« Aujourd’hui, soit on est « New Space », soit on disparait. » Cette phrase d’Abdelkader Berkane Krachai, responsable du département Industrie chez Bpifrance, résume à elle seule l’état d’esprit actuel du secteur spatial français, où vitesse d’exécution, agilité, prise de risques et baisse des coûts sont devenus les mots d’ordre. Fers de lance de ce New Space, les start-up françaises se sont faites une place entre les grands groupes historiques — Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space — et les PME industrielles. En dix ans, elles ont levé 650 millions d’euros.
Une effervescence qui s’explique en partie par le soutien de Bpifrance — qui a « financé OneWeb, l’une des premières constellations de satellites du New Space », précise Abdelkader Berkane Krachai — et du CNES. 1,5 milliard d’euros va être injecté dans l’écosystème. L’objectif ? Faire émerger des champions en mesure de rivaliser avec la concurrence américaine et chinoise.
Dernier exemple en date de ce soutien : trois start-up (Latitude, HyPrSpace et Sirius), et une filiale d’ArianeGroup (MaiaSpace), ont remporté l’appel d’offres du CNES dédié aux micro et mini-lanceurs avec 400 M€ à la clé. À l’image du lanceur Ariane 6, désormais opérationnel, ces start-up symbolisent le retour d’un accès autonome à l’espace pour l’Europe qui espère ainsi réduire sa dépendance aux firmes américaines, SpaceX et Rocket Lab en tête. « Il faut développer des solutions communes pour que l’industrie européenne atteigne une masse critique », glisse Abdelkader Berkane Krachai. « Si nous restons sur des programmes nationaux, nous ne ferons pas le poids. »
Nano-satellites, lanceurs, sécurité spatiale, transport de marchandises, traitement de l’image…
Signe de l’engouement autour du New Space, les levées de fonds s’accélèrent depuis 2023. Fabricant d’un futur « bus de l’espace » pouvant convoyer jusqu’à 400 kg de microsatellites, le Toulousain Exotrail a signé un tour de table à 54 M€. Annoncé comme le « SpaceX européen », l’entreprise franco-allemande The Exploration Company, qui a levé 40 M€, développe, de son côté, un vaisseau cargo susceptible de ravitailler les futures stations spatiales. Les deux plus grosses levées du secteur sont à mettre au crédit du franco-américain Loft Orbital (125 M€), qui s’apprête à lancer une constellation de satellites, et du fabricant toulousain de nanosatellites Kineis (100 M€). Le secteur des nanosatellites concentre d’ailleurs de nombreux acteurs (Prométhée Earth Intelligence, U-Space, Anywaves…). Mais les jeunes pousses françaises innovent dans tous les secteurs : sécurisation de l’espace (Look Up Space, Aldoria), stations-sol (Cailabs, Skynopy), connectivités et télécommunications (Greenerwave), analyse météorologique (Miratlas), moteurs et propulseurs (HyPrSpace, OsmosX, ION-X), logiciel (Leanspace)…
Reste à savoir si cette effervescence entrepreneuriale sera suffisante face à la concurrence internationale… Les quelques mots prononcés, en mars dernier, par le président du CNES, Philippe Baptiste, sont encore dans toutes les têtes : « Si l’industrie spatiale européenne, qui est largement française, ne bouge pas plus vite, on va tous crever. »
Top 5 des start-up du New Space à suivre
Spartan Space
Déjà à l’origine d’un habitat lunaire gonflable (photo) en partenariat avec le CEA de Grenoble et Air Liquide, la jeune pousse marseillaise va concevoir les combinaisons spatiales intra-véhiculaires des astronautes européens pour les futures missions lunaires habitées de la NASA (Artemis 4 et 5). Lancée en 2021 par Peter Weiss, expert des milieux extrêmes, l’entreprise a été sélectionnée par le Centre national d’études spatiales (CNES). Spartan Space, qui a enregistré un million d’euros de chiffre d’affaires en 2023, s’appuiera sur l’expertise de Decathlon en matière d’ergonomie et de design.
ThrustMe
Basée à Verrières-le-Buisson, ThrustMe, spin-off de l’X, a mis sur pied un système de propulsion électrique à base d’iode unique destiné aux nanosatellites. Fondée par la physicienne norvégienne Ane Aanesland (photo) et l’ingénieur ukrainien Dmytro Rafalskyi, la start-up, qui a levé 5 M€ depuis 2017, ambitionne de produire 365 moteurs par an.
Interstellar Lab
La start-up fondée par Barbara Belvisi (photo) collabore avec le secteur de la parfumerie mais aussi… avec des agences spatiales comme la NASA et l’ESA. Lauréate de l’appel à projets de France 2030, Interstellar Lab développe des systèmes de production de nourriture (plantes, champignons…) pour des missions spatiales de longue durée.
Innite Orbits
Fondée par Adel Haddoud (photo), la start-up toulousaine veut prolonger la durée de vie des satellites. Elle a levé 12 M€ en 2024 pour accélérer le déploiement de sa solution visant à faciliter le ravitaillement et le déplacement de satellites. Baptisé Endurance, son engin, qui pourra s’amarrer à d’autres satellites, sera opérationnel en 2026.
Dark
Fondée en 2021 par deux anciens cadres du missileur MBDA, Clyde Laheyne et Guillaume Orvain (photo), Dark (22 salariés) se positionne sur le marché du nettoyage orbital. L’entreprise parisienne a développé un système d’interception de débris spatiaux baptisé « Interceptor » qui devrait être opérationnel en 2026. Dark a déjà signé un partenariat avec le CNES. En avril dernier, l’entreprise a levé 11 M€ auprès d’investisseurs prestigieux : le fonds Long Journey, qui fut l’un des premiers actionnaires de SpaceX, Arielle Zuckerberg, la sœur de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, et Kima Ventures de Xavier Niel.