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On n’a pas tout dit sur Bernard Tapie


On croyait avoir tout lu, tout vu, tout dit sur Bernard Tapie. Le livre de confessions de l’épouse de son fils Laurent tombe à point nommé pour ressusciter la légende. Unique, l’homme a sans doute plus fait pour la génération Entreprendre en France ces 40 dernières années que la plupart...

Bernard Tapie en 1993

On croyait avoir tout lu, tout vu, tout dit sur Bernard Tapie. Le livre de confessions de l’épouse de son fils Laurent tombe à point nommé pour ressusciter la légende.

Unique, l’homme a sans doute plus fait pour la génération Entreprendre en France ces 40 dernières années que la plupart des colloques organisés en ce sens. Je croisais récemment un entrepreneur de 45 ans, Guillaume Guttin, fondateur du Groupe OOP MY AD! (pour ne pas le citer), aux côtés de mon ami Stephan Français, le président de Thomson Computing, et il n’avait pas de mots assez forts pour me rappeler : « En quoi la démarche de Tapie et le mouvement impulsé par notre magazine l’avaient profondément poussé à se lancer… » Il est loin d’être le seul. Xavier Niel n’avait-il pas été voir l’ancien patron de l’OM à son chevet à l’hôpital pour converser des heures avec lui quelques semaines encore avant son départ ? Et d’avouer : « Je n’aurais jamais été entrepreneur sans Tapie… C’est une figure mythique ! »

C’est une des révélations parmi de nombreuses autres de la belle-fille de Bernard Tapie, Marie Griessinger, mariée à Laurent Tapie, l’homme qui relance avec brio les Automobiles Delage, dans son livre que Bernard Tapie avait poussé à écrire. Marie Griessinger m’a adressé son livre Tapie, comme Bernard (publié aux Presses de la Cité) avec une dédicace à laquelle il est difficile de résister. Je cite :
« Cher Robert, c’est avec une ferveur particulière que je dédicace mon livre à celui qui a créé le plus grand magazine dédié aux entrepreneurs français… »

Au-delà du compliment, je n’ai pas été déçu par le bouquin. D’abord, parce qu’il est bien écrit, qu’il résonne vrai et surtout parce qu’il fourmille de révélations intimes sur cet homme si public mais finalement si méconnu. Autant admiré que détesté, certains détails corroborés par Marie, souvent placée aux premières loges, devraient contribuer à définitivement installer notre personnage comme un véritable héros des temps modernes. Tapie n’était décidément pas le cynique décrit par beaucoup. Et la scène vécue lors du drame du stade de Furiani à Bastia devrait suffire à faire taire les médisants. Même le journaliste Gilles Verdez, alors au journal L’Équipe, a dû réviser son jugement caricatural face à l’implication et au courage du bonhomme.

« Ce jour-là, reconnaît Gilles Verdez, il est devenu mon héros. Et Tapie n’a jamais voulu le raconter, mais avec les joueurs, ils ont sauvé des dizaines de personnes ! »

Et Marie Griessinger de raconter par le détail comment son beau-père est allé chercher les joueurs de l’OM dans le vestiaire pour l’aider à transporter les corps, organisant le départ des blessés avec les pompiers. Il s’est occupé des victimes personnellement le jour du drame, mais s’est ensuite rendu dans les différents hôpitaux suivant l’affaire jusqu’au bout, certifie Marie. On la croit sur parole.

Confronté à la pire épreuve de sa vie, son cancer, personne n’oublie le formidable espoir propagé par l’ancien patron d’Adidas auprès des autres malades. Son interview sur France 2 par Laurent Delahousse, enregistrée au jardin des Tuileries, reste un modèle du genre, à écouter et réécouter. Une leçon de vie face à la maladie et à la mort ! On est loin d’une certaine caricature.

Bernard Tapie n’est pas un surhomme même si son énergie reste sans équivalent. Marie raconte bien sûr aussi les affres de ses affaires avec ses procès ininterrompus, et elle ne cache pas son admiration :
« L’État s’acharne. Tu contre-attaques. Tu portes même plainte contre la brigade financière. Combien d’autres que toi se seraient effondrés ? »

La meute est lancée à ses trousses, c’en est même surréaliste, et l’auteure de s’indigner :
« J’ignorais qu’il existait une catégorie de personnes animée par la seule haine d’un autre… Tu es leur fonds de commerce… »

Et sans beaucoup d’alliés de par ce profil atypique :
« Tu as quitté le groupe des pauvres sans jamais être accepté dans celui des riches, et tu n’as jamais mis un pied dans celui des bourgeois. Tu es seul. »

Seul, mais avec cette volonté sans pareil, et de se souvenir de cette phrase de Tapie :
« On peut enlever son piano à un pianiste, si on ne lui coupe pas les mains, rien ne l’empêchera de recommencer à jouer. »

Il est comme cela, notre Tapie national, rien ne l’empêchera de recommencer à entreprendre. Et c’est bien cet ultra-dynamisme qui déconcerte tant notre microcosme parisien pantouflard et frileux. Tapie réveilla les Français et il pouvait les emmener assez loin. C’est ce qui fut à l’origine de bien de ses malheurs. Comme lui confia en forme d’aveu sur le tard le procureur Éric de Montgolfier : « L’affaire OM-VA ne méritait pas une telle peine. Mais c’était Tapie. »

Tout est dit. Pourtant, difficile d’être plus patriote que le repreneur de l’OM et des piles Wonder. Et Marie de livrer cette anecdote d’un Tapie surveillant les magnifiques yachts de sa magnifique villa de Saint-Tropez, installée dans les Parcs et surplombant la baie. Au passage des yachts de milliardaires, Tapie ne peut s’empêcher de tempêter :
« Avec le fric qu’ils ont, ils n’ont même pas le pavillon français. Celui-là pèse des milliards et il fait construire son bateau dans les chantiers chinois, alors que nous avons les meilleurs en Europe. Le Phocéa battait pavillon français, je l’ai fait entièrement construire à La Ciotat, j’avais un équipage français et ils ont réussi à me coller un procès dessus… Non mais j’ai été vraiment trop con ! »

Tapie était devenu l’homme à abattre au point que, rappelons-le, l’affaire Tapie aura coûté, selon Le Canard Enchaîné, 500 millions d’euros à l’État rien qu’en frais de justice. Soit plus, en 25 ans, que ce que Tapie aurait eu à rembourser. Sans compter que le Crédit Lyonnais, après l’affaire Adidas, a bien fait appel à des sociétés offshores !

On se demande bien pour quel profit ?

Malgré tous ses soucis, Wonderman n’aura jamais songé à abandonner la politique au point de répéter même sur le tard :
« Si jamais j’arrive à sortir des portes de l’enfer, je me présente à la présidentielle. »

Ce qui ne devait pas beaucoup réjouir Dominique, son épouse. Anecdote : lors de la première élection de Trump en 2016, j’envoie un SMS à Tapie genre : « Tu vois, si c’est possible aux États-Unis, ça l’est aussi en France ! » Il ne m’a pas démenti, loin s’en faut.

Et puis il y a le rôle éminent de son ami Jean-Louis Borloo, longtemps à ses côtés pour ses affaires et qui était devenu plus qu’un bras droit, un véritable complice. Mais il a dû renoncer car il sentait bien qu’il allait finir par étouffer avec ce « sacré tempérament ». Et que pour exister, il ne pouvait que partir. Marie révèle au fil des pages que Nanard était prêt à lui donner beaucoup d’actions de son groupe pour qu’il reste à ses côtés. Rien n’y fit. Tapie en a été meurtri.

Au moment de revoir l’épouse de Laurent Tapie pour les besoins du livre dans une brasserie en bas des Champs-Élysées, Borloo s’excuse presque d’avoir laissé son pote, presque de l’avoir « abandonné ». Le mot est lâché. Que se serait-il passé si le duo avait poursuivi sa route ? Nul ne peut le dire. Et Borloo de s’épancher :
« Bernard avait besoin d’amour, besoin d’être cajolé. Il avait sa brutalité physique et sauvage, mais c’était une boule d’amour. Il m’en a toujours voulu d’être parti. Mais il le fallait, sinon j’aurais été englouti. »

Et de défendre bec et ongles une forme d’intégrité humaine du bonhomme :
« Bernard, je ne l’ai jamais vu monter un coup, une combine financière, une combine juridique alors que j’ai été son avocat de la grande période de démarrage à l’apothéose… Et en politique, pareil. C’est ce que je répète et qui ne paraît pas crédible et pourtant c’est la vérité. Parce qu’être tordu, c’est une caractéristique des gens à l’arrêt. Lui, il était en perpétuel mouvement. Si tu es tordu et en mouvement, tu tombes ! »

Tout est dit. Merci Marie Griessinger Tapie d’avoir su remettre les compteurs à zéro. Votre livre fera plaisir aux nombreux entrepreneurs qui ne seraient sans doute pas devenus entrepreneurs sans cet homme hors pair que vous chérissez tant. Je vous rassure, vous n’êtes pas la seule ! Tapie nous a fait vibrer et cela n’a pas de prix !

Robert Lafont

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