacité à faire évoluer la société. Il existe bien peu de secteurs d’activité qui peuvent s’en prévaloir. Nous sommes tous portés par la même passion. Ce sport génère de l’émotion et du bonheur et possède une incroyable capacité à faire évoluer la société. Il existe bien peu de secteurs d’activité qui peuvent s’en prévaloir.

Propos recueillis par Isabelle Jouanneau

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