Malgré un effort des pouvoirs publics pour limiter les pratiques monopolistiques dans les territoires d’outre-mer, la concurrence y reste insuffisante et les prix plus élevés qu’en métropole. De récentes évolutions dans les secteurs de l’alimentation et des télécoms font par ailleurs craindre un renforcement de certains monopoles, au détriment des consommateurs.
Dans les territoires ultramarins, monopoles et hausse des prix
Plus de dix ans après la grève générale contre la vie chère qui avait paralysé la Guadeloupe et la Martinique en 2009, rien n’a vraiment changé. Entre les outre-mer et la métropole, des écarts de prix subsistent. À tel point que, dans un avis rendu en juillet 2019, l’Autorité de la concurrence a qualifié ces derniers de « significatifs ». Et pour cause : en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion ou à Mayotte, les prix à la consommation sont entre 7 et 12,5 % plus élevés qu’en métropole. Des écarts tirés vers le haut principalement par les prix pratiqués dans l’alimentaire : selon des données de l’INSEE datant de 2015, dans ce secteur, l’écart peut atteindre 37 à 48 % entre l’Hexagone et les DROM (Départements et Régions d’outre-mer).
Ces différences de prix ont bien sûr des explications structurelles : la situation insulaire et l’éloignement imposent des modes de transports qui entraînent par définition un surcoût important, et les marchés y étant par ailleurs étroits, certaines entreprises n’envisagent pas de s’y implanter, ce qui tend à dégrader l’offre dont bénéficient les consommateurs. Des causes bien réelles qui n’expliquent cependant pas tout
En décembre 2020, un rapport d’information de l’Assemblée nationale consacré au coût de la vie dans les outre-mer pointait ainsi « des mécanismes concurrentiels toujours insuffisants ». Exemple en Polynésie française, où les handicaps structurels que sont l’isolement et l’éloignement « ne suffisent pas à expliquer la totalité des surcoûts des produits ». En cause, des marchés « souvent peu concurrentiels ». Un phénomène que l’on retrouve également en Nouvelle-Calédonie, au point qu’une Autorité de la concurrence y a été mise en place en mars 2018, afin de lutter contre la hausse des prix.
Alimentation et télécoms : une évolution inquiétante
Tout récemment, c’est dans le secteur des télécoms réunionnais que la concurrence est mise à mal. Zeop, opérateur local appartenant au groupe familial Océinde, se retrouve ainsi en difficulté du fait des choix de l’Arcep. L’autorité régulatrice des télécoms prévoit en effet d’attribuer des fréquences basses aux différents opérateurs présents sur l’île via un mécanisme d’enchères, par définition favorable aux acteurs disposant d’une assise financière confortable. Dans le cas présent, SFR, Free et Orange sont déjà en dans une situation d’oligopole sur les fréquences basses à La Réunion. Une réalité dénoncée par la sénatrice de la Réunion Nassimah Dindar, qui, dans un courrier au ministre de l’Économie Bruno Le Maire, évoque une « situation de concurrence biaisée ».
Que l’on retrouve également dans le secteur de la distribution, particulièrement exposé sur l’île. En février 2020, Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, écrivait ainsi dans Les Échos que « certains projets en cours, comme ceux concernant la grande distribution sur l’île de La Réunion, font d’ailleurs penser que la tendance est encore à un accroissement de la concentration des acteurs qui risquent d’acquérir un important pouvoir de marché et donc des rentes, au détriment des consommateurs. »
En cause, le feu vert donné par l’Autorité de la concurrence au rachat de Vindémia, propriétaire des enseignes de grande distribution Score et Jumbo, par le Groupe Bernard Hayot, propriétaire des supermarchés Carrefour. Un projet largement critiqué, malgré les garanties exigées par l’Autorité de la concurrence. D’après les détracteurs de ce rachat, il s’agirait même d’une « nouvelle opération de concentration dans la grande distribution, renforçant encore l’économie de rente qui domine dans ces collectivités ».
Une prise de conscience limitée
Comment expliquer cette tendance persistante à la formation de monopoles, qui pèse in fine sur le pouvoir d’achat des consommateurs ultramarins ? Les pouvoirs publics semblent pourtant engagés sur la voie d’une prise de conscience. Le président de la République n’a-t-il pas lui-même dénoncé, en 2019, les « filières monopolistiques ou oligopolistiques » qui sévissent outre-mer ?
Si des actions ont bel et bien été menées pour tenter de limiter cette tendance naturelle à la formation de monopoles, force est de constater que leur efficacité reste minime. En témoigne la possibilité, pour les collectivités territoriales, de saisir l’autorité de la concurrence pour toute affaire de pratique anticoncurrentielle – prévue par la loi de 2012 sur la régulation économique des outre-mer – qui n’a jamais été utilisée, au grand dam des consommateurs ultramarins.