Traditionnellement opposés à l’atome, les mouvements écologistes européens sont rattrapés par leurs contradictions. Et par une jeune génération de leaders et militants plus préoccupés par le futur et l’efficacité à court et moyen termes que par les arguties idéologiques de leurs prédécesseurs.
Ça n’est pas encore une révolution – mais plus sûrement une inflexion, une adaptation plus ou moins contrainte aux circonstances nouvelles, un virage concédé au nom du pragmatisme et du réalisme climatique. Aux quatre coins de l’Europe, les partis écologistes, traditionnellement opposés à l’atome, sont de plus en plus nombreux à infléchir leur position sur l’énergie nucléaire. Ainsi en Finlande, où la Ligue verte, le parti écologiste local, qui aligne vingt députés au Parlement et trois ministres au sein du gouvernement de Sanna Marin, a en juin dernier officiellement reconnu à l’atome le statut d’« énergie durable ». S’ils se défendent d’être soudain devenus les premiers défenseurs du nucléaire, les Verts finlandais admettent que leur « nouveau programme politique est plus neutre qu’auparavant à l’égard de l’énergie nucléaire », comme l’a, à cette occasion, fort diplomatiquement concédé le secrétaire général du parti, Veli Liikanen.
Cet aggiornamento, à maints égards historique, n’est pas si surprenant qu’il n’en a l’air. Ce revirement s’inscrit dans un contexte de montée en puissance d’une tendance « pro-science » au sein même du parti écolo finlandais qui, depuis près de trois décennies, participe activement aux gouvernements successifs et est, à ce titre, contraint d’abandonner le terrain purement idéologique pour celui, moins passionnel, de l’action et de l’efficacité. De fait, 27% de la consommation électrique de la Finlande sont d’ores et déjà produits par les quatre réacteurs en activité dans le pays, et trois Finlandais sur quatre (74%) se déclarent favorables à l’énergie nucléaire. Les Verts finlandais adaptent donc leur logiciel politique à leur électorat. La tendance a même gagné la section locale de « Friday for Future », le mouvement de Greta Thunberg, qui a récemment rejoint la position de l’activiste suédoise sur le nucléaire, dont le changement -partiel- de doctrine sur l’atome a fait la Une des médias internationaux.
Belgique, Japon, Allemagne – et même France : ces pays où les écolos se convertissent au nucléaire
Le virage des écologistes finlandais n’a, d’ailleurs, rien d’une exception européenne. Il illustre et renforce un mouvement de fond à l’œuvre sur un Vieux continent dont les habitants sont, désormais, directement affectés par les effets du réchauffement climatique. En Flandre belge, par exemple, Nadia Naji, la jeune co-présidente du parti vert Groen, a récemment déclaré n’avoir « pas d’opposition de principe au nucléaire de nouvelle génération » : « nous avons dû être pragmatiques », a reconnu l’étoile montante de la politique flamande, selon qui la question nucléaire « est pour (elle) moins émotionnelle. Je regarde le problème beaucoup plus rationnellement. (…) Je mets les options les unes à côté des autres (…). Si demain on vient chez moi avec un business plan qui montre que de petites centrales sont sécurisées, ne produisent pas de déchets et sont rentables, on le fait », assure encore la cheffe des Verts flamands.
Ce nouveau réalisme parviendra-t-il à convertir les plus irréductibles des anti-nucléaires français ? Si EELV est encore loin du pragmatisme en vogue chez nos voisins, le parti écolo a relevé que « certains jeunes pronucléaires ont infiltré la commission énergie (…) mais on a été fermes en martelant notre position. (…) Ils ont compris qu’ils ne pourraient pas faire bouger les lignes en internes », confie un cadre d’EELV au magazine Society. Le village gaulois anti-nucléaire résiste donc, mais, à EELV comme au sein de LFI, la ligne de fracture entre pragmatiques et idéalistes s’étend.
Loin de l’Europe enfin, au Japon, un pays traumatisé par la catastrophe de Fukushima en mars 2011 – ou plutôt par le tsunami précédent l’explosion de la centrale, cette dernière n’ayant, comme l’a reconnu l’ONU en 2021, causé aucun décès direct ni indirect –, le nucléaire revient aussi en grâce. Une dizaine de réacteurs est toujours connectée au réseau, et une vingtaine en « veille » ; la filière, modernisée, devrait fournir 20% de l’électricité de l’archipel d’ici 2030 ; et une nouvelle centrale devait entrer en service en 2021, à Oma, dans le nord du pays.
Une vague de constructions en Europe
Sur le nucléaire, le vent semble, donc, bien en train de tourner. Même le gouvernement de coalition (sociaux-démocrates, Verts et libéraux) de l’Allemagne, qui faisait jusqu’alors office de véritable place forte historique de l’anti-nucléaire, a récemment adopté la prolongation de trois réacteurs. Et le mouvement est à l’œuvre partout en Europe : deux nouvelles centrales sont prévues en Pologne, six réacteurs sont dans les cartons en France, un nouveau réacteur est envisagé par la République tchèque, la Slovaquie vient de mettre en service un troisième bloc sur le site de Mochovce, etc.
Comment expliquer un tel changement de trajectoire ? La guerre en Ukraine, bien-sûr, et l’augmentation du prix de l’énergie, ont considérablement pesé dans la balance ; mais pas uniquement. L’impératif de souveraineté, les risques de réouvertures de centrales au charbon, et évidemment l’urgence climatique couplée à l’impossibilité matérielle de passer au 100% renouvelables avant plusieurs décennies, tout cela a, semble-t-il, achevé de convaincre les plus « anti-nuc » des écologistes – ou, du moins, a contribué à mettre un peu d’eau dans leur tisane bio.
V. Cazale