Fondatrice des pépinières d’entreprises Perigord, Olivia Allard, diplômée de l’ISG, ambitionne de recréer un dialogue entre le service public et les entrepreneurs. Cette audacieuse Squadra, qui porte un message chargé d’optimisme, se dit « convaincue que la santé de l’économie française est conditionnée par le fait que les entrepreneurs se portent bien ».
Comment le concept des pépinières d’entreprises Perigord a-t-il germé ?
L’idée est née de la volonté de faciliter et de simplifier au maximum la vie des entrepreneurs et de leurs salariés en offrant des espaces de travail meublés et équipés avec des prestations où tout est compris (gestion technique centralisée, salle de réunion, bibliothèque juridique, parking, conciergerie…). Plus qu’un cadre de travail, nous proposons une ambiance autour de l’art de vivre dans un écrin de verdure. Nous avons souhaité insuffler un art de travailler les uns à côtés des autres et les uns avec les autres.
Quelle est l’histoire de la Briqueterie de Feucherolles ?
Nous avons hérité de notre arrière-grand-père les locaux de la papeterie de l’école universelle de la briqueterie de Feucherolles datant du 16ème siècle, première école par correspondance devenue le CNED sous Pompidou. Situés au beau milieu des champs, au cœur d’un parc paysager de deux hectares, ces locaux vétustes et dégradés ne répondaient plus aux besoins des nouvelles entreprises. Il était difficile de les relouer et compliqué de tout raser pour reconstruire de zéro. Personne n’y prêtait attention du fait d’une localisation excentrée et d’un manque d’accessibilité important (absence de moyens de transports en commun).
Lorsque nous avons récupéré ce patrimoine familial, j’ai alors tenté de scinder les locaux en petits morceaux et de les proposer à des artistes, des artisans et des professions libérales pour refaire revivre les lieux. Nous avons tâtonné, coupé et redécoupé les surfaces en essayant de faire vivre les espaces et en leur donnant une âme. Nous avons immédiatement rencontré un public et nous nous sommes rendus compte qu’il existait une vraie demande. Nous avons réussi à remplir les lieux assez spontanément grâce au bouche-à-oreille. Cette ancienne briqueterie disposait de bâtiments difficilement reconfigurables, mais nous avons sollicité la participation de tous les artisans afin de repenser les espaces.
Pourquoi avez-vous opté pour une approche collaborative ?
J’ai souhaité que tout le monde participe activement à la construction de ce lieu de vie et de partage car surtout cela permettait de rénover les lieux en un temps record et avec de moyens financiers très maîtrisés.
A titre d’exemple, toute la signalétique de la briqueterie est créée par l’une de nos Briquettes (Impactea) sur une imprimante 3D. Les travaux sont réalisés par le courtier en travaux, Tipi, installé à la pépinière. La tapissière a refait tous les salons d’accueil, et notre plaquette de communication a été produite par Jean-Philippe Clamen, lui aussi locataire de cet espace commun. Les capsules de café et de thé sont également produites en interne et une confiturière, qui nous a rejoints il y a un an, confectionne les confitures proposées dans nos cafétérias. Les différents acteurs ont travaillé à faibles coûts car c’est également leur carte de visite. Il existait un intérêt commun à embellir et à scénariser cet espace de vie. À la Briqueterie, tout le monde est responsable de son voisin et des espaces communs partagés.
Un véritable miracle s’est produit à travers ce projet collaboratif. Aujourd’hui, on a le sentiment d’être dans une grande entreprise lorsque l’on arrive à la Briqueterie. Il faut s’approcher de près pour s’apercevoir qu’il s’agit d’une ruche grouillant d’entrepreneurs, de professions libérales et de TPE travaillant ensemble. Nous nous réjouissons que 85 % des utilisateurs des lieux soient client, prestataire ou fournisseur de son voisin. Les synergies sont multiples et l’émulation est très productive entre les différents « résidents ».
Comment sélectionnez-vous les dossiers ?
C’est assez intuitif. Je rencontre la personne, je cherche à comprendre son projet et à cerner sa motivation pour nous rejoindre. Nous affichons complet et nous avons une liste d’attente de candidats. Lorsqu’un espace se libère, nous essayons d’intégrer de nouvelles activités complémentaires de celles déjà présentes dans les lieux.
Appartenir à la communauté de la pépinière Perigord est-il un gage de réussite ?
Je me souviens d’une anecdote touchante. Il y a un an, j’ai rencontré une personne qui souhaitait nous rejoindre. A l’époque, son projet ne me semblait pas suffisamment porteur pour être assurée que cela fonctionne. Je l’avais donc refusée. Elle est revenue me voir quelques mois après avec un nouveau projet que j’ai accepté. Elle a fondu en larmes en me disant : « si vous m’acceptez, je sais déjà que je vais réussir ». Je savais instinctivement qu’elle rencontrerait un public porteur et que le fait de travailler dans les 6000 m2 de pépinière serait un gage de sa capacité à régler sa facture à la fin du mois.
Quelles sont les modalités de fonctionnement des pépinières ?
Nous fonctionnons sous forme de forfait mensuel donnant accès librement aux différentes prestations. Nous offrons une grande souplesse à nos occupants qui peuvent partir lorsqu’ils le souhaitent sans être engagés dans la durée. Je suis très transparente avec eux au sujet du prix du loyer : si les charges de la pépinière venaient à déraper suite à des consommations excessives d’électricité, de photocopies, de capsules de café ou autres, je serais contrainte de réindexer les charges. Chacun doit être attentif et responsable. Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu à réévaluer les charges car tout le monde a joué le jeu. L’implication des résidents dans la vie collective va même au-delà puisqu’ils s’attachent à identifier des solutions nous permettant de diminuer les charges. Nous avons unanimement décidé d’arrêter les gobelets en plastique et en papier. Brigitte Moulinier, l’une de nos « briquettes » dessinatrice art de vivre, nous fait désormais des mugs en porcelaine à prix coûtant personnalisables contre un petit prix forfaitaire.
Quelle est la logique présidant au choix de vos implantations ?
Le choix des sites s’est fait au gré de belles rencontres, de coups de cœur et d’opportunités. Nous avons commencé par la Briqueterie de Feucherolles en 2016, située à 20 minutes de Paris, et nous avons enchaîné avec le site de Paris (8 000 m2), idéalement situé entre la porte de Saint-Cloud et la porte d’Auteuil. Nous avions identifié une vraie demande et une réelle opportunité. Le 59 Exelmans s’est transformé en un temps record et a immédiatement rencontré un public. De magnifiques histoires se sont écrites à Paris où certains entrepreneurs ont commencé dans un 15 m2 et sont à présent dans un 200 m² comme Flatchr, une Start up qui rend le recrutement aussi simple que télécharger un film sur Netflix ou zenest, le massage & bien être en entreprises, ou encore Evoleum, du jus de bouleau qui se développe à l’internationale dans l’alicament.
Le marché des pépinières d’entreprises a le vent en poupe. Comment vous différenciez-vous ?
Nous cultivons un art de vivre et de travailler ensemble. J’ai a cœur que les gens se sentent bien chez nous en créant une ambiance de travail où il fait bon vivre. Je souhaite offrir un cadre de vie apaisé afin que les gens puissent travailler sereinement et efficacement dans nos pépinières. Les open space et les espaces de coworking sont de pures hérésies, je déplore leur brouhaha ambiant et l’absence d’intimité possible. Il est essentiel de disposer d’un espace à soi tout en ayant la possibilité d’ouvrir la porte pour rencontrer d’autres personnes.
Nos pépinières sont des lieux d’échanges et de collaboration. Je connais tous mes clients, leur activité et le nom de leurs enfants. Je favorise les interactions entre les colocataires et je fais en sorte qu’ils se sentent bien. L’idée est de les décharger des tracasseries du quotidien afin qu’ils puissent se concentrer sur le développement de leur activité en ayant l’esprit libre.
Pourquoi avez-vous décidé de solliciter les services publics ?
J’ai réalisé que toutes les petites TPE appréhendent de se développer, d’investir et de recruter. Elles ont peur du Trésor Public, du contrôle fiscal, de l’URSSAF, et sont tétanisées dès qu’elles reçoivent un courrier du RSI… Elles n’ont pas les moyens de se défendre ni de consacrer beaucoup de temps à comprendre et à décortiquer la législation et les obligations qu’elles doivent satisfaire. J’ai donc décidé de rencontrer les services publics pour les sensibiliser aux difficultés auxquelles les petits entrepreneurs se heurtent afin qu’ils puissent se concentrer sur leur métier. Je souhaitais convaincre les services publics de venir dans nos locaux pour apporter des réponses aux interrogations de nos petites entreprises et créer un véritable lien.
Redonner confiance aux petites TPE est essentiel car l’économie du pays ne se résume pas aux start-up et à Station F, c’est aussi cette myriade de petits entrepreneurs dont les carnets de commandes sont pleins qui travaillent à plein régime mais n’osent pas de développer, paralysés par la peur de l’administration. Je suis convaincue que la santé de l’économie française est conditionnée par le fait que les entrepreneurs se portent bien, qu’ils soient en capacité de payer leurs factures, de se développer et de recruter.
Accompagner des projets qui fonctionnent bien me semble avoir plus de sens pour l’avenir que de favoriser les subventions à pertes. Il me semblait indispensable de trouver un accompagnement digne de ce nom auprès des services publics pour soutenir les jeunes entrepreneurs dans leurs démarches. Décontenancés face aux méandres de l’administration, et ne disposant pas de moyens financiers suffisants pour solliciter les conseils avisés d’avocats ou de fiscalistes, les entrepreneurs sont paralysés de peur devant l’institution publique et son pouvoir coercitif. Les services publics ont à mon sens une véritable place à reprendre au cœur de l’entrepreneuriat.
A quelles difficultés vous êtes-vous heurtées ? Quelle fut la contribution de Pierre Bédier, président du conseil départemental des Yvelines ?
J’ai mené une longue bataille avec les services publics des mois durant. Je me suis heurté à l’absence récurrente de réponses et à un immobilisme pesant. La rencontre providentielle avec Pierre Bédier fut l’élément déclencheur. Trois de nos « Briquettes » l’avaient connu durant sa vie professionnelle et politique. Elles l’ont convaincu de venir nous rencontrer en lui expliquant que quelque chose de formidable et d’unique était en train de se jouer à la Briqueterie de Feucherolles. Grâce à son intervention et son implication, nous avons pu rencontrer la DGFIP (direction générale des Finances publiques) sur notre site cet automne et l’URSSAF a accepté de se déplacer en 2020. Pierre Bédier nous a donc permis d’initier des rencontres avec différentes instances du service public et de solutionner de nombreux problèmes auxquels sont confrontées les entreprises.
Nos 6000 m2 de pépinière en plein milieu des champs abritent 77 entrepreneurs, et pourtant, nous n’avons aucune signalétique pour indiquer la localisation de la « Briqueterie »… Je me suis battue trois années durant sur le sujet sans obtenir la moindre réponse… Grâce à Pierre Bédier, la situation s’est débloquée et nous aurons nos panneaux signalétiques avant la fin 2019. Nous lui devons beaucoup et sa rencontre fut providentielle sur de nombreux sujets.
Avez-vous réussi à ouvrir toutes les portes du service public ?
Il nous manque encore La Poste. Le postier se déplace chaque matin pour distribuer le courrier, mais les services de la Poste refusent de prendre le courrier sortant. Soixante-dix-sept entrepreneurs se déplacent donc quotidiennement en voiture pour poster leur courrier en centre-ville… Je ne peux raisonnablement pas imaginer leur faire payer 1 500 euros par an en augmentant leur loyer pour que le postier prenne leur courrier alors que je m’emploie à essayer de réduire les frais sur tous les postes. J’estime que le service public doit m’offrir le fait que la Poste prenne le courrier à la pépinière. Pour l’heure, je n’ai pas encore obtenu de réponse de la Poste, mais je suis convaincue d’y parvenir à force de persévérance.
Que vous semble-t-il légitime d’attendre des services publics vis-à-vis des entreprises ?
Nous avons fait le travail : nos pépinières affichent complet et nous participons activement au développement de l’économie locale. A présent, nous avons besoin que le service public nous aide et accompagne ce développement par une signalétique, la mise à disposition de transports en commun, etc. Nous avons désormais des bus qui facilitent l’accès à la « Briqueterie », ce qui nous permet d’accueillir des stagiaires, des étudiants et des fournisseurs qui peuvent venir sans voiture.
Arriver à ce que le Trésor Public accepte de se déplacer une demi-journée par an pour aider les gens à remplir leur feuille d’impôt et à les accompagner dans leurs démarches administratives constituerait une avancée majeure. Nous conduisons des actions similaires sur notre site de Paris avec l’intervention de la DIRECCTE (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) et de la CCI (chambre de commerce et d’industrie) qui sont venus présenter les aides et les subventions dédiées aux entrepreneurs, et expliquer aux jeunes entreprises innovantes comment constituer leur dossier. Nous finançons également des formations pour nos entrepreneurs à travers des ateliers de communication sur les réseaux sociaux et d’autres thématiques. Nous avons passé un accord avec le groupe Revue Fiduciaire nous permettant de disposer de bibliothèque juridique dans chaque localité.
Une fois par an, j’invite les entrepreneurs à me transmettre les questions qu’ils se posent afin que je puisse ensuite les relayer au Trésor Public ou à l’Urssaf. La DGFIP (direction Générale des finances publiques, Ndlr) est venue nous consacrer sur site une demi-journée et a constitué un très beau document consignant les éléments de réponses aux questions de nos entrepreneurs. Ils ont désigné un interlocuteur dédié dont nous avons le nom, l’adresse mail et le numéro de téléphone selon les sujets abordés et le Sentiment unanime dégagée par cette rencontre est que « l’humain avait repris le dessus « sur le sentiment anxiogène que l’évocation des services du trésor public peut bien souvent dégagé.
Je rêve d’avoir « mon fonctionnaire » à la « Briqueterie » qui vienne une fois par an rencontrer nos entrepreneurs anonymement pour répondre à leurs questions, et à qui ils puissent s’adresser en cas de contrôle fiscal où lorsqu’ils rencontrent un problème de trésorerie. Il est idéal de disposer d’un fonctionnaire de référence afin de savoir vers qui se tourner en cas de difficulté ou de questionnement. Lorsque l’on rencontre un problème avec l’administration, le fait de ne jamais avoir le même interlocuteur et de subir un traitement impersonnel participe à entretenir le caractère anxiogène des services administratifs. Il est indispensable de remettre de l’humain au cœur de cette relation de méfiance entre les entrepreneurs et le service public.
Propos receuillis par Isabelle Jouanneau