Quelle est votre vision de l’engagement ?
Ronan Le Moal : Pour nous, s’engager signifie rendre quelque chose au territoire dans lequel nous avons passé une grande partie de notre vie. Nous voulons que le Grand Ouest devienne une terre plus prospère, plus attractive, un endroit où les gens ont envie de vivre et travailler. Privilégier les territoires est la meilleure réponse aux grands enjeux sociétaux, économiques et écologiques.
Qu’est-ce qui fait d’Épopée Gestion une entreprise engagée ?
Nous sommes engagés à plusieurs niveaux. Nous apportons du capital pour investir dans les entreprises de l’Arc atlantique. Avant la création d’Épopée Gestion, les assureurs, les banques et les family offices, qui nous accompagnent, plaçaient leur argent ailleurs. En seulement quatre ans, nous avons redirigé 700 millions d’euros vers les territoires. Ensuite, nous orientons ce capital en fonction d’indicateurs vertueux avec un fort engagement ESG. Nous mesurons à la fois la performance financière et l’impact écologique et sociétal. Enfin, nous considérons qu’il n’y a pas de territoire dynamique si personne ne vit dans ce territoire. Créer des entreprises dans des zones désertiques n’a aucun sens. C’est pourquoi nous avons créé un fonds de dotation alimenté par une partie de la commission de surperformance (frais prélevés si le fonds surpasse un objectif de performance, ndlr) que nous percevons. Ce fonds aide les commerces de proximité et les tiers-lieux à s’implanter dans les villes.
Quels sont vos critères d’investissement ?
Nous tenons bien entendu compte de critères économiques classiques afin que les entreprises correspondent à notre thèse d’investissement. Si c’est une start-up, elle doit chercher des innovations de rupture ; si c’est une PME, elle doit être implantée sur le territoire et réaliser 100 à 150 millions d’euros de chiffre d’affaires. Mais ces entreprises doivent également accepter de suivre le plan de progrès que nous établissons avec elles. Il s’agit d’une feuille de route contenant des indicateurs écologiques et sociétaux.
Avez-vous des exemples d’entreprises reflétant l’engagement d’Épopée Gestion ?
Je citerai deux exemples emblématiques : Qovoltis, qui déploie des bornes de recharge électriques, et Shopopop, une entreprise nantaise proposant un service de livraison collaborative de courses permettant de baisser l’empreinte écologique.
Quels garde-fous avez-vous mis en place pour éviter le « greenwashing » ?
Nous évitons le « greenwashing » grâce à la simplicité de notre thèse : nous considérons que la meilleure manière de répondre aux enjeux écologiques, économiques et sociétaux repose sur la déconcentration du pays.
C’est-à-dire ?
S’il y a plus de grands champions dans les régions, comme Le Duff, Samsic ou Squiban, il y aura plus d’emplois, les gens consommeront davantage de produits locaux, vivront plus près de leur lieu de travail et consommeront moins d’énergie. Ce changement de modèle économique va créer des écosystèmes plus vertueux d’un point de vue écologique, sociétal et économique.
Quel rôle les entrepreneurs doivent-ils jouer dans la transformation de ces modèles économiques ?
L’entrepreneur est celui qui rend ce changement possible. Sans entrepreneurs, le changement n’existe pas. Pourquoi ? Parce que l’entrepreneur a une double qualité : il développe des entreprises, et il est capable de saisir les moments de rupture pour créer de nouveaux modèles économiques. Aujourd’hui, nous sommes dans un moment de bascule avec des ruptures fortes. Ce contexte ouvre le champ des possibles. Les entrepreneurs doivent saisir à bras-le-corps toutes ces transitions pour créer des entreprises engagées et acter le changement de paradigme.
Au sein des entreprises à impact, il existe une tension latente entre l’engagement et les impératifs de rentabilité. Comment faire cohabiter ces deux éléments ?
C’est la question centrale, synthétisée par la fameuse phrase : « La fin du mois contre la fin du monde ». Comment concilier l’impérieux besoin de transition écologique et sociétale avec la réalité économique et sociale ? D’autant que ces transitions peuvent avoir un effet inflationniste à court terme en raison de l’investissement qu’elles supposent. Ce phénomène peut empêcher une partie de la population d’accéder à certains produits devenus trop chers. C’est pourquoi il est crucial que les acteurs privés, dont nous faisons partie, financent ces transitions pour réduire et répartir l’effet inflationniste.
Les entreprises engagées sont-elles plus performantes ?
Il n’est pas démontré que faire le « bien » nuise à la performance économique d’une entreprise. Il n’y a d’ailleurs pas de raison que ces entreprises soient moins performantes économiquement. C’est ce que montrent les dernières études publiées. En revanche, cela réduit le champ des possibles. Nous excluons peut-être davantage de transactions, nous refusons des opportunités, mais nos investissements ne sont pas moins performants économiquement pour autant.
Quelles raisons vous conduisent à refuser un investissement ?
Lorsqu’une entreprise ne correspond pas à nos critères. Si elle pollue, si elle envisage de délocaliser, si elle utilise de la main-d’œuvre dans des pays avec lesquels nous ne souhaitons pas travailler ou si nous estimons que son activité se fait au détriment du bien-être des individus.
Quels freins empêchent un engagement plus fort des entreprises ?
Le principal obstacle, c’est notre modèle depuis 30 ans. Nous avons cherché à optimiser la valeur économique en oubliant l’impact écologique et sociétal. On a cru pendant très longtemps que les ressources naturelles étaient inépuisables et que la main invisible du marché allait faire en sorte que la société se porte bien à long terme. Le rapport Meadows a été publié en 1972. Et pendant 30 ans, on a oublié le message qu’il contenait, on s’est assis dessus.
Comment débloquer la situation ?
Il faut qu’il y ait de plus en plus d’acteurs comme nous qui financent des entreprises engagées, les jugent sur autre chose que la performance économique et démontrent qu’il n’y a pas d’antinomie entre la performance sociétale et écologique, et l’économie.