La jeune pousse de Belfort, Neext Engineering, fondée par Jean Maillard et Nicolas Moulin, embarque déjà nombre de partenaires de poids, dont GE ou deux laboratoires du CNRS et le CEA. Il est vrai que ces petits réacteurs nucléaires de 4ème génération ont de quoi impressionner.
Vous êtes deux cofondateurs opérationnels, Jean Maillard et Nicolas Moulin, accompagnés pour la communication de Nicolas Delaby, comment avez-vous constitué cette équipe ?
Jean Maillard : J’ai un profil d’ingénieur (Ensam) et de créateur d’entreprise dans l’énergie renouvelable, Nicolas (Moulin) a également un profil d’ingénieur avec des expériences chez Alstom Power et General Electric. Nous sommes accompagnés par Nicolas Delaby pour toute la communication, qui reste en poste par ailleurs. Notre équipe s’est constituée après une longue aventure au sein de l’Apsiis, Association de Préfiguration de Sociétés d’Intégration et Ingénierie Systèmes, de Nord Franche-Comté.
Elle a vocation à réunir des acteurs économiques différents, laboratoires, universités, entreprises, un think tank créé pour réfléchir à l’avenir des compétences du territoire dans la transition énergétique. Notre région est historiquement présente dans le charbon, le fuel, le gaz et le nucléaire. Certaines activités doivent être abandonnées, mais les compétences humaines existantes peuvent être utilisées ailleurs. Le groupe de travail sur l’hydrogène et les petits réacteurs nucléaires était particulièrement étoffé.
Pourquoi avoir choisi Belfort ?
La région est n°1 mondial avec les turbo-alternateurs Arabelle qui fournissent les centrales nucléaires partout dans le monde, elle est aussi leader sur les turbines de centrales gaz. De plus, techniquement, le charbon ressemble beaucoup au nucléaire techniquement, à part la chaudière et les enjeux de sûreté. Si je devais résumer, tout est parti d’une histoire d’ingénierie et de deux postulats : la transition écologique et le savoir-faire régional. C’est le discours d’Emmanuel Macron il y a 18 mois et l’annonce sur les petits réacteurs innovants qui a changé la donne. Nous sommes passés du think tank à la création d’entreprise grâce à la mise en place de l’outil financier et la bienveillance de l’État.
Ce qui vous a fait aboutir au projet SPARTA ?
Nous nous sommes mis au travail immédiatement avec des objectifs précis et cela a abouti au dépôt du dossier le 17 avril dernier. La base de notre travail tient en cette phrase : le nucléaire au service de la décarbonation de l’industrie.
Le nucléaire durable existe-t-il ?
L’existant ne l’est pas vraiment, mais c’est ce que nous proposons. Le premier avantage de notre offre est qu’elle va réutiliser les combustibles usés, les déchets, des centrales d’aujourd’hui, le second est qu’elle utilise aussi l’uranium 235 (les centrales « ancienne génération » utilisent 1% de l’uranium sourcé, d’où les reproches de gaspillage de la ressource).
Notre solution recycle donc le combustible, et épuise sa radioactivité. Au bout d’une dizaine d’années, la maintenance intervient. À l’ouverture, le réacteur sera très, très peu radioactif, sans aucune mesure avec aujourd’hui. Et l’on pourra réinjecter ce qu’il reste pour la prochaine phase.
Quelles garanties apportez-vous sur le plan de la sécurité ?
Nous répondons à cet enjeu de sécurité par notre choix du plomb liquide, un matériau opaque aux radiations. Sans entrer dans les détails techniques, le réacteur à haute température est installé au milieu du plomb, il est donc possible de figer ce matériau en cas de risque. Le gage de sécurité se situe dans la construction même du réacteur. On pourrait aller jusqu’à dire que technologiquement, nos centrales ne peuvent pas exploser, mais on ne pourra pas le dire d’un point de vue réglementaire.
Le fait que nous ayons choisi un réactoriste reconnu est aussi un facteur important. Le verrou technologique est l’échangeur de chaleur. En sortie, la chaleur est très élevée, 500 à 650 degrés, ce qui permet de se greffer sur des process industriels pour produire hydrogène, méthanol, ammoniaque, carburants de synthèse, qui utilisent aujourd’hui des énergies fossiles. Il y aura de gros besoins sur l’hydrogène vert.
SPARTA, notre centrale nucléaire modulaire doit fournir l’ensemble de ces productions à l’industrie, plus besoin de les acheter ou les importer. Cela change la donne, car cette solution garantit une stabilité des prix ; on a vu combien cela était essentiel depuis la guerre en Ukraine. Comme il s’agit de petites unités, l’offre reste simple, avec des produits clés en main qui seront adossés aux unités des clients. En toute fin de cycle, nous devrions pouvoir être en autoconsommation nucléaire.
Et l’eau pour le refroidissement ?
Notre réacteur de génération 4 monte très haut, il est donc plus facile de refroidir avec de l’air plutôt qu’avec de l’eau, contrairement à la génération 3 qui sort entre 250 et 300 degrés. La taille joue aussi beaucoup. L’air suffit. Il est quand même prévu une piscine d’eau pour jeter un peu d’eau et ventiler ensuite en cas d’incident.
Quels sont vos cibles commerciales et vos concurrents ?
Ce sont les industries grandes consommatrices d’énergies fossiles, les ports, les aéroports, les territoires aussi, par exemple les zones isolées, comme les zones minières. Nous vendrons à des privés, ce qui n’existe pas aujourd’hui et crée de nouveaux défis. En matière de concurrence, il faut être conscient que la France a perdu son avance depuis quelques années, d’où la volonté de rattraper ce retard. En 2021, il y avait plus de 70 projets, toutes technologies confondues dans le monde, dont une trentaine à visée commerciale et industrielle. Aujourd’hui, de nouvelles annonces arrivent, comme la nôtre : Jimmy Energy, Nucléo, l’essaimage CEA, avec des technologies au plomb, au sodium, en fusion nucléaire.
Un foisonnement d’initiatives. Nous nous démarquons sans doute en étant moins technocentrés et du fait que nous sommes partis de la demande pour sélectionner la technologie qui nous semblait la plus pertinente. La différenciation se fera par l’efficience du système global et le nombre d’énergies produites. Les méthodologies de conception vont changer grâce à l’innovation numérique, notre centrale sera numérique, avec un jumeau virtuel et un jumeau réel.
Quelques mots sur la rentabilité de ces prochains projets ?
La rentabilité de ces projets dits de génération IV se construit sur le multiusage, des besoins différents et nouveaux. Il faut aller au-delà de l’énergie électrique. La durée des équipements est connue, on sait déjà avec l’ancienne génération qu’elle est de 40, 50, voire 60 ans. Il existe aussi des pistes d’augmentation des rendements, notamment grâce aux travaux d’une chercheuse d’un laboratoire du CNRS de Nancy qui travaille sur un fluide spécial très intéressant.
Neext Engineering a commencé par un financement participatif qui se termine. Son originalité est que nous avons voulu embarquer dans Neext Invest l’ensemble des ingénieurs de notre territoire, pour conforter notre vision par l’approbation de sachants. Nous pensions atteindre avec la limite légale des 150 personnes, les 150 à 200 000 euros, or nous serons à un peu plus de 600 000 euros ; ce soutien nous galvanise.
Des phases de levée de fonds (cf. encadré) suivront le phasage de l’appel à projets, auquel nous croyons beaucoup ; les besoins seront immenses lors des premiers arrêts de centrales à charbon. Les investissements privés viendront en face des investissements publics, au départ 1,5 million à trouver, puis 2,5 millions pour les débuts. Il s’agira de capital-risque ; l’idéal serait de garder le même fonds. L’enveloppe est de 500 millions sur 3 phases avec un écrémage des lauréats au fil du temps. Il s’agit d’une petite décennie, ce qui est assez normal pour du nucléaire, voire court. Une commission devrait se réunir avant la fin de l’été.
Comment avez-vous convaincu autant de partenaires ?
C’est aussi l’une des bases et des forces de notre dossier ; nous sommes très collaboratifs. Nos partenaires sont Westinghouse France, la branche nucléaire de General Electric en cours d’acquisition par EDF, deux laboratoires du CNRS et la PME Nexson Group, spécialiste des échangeurs de chaleur. Nous sommes hypermotivés, pour nous et pour le territoire, et prévoyons l’embauche de 25 personnes en phase 1 et espérons être une cinquantaine en phase 2, toujours en travaillant en collaboration avec les meilleurs du secteur.
Propos recueillis par Anne Florin.