Par Jean-Philippe DELSOL, avocat et essayiste français. Il est président et administrateur de l’Institut de recherches économiques et fiscales.
En 1974, l’industrie représentait environ 25 % des emplois et de la valeur ajoutée contre13,4 % du PIB et 10,5 % de l’emploi en 2018. Les secteurs les plus touchés ont été le textile, la métallurgie et autres industries manufacturières, tandis que les effectifs de l’industrie agro-alimentaire et pharmaceutique ont progressé. Le mouvement a été le même partout en Europe de l’Ouest, y compris l’Allemagne (- 5,4 points de part de PIB entre 1991 et 2018). Mais certains pays comme la Corée, le Japon et l’Allemagne ont subi une désindustrialisation moindre et moins rapide que la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Italie, l’Espagne…
D’une manière générale, l’industrie régresse partout au profit des services qui, notamment au travers du numérique et de l’IA, sont de plus en plus associés à la production industrielle. Mais précisément, l’avenir appartiendra à ceux qui auront innové. Ni la croissance, ni le progrès technique qu’elle suppose ne tombent du ciel. Ils supposent des investissements importants que seuls des profits à due proportion rendent possibles. Il faudrait donc commencer en France par cesser de critiquer, et de vouloir contrôler les bénéfices des entreprises, dont elles ont besoin pour investir.
Recherche et innovation insuffisantes
Il faudrait ensuite que la R§D soit plus importante et que la formation des hommes l’accompagne. Comme le souligne une étude sur la compétitivité industrielle réalisée par l’IREF, l’Europe n’y investit pas suffisamment. Entre 2019 et 2022, la part américaine des investissements mondiaux est passée de 20 % à 30 % – contre 50 % pour l’Asie et seulement 13 % pour l’Europe. Entre 2016 et 2022, l’Europe n’a capté que 7 % des investissements mondiaux dans le secteur des semi-conducteurs – contre 30 % aux US et 63 % en Asie. La France se gargarise de ses systèmes d’aide à la R§D mais en 2020, elle était dans la moyenne européenne de 458€ en dépenses des entreprises en R&D par habitant et par an, tandis qu’une douzaine de pays européens y investissaient beaucoup plus, à raison de plus de 1600€ en Suisse, près de 1200 en Suède et 1 000 € en Belgique par exemple.
La centralisation de la recherche universitaire nuit sans doute aussi à l’innovation française. La dépense de recherche intérieure allemande (DIRDE) atteint 3,1 % du PIB en 2019 (dont près de 2 % par le secteur privé), c’est-à-dire au-delà de l’objectif de Lisbonne fixé à 3 %, et largement au-dessus de celle de la France, qui s’établit à 2,2 %. La grande force de l’Allemagne est de créer des synergies entre recherche privée et recherche publique, facilitant le passage entre recherche et innovation.
Alléger les charges fiscales et sociales
Enfin, l’industrie française est surtaxée. Les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques sont plus élevées en France qu’ailleurs du fait de dépenses sociales qui entravent l’activité économique plus qu’elles n’y concourent. Le poids de la TVA est bien moins important en France (15,4 %), qu’en Espagne (19 %), en Suède (21,1 %) et au Danemark (21,7 %). Mais les impôts de production à la charge des entreprises, malgré leur baisse récente, représentaient encore 3,1 % du PIB en France en 2021 contre 1,5 % pour la zone euro et 0,7% pour l’Allemagne. De plus, la charge de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), de la CFE et de la CVAE pèse, en proportion de sa contribution au PIB et à l’emploi, deux fois plus sur l’industrie manufacturière que sur les autres secteurs de l’économie.
En réalité, les entreprises françaises investissent beaucoup, mais elles le font à l’étranger. Les investissements directs à l’étrangers (IDE) des entreprises françaises représentaient en 2019 un stock de 57 % du PIB, contre 45 % en Allemagne. Mais depuis 20 ans le commerce extérieur français ne cesse de se dégrader pour culminer à des déficits de 84,7 Md€ en 2021 et de 163,8 Md€ en 2022. Il était de 32,1Mds€ en 2014. Faute de marges suffisantes en France, les grandes entreprises françaises n’exportent pas depuis la France, mais s’implantent à l’étranger. En 2017, par exemple, les 4900 multinationales françaises possédaient 51 % de leur activité et 56 % de leurs emplois à l’étranger et contrôlaient 46 300 filiales dans 190 pays. Environ 40 % de l’emploi salarié marchand des entreprises françaises, hors banques et assurances, était localisé à l’étranger, un taux qui monte à 62 % dans l’industrie. En comparaison, les taux allemands (21 et 38 %) et britanniques (19 et 52 %) sont bien moindres.
Les dispositifs publics d’intervention dans l’économie en France sont si nombreux qu’on ne les dénombre pas. Ils seraient plus de 600 hors collectivités territoriales, et auraient représenté un coût de 139 Mds€, soit 5,9% du PIB (223 Mds€ si l’on intègre la dépense fiscale) en 2019 (avant le quoi qu’il en coûte) selon France stratégie. Mais ne vaudrait-il pas mieux limiter ces aides et abaisser d’autant les charges fiscales et sociales sur les entreprises ? En Allemagne les aides publiques aux entreprises sont moins importantes (3,2 % du PIB en 2000 contre 2,1 % en 2018) et plus ciblées. Si en plus, la France réduisait son labyrinthe réglementaire, les entreprises françaises y reviendraient peut-être plus volontiers.
Jean-Philippe Delsol
Avocat, président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF