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Odile Duvaux : « Je souhaite que Xenothera soit un fleuron français »


La biotech nantaise Xenothera a développé un traitement contre le Covid-19, le Xav-19, qui serait efficace pour lutter contre les formes modérées et éviter le transfert des patients en réanimation. Soucieuse de développer « une activité industrielle et des emplois en France », Odile Duvaux, présidente de Xenothera, attend désormais l’autorisation d’accès...

Entreprendre - Odile Duvaux : « Je souhaite que Xenothera soit un fleuron français »

La biotech nantaise Xenothera a développé un traitement contre le Covid-19, le Xav-19, qui serait efficace pour lutter contre les formes modérées et éviter le transfert des patients en réanimation. Soucieuse de développer « une activité industrielle et des emplois en France », Odile Duvaux, présidente de Xenothera, attend désormais l’autorisation d’accès précoce permettant à son traitement d’être administré en France. Mais la lenteur des procédures et le millefeuille d’agences sanitaires ne facilite pas le travail de la biotech. Entretien.

En quoi consiste votre traitement, le Xav-19 ?

Il s’agit d’un anticorps qui possède trois activités thérapeutiques : la neutralisation du virus — il l’empêche de rentrer dans les cellules —, sa destruction et enfin une action anti-inflammatoire. Le Xav-19 empêche les gens atteints d’un Covid modéré de voir leur état s’aggraver et d’aller en réanimation.

A qui s’adresse-t-il ?

L’immense majorité des gens infectés par le Covid récupèrent au bout d’une semaine. Entre 6 et 9 jours, une petite proportion de patients passe à un stade d’aggravation et se rend à l’hôpital en raison d’une atteinte respiratoire. C’est à ce moment qu’il est intéressant de donner du Xav-19 afin d’éviter le passage en réanimation.

Le Xav-19 n’a donc pas vocation à être administré de façon systématique ?

Non. C’est la logique inverse de celle proposée par la pilule anti-Covid-19 de Pfizer ou les anticorps d’AstraZeneca : ils veulent en donner à tout le monde. De notre côté, nous pensons qu’une grande partie de la population, pour qui la maladie est bénigne, n’aura pas besoin de Xav-19.

« Nous avons 25 000 doses en stock »

Votre approche est donc plus ciblée que celle de Pfizer ou AstraZeneca.

Absolument. Nous utilisons des anticorps naturels et nous estimons que pour des gens n’ayant pas de problèmes de santé chroniques, il est important de faire appel à l’immunité naturelle. Si le risque est limité à un certain nombre de patients et que vous traitez tout le monde, vous allez traiter beaucoup de personnes inutilement.

Votre traitement est-il unique en son genre ?

Il est révolutionnaire dans le sens où les anticorps polyclonaux sont moins sensibles aux variants que les anticorps monoclonaux. Notre traitement repose sur une technologie brevetée qui lui donne un avantage par rapport aux autres anticorps actuellement en développement.

Etes-vous en avance par rapport à la concurrence sur ce type d’anticorps ?

Non. Il y a une dizaine d’entreprises, notamment en Amérique du Sud et aux États-Unis, qui se trouvent à des stades d’avancement similaires au nôtre (essais cliniques de phase 3, ndlr).

Le Xav-19 pourrait-il déjà être administré sans risque pour les patients ?

Oui. Nous avons 25 000 doses en stock (l’État français a précommandé 25 000 doses de Xav-19 en mai 2021, ndlr). Nous ne sommes pas en retard, tout est prêt. Le retard vient du CHU de Nantes et de ses autorités de tutelle, le ministère de la Santé notamment. Cela prend du temps… Nous sommes donc dans l’attente des résultats du CHU pour obtenir l’AAP.

C’est ce qui explique que votre traitement ne soit pas encore sur le marché ?

En premier lieu, je tiens à dire que nous avons été très en avance : nous étions le premier anticorps au monde prêt pour la clinique. Ensuite, nous sommes une petite entreprise qui n’a pas la puissance financière des grands groupes pharmaceutiques. Xenothera a été soutenu par un financement public du gouvernement français de 8 millions d’euros en juin 2020. Au même moment, notre concurrent américain, qui n’est pas aussi avancé que nous, touchait 30 millions de dollars du gouvernement américain…

C’est donc essentiellement un problème de financement ?

Quand vous êtes une entreprise pharmaceutique, il existe deux solutions. Soit vous avez les fonds propres et vous pouvez engager des dizaines de millions d’euros, soit vous n’avez pas les moyens et vous dépendez des financements publics. Or, les financements publics sont plus difficiles d’accès et moins importants en France et en Europe.

« Nous avons reçu 8 millions d’euros en juin 2020. Au même moment, notre concurrent américain touchait 30 millions de dollars »

Quelles étapes vous reste-t-il à franchir avant l’autorisation ?

Les premières indications de nos essais cliniques étant très favorables, nous avons demandé une autorisation d’accès précoce (AAP). Cette autorisation est délivrée au niveau français et reste limitée car elle ne couvre que des besoins médicaux non couverts à ce stade. Nous espérons l’obtenir dans les semaines qui viennent.

En parallèle, nous discutons avec l’agence européenne du médicament (EMA). Elle attend nos résultats de phase 2 et 3. Nous devrons ensuite constituer et déposer un dossier afin d’obtenir une AMM (autorisation de mise sur le marché).

Quand pensez-vous obtenir cette seconde autorisation ?

Pas avant fin 2022. Même si cet objectif sera compliqué à atteindre compte tenu du retard pris par les essais cliniques (ces essais sont réalisés au CHU de Nantes, ndlr).

Quelles sont les capacités de production de Xenothera ? Etes-vous prêt à lancer la phase d’industrialisation ?

On s’y prépare. Notre capacité de production passera à 500 000 doses par an en 2023. A titre de comparaison, cela correspond à 500 millions de doses de vaccin, car une dose de notre produit correspond à un seul patient et le besoin en Xav-19 est 1000 fois inférieur au besoin en vaccin.

Pour soutenir la phase d’industrialisation, envisagez-vous de vous adosser à un grand groupe pharmaceutique ?

Il est certain que nous sommes une entreprise trop petite pour créer des filiales et distribuer notre produit partout dans le monde. Cela n’aurait aucun sens. Nous discutons donc en ce moment avec un certain nombre de structures capables de soutenir cet effort. Nous avons déjà signé un accord avec un groupe vietnamien (Vingroup, ndlr) qui pourrait servir toute l’Asie du Sud-Est.

« Je n’ai pas du tout l’intention de vendre Xenothera à un groupe chinois ou américain »

Donnerez-vous quoi qu’il arrive la priorité à la France ?

Nous avons donné l’exclusivité de notre production à la France. Je souhaite que Xenothera soit un fleuron français. Raison pour laquelle je n’ai pas du tout l’intention de vendre Xenothera à un groupe chinois ou américain.

Comment l’arrivée de votre traitement a-t-elle été perçue par les autorités de santé ?

Ce n’est pas très classique de voir une petite entreprise faire entendre sa voix de manière aussi forte. Mais pour être entendu, ce travail de proposition de notre technologie contre le virus a eu besoin d’être fortement relayé par la presse.

Le point positif, c’est que nous évoluons dans un écosystème porteur comptant de nombreuses biotechs françaises de grande qualité. Nous n’avons donc pas été considéré comme quantité négligeable. Par ailleurs, nous avons été fortement soutenu par les élus locaux : Christelle Morançais (présidente de la région Pays de la Loire, ndlr), Johanna Rolland (maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole, ndlr) et Bruno Retailleau (sénateur de la Vendée et ancien président de la Région Pays de la Loire, ndlr).

Jusqu’à l’année dernière, le discours politique était axé autour du fait que la France avait une technologie à faire valoir et qu’il fallait construire une « start-up nation ». Ce discours se manifeste concrètement car nous avons été très soutenu.

Avez-vous des échanges réguliers avec le ministère de la Santé ?

Nous traversons une phase plus compliquée, notamment en raison de l’attente des résultats des essais cliniques. On aimerait donc qu’ils nous soutiennent davantage… Mais ils sont dans une phase pré-électorale, les enjeux sont fortement teintés politiquement. De notre côté, nous traçons notre chemin sans récupération politique.

Que demandez-vous ?

Que les choses avancent. Mais nous sommes face à des gens qui ont des agendas plus complexes qu’il y a un an.

Craignez-vous un scénario à la Valneva, cette biotech nantaise soutenue par Bpifrance qui, après avoir développé un vaccin, a été ignorée par le gouvernement français ?

C’est complètement différent. Valneva est franco-autrichien. Par ailleurs, nous savions dès 2020 que Valneva travaillait avec une usine implantée au Royaume-Uni. Ils ont reçu une proposition industrielle porteuse pour développer leur vaccin là-bas. Dans la suite de ce qu’ils avaient enclenché depuis plusieurs années, ils se sont donc très vite mis d’accord avec le gouvernement britannique pour produire sur place et faire bénéficier en priorité la population britannique.

Je ne pense donc pas qu’on puisse réellement parler de déboires. En revanche, le choix du gouvernement britannique de renoncer à son engagement d’acheter des doses de vaccin a été un coup dur pour Valneva. Si pareille chose devait nous arriver avec le gouvernement français, ce qui me semble plus improbable, nous aurions toujours la possibilité de nous retourner vers d’autres pays.

Discutez-vous d’ores et déjà avec d’autres pays ?

Des représentants de pays rentrent en contact avec nous toutes les semaines. Cela concerne des pays asiatiques à très fort pouvoir d’achat, des pays d’Amérique latine à faible et fort pouvoir d’achat, des pays africains et d’Europe de l’Est… Nous maintenons tous ces contacts pour l’instant, tout en donnant la priorité à la France.

« On ne peut pas exclure que nos milliers doses déjà produites soient utilisées dans un autre pays »

Si la France refuse de vous donner l’autorisation d’accès précoce, vous n’auriez donc aucun mal trouver des débouchés à l’étranger…

Nous pourrions rebondir car nous avons les doses à disposition. On ne peut jamais exclure que les autorités de santé françaises ne nous donnent pas l’autorisation et que nos milliers doses déjà produites soient utilisées dans un autre pays. Ce serait un peu désolant… Mais nous n’avons pas la main là-dessus.

Les procédures réglementaires en vigueur en France en ce qui concerne les essais cliniques et la mise sur le marché des médicaments ont-elles été un frein pour Xenothera ? Auriez-vous pu aller beaucoup plus vite à l’étranger ?

Dans notre métier, l’un des sujets est la vitesse. Et force est de constater que la France ne fait pas partie des meilleurs acteurs mondiaux en matière d’essais cliniques. C’est le revers de la médaille du principe de précaution. Nous avons donc des procédures réglementaires plus longues que dans certains pays. Mais la France n’est pas la seule : notre essai clinique sur le Xav-19 est actuellement ouvert dans cinq pays (Bulgarie, Roumanie, Grèce, Espagne, Turquie), et l’Espagne a mis six mois à nous donner une autorisation pour les essais cliniques… En 2020, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) en avait mis quatre ou cinq. A l’inverse, l’un de nos produits est en cours d’essais cliniques aux Pays-Bas, et nous avons eu l’autorisation en 15 jours.

Est-ce préoccupant pour la France ?

C’est très préoccupant. On ne compte plus le nombre de témoignages d’entreprises qui renoncent à lancer des essais cliniques en France en raison de la durée d’obtention d’une autorisation… Beaucoup d’entre eux n’attendent plus rien de la France car c’est trop compliqué.

Concernant l’utilisation des produits, l’objectif d’Emmanuel Macron était de simplifier les processus. Mais si l’on prend l’exemple de l’accès précoce, la procédure s’est alourdie : il n’y avait qu’une agence, il y en a désormais deux. Vu de l’étranger, c’est complètement incompréhensible.

« Les grands laboratoires pouvant aligner des dizaines de personnes pour faire du lobbying sont beaucoup plus armés que nous pour obtenir gain de cause »

Quelles solutions proposez-vous pour sortir de cette situation sans faire de compromis sur la santé ?

Il faudrait une unité de décision. Dernièrement, une nouvelle agence a été créée. Je ne vois pas en quoi créer des agences va simplifier les choses… Il y a beaucoup d’acteurs et une complexité qui n’est pas adaptée à une biotech comme la nôtre. C’est pour cette raison que les grands laboratoires pouvant aligner des dizaines de personnes pour faire du lobbying sont beaucoup plus armés que nous pour obtenir gain de cause et aller vite.

Quelles sont vos ambitions pour Xenothera ?

La société a une technologie valable pour les dix ans qui viennent. Nous avons également un ensemble de produits répartis sur des domaines variés et sur lesquels nous avons des premiers retours très intéressants. Xenothera a vocation à devenir un laboratoire pharmaceutique de bonne taille avec une activité industrielle et des emplois en France, et un certain nombre de partenariats lui permettant d’être présent mondialement.

Propos recueillis par Thibaut Veysset

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