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« Penser la France d’après, plutôt que le monde d’après »


Par Jonas Haddad, avocat et vice-président de la Fondation Concorde Tribune. Depuis plusieurs semaines, la crise sanitaire a été l’occasion pour chaque intellectuel ou penseur d’imaginer le monde d’après. Soyons plus humbles et plus réalistes, « contentons » nous d’imaginer la France d’après. La crise du coronavirus rend d’autant plus cruciale la...

Entreprendre - « Penser la France d’après, plutôt que le monde d’après »

Par Jonas Haddad, avocat et vice-président de la Fondation Concorde

Tribune. Depuis plusieurs semaines, la crise sanitaire a été l’occasion pour chaque intellectuel ou penseur d’imaginer le monde d’après. Soyons plus humbles et plus réalistes, « contentons » nous d’imaginer la France d’après. La crise du coronavirus rend d’autant plus cruciale la refondation du « modèle français » et nécessite en préalable une prise de conscience et une transformation collective. Cette épreuve que nous traversons doit également déclencher une transformation individuelle de notre rapport au travail, de notre façon de produire de la valeur.

Refonder notre pays et notre vision industrielle

La crise sanitaire agit comme un révélateur des niveaux de développement des différents pays. Avec Le Covid-19, les pays asiatiques apparaissent comme les nouveaux gagnants du développement mondial. Alors qu’ils ont été touchés les premiers par l’épidémie et n’ont donc bénéficié d’aucun délai pour se préparer, ils affichent des taux de mortalité bien inférieurs aux autres pays. Le taux de mortalité de la France malgré l’héroïsme de nos soignants, est donc 4 fois supérieur au taux Allemand et encore davantage supérieur aux taux des pays asiatiques.

En effet, les économies des pays qui ont su endiguer le Covid-19 vont bénéficier d’un avantage concurrentiel décisif : leurs entreprises ont continué à fonctionner alors que les nôtres doivent supporter des pertes abyssales. Nos concurrents vont donc profiter de notre affaiblissement pour augmenter leurs parts de marché. Notre économie ne peut que s’étioler, ce qui réduira les recettes fiscales et sociales et nous amènera à consacrer moins de moyens à la santé, à l’éducation… alors que c’est justement maintenant que nous en avons besoin.

Un sursaut national est donc nécessaire. Si nous voulons revenir au niveau des pays les plus performants, nous devons procéder en premier lieu à une analyse lucide des causes de ces résultats.

Au premier rang, la désindustrialisation du pays, nous savions qu’elle appauvrit et qu’elle endette. Maintenant, nous savons qu’elle est la cause de pénuries massives : pénurie de masques, de tests, d’appareils et produits médicaux.

La France est le pays européen qui s’est le plus désindustrialisé. La chute de nos parts de marché dans la zone euro (on ne peut donc pas incriminer les parités monétaires) résulte mécaniquement de la surtaxation des entreprises françaises en général et encore plus fortement les entreprises industrielles via les impôts de production. Elle résulte également de notre croyance collective en l’avènement d’une société post-industrielle qui n’aurait plus besoin de produire.

En ce qui concerne les industries de santé, la crise sanitaire nous a fait toucher du doigt les limites de la conception française de la santé qui considère à juste titre ce secteur comme une prestation essentielle qu’il faut octroyer à tous quasiment gratuitement sans pour autant réduire la pression fiscale sur les entreprises qui produisent les armes du combat médical.

En dix ans, la France est passée de premier pays producteur de médicaments en Europe à quatrième. En effet, les industries de la santé subissent : les prélèvements sur les entreprises les plus élevés de l’OCDE, les impôts de production qui surtaxent les activités industrielles ainsi que des impôts et des taxes sectorielles.

Au-delà de ces exemples, les réponses de masse de l’Etat sont de plus en plus en décalage avec les capacités des nouvelles technologies à apporter des solutions personnalisées. Fort heureusement, nous avons assisté à un élan de solidarité de la part de nombreuses entreprises, LVMH en tête, qui se sont mises à produire comme en temps de guerre pour apporter leur soutien à l’Etat.

Or, plus généralement ce paradigme d’omnipotence étatique est confronté à une révolution technologique qui donne le pouvoir aux entrepreneurs comme cela n’a jamais été le cas dans l’histoire. Ainsi ne voit-on pas la fusée réutilisable d’Elon Musk, projet lancé en 2002, supplanter les fusées d’ArianeGroup, émanation d’une coalition d’Etats au point de devoir supprimer 2 300 de ses 9 000 emplois ? Facebook n’a-t-il pas plus d’influence dans le monde que la plupart des Etats européens ?

Dans ce contexte, la décision étatique d’en haut s’avère impuissante à tirer le profit de cette révolution technologique. Parce que l’entrepreneur, en partant d’une feuille blanche, peut tirer tout de suite tout le profit des nouvelles technologies, parce que les cycles de décision de l’Etat sont supérieurs au rythme d’évolution de ces technologies, parce que le marché va mettre en concurrence plusieurs solutions et valider la meilleure.

Cette révolution technologique amène à réévaluer la place que doit occuper l’Etat. On bascule d’une situation où il comblait les insuffisances du marché à une situation où le marché peut combler les insuffisances de l’Etat, y compris pour remplir des besoins sociaux.

La puissance d’un Etat dépend plus que jamais de la réussite et du rayonnement de ses entreprises. Son efficacité dépend des collaborations qu’il établit avec elles. L’Etat français doit sceller une alliance avec les entreprises.

Refonder notre rapport individuel au travail

Si vous lisez cette tribune, vous avez certainement passé vos journées de confinement à participer à des réunions téléphoniques ou à répondre à distance à des messages électroniques.

Avec les mesures de confinement qui sont mises en œuvre, le télétravail se trouve au centre de toutes les discussions. Chacun, chez soi ou dans sa famille, est confronté de près ou de loin à cette pratique du travail, apparue il y a quelques années et qui bien même avant l’épidémie se démocratisait.

Selon les statistiques de la DARES, les cadres sont les plus concernés par cette pratique. En 2017, 11% d’entre eux s’octroyaient déjà au moins une journée de télétravail par semaine, contre 3% de l’ensemble des salariés. Cette tendance s’accroît fortement avec les mesures de confinement actuelles où chacun est encouragé à travailler depuis chez lui dès lors que cela lui est permis ; tant par le métier qu’il exerce que par les outils technologiques dont il dispose.

La productivité ne doit plus se mesurer au temps passé dans les locaux de l’entreprise

En 2017, la Fondation Concorde se penchait déjà sur ce sujet du télétravail et préconisait des mesures tendant à l’encourager et à développer un cadre propice à son plein exercice.

Aujourd’hui plus que jamais, il nous semble nécessaire d’organiser un basculement progressif d’une société où le présentéisme en entreprise règne encore dans les entreprises françaises vers une société où plus de libertés sont octroyées au salarié quant à la définition de son lieu de travail. Sa productivité ne doit pas se mesurer au temps passé dans les locaux de l’entreprise mais bel et bien à sa capacité à produire, dans les conditions qu’il aura choisies. Les fameux KPI présents en entreprise doivent donc s’adapter pour que le télétravail soit in fine bénéfique à tous : employeurs comme employés. Il nous paraît par ailleurs vital d’encourager un télétravail robuste pour ceux qui le peuvent via notamment une mise à disposition massive d’outils numériques fiables.

Dans le même temps, il devient plus que nécessaire de pouvoir améliorer les conditions de travail, notamment des personnels en première ligne dans la crise que nous traversons : soignants, caissières, policiers, agriculteurs… pour lesquels le télétravail n’est et ne sera jamais une solution. La France doit acter des mesures leur permettant, au-delà de la reconnaissance, sécurité et continuité de leurs activités.

Au sortir de la crise, après avoir éteint les feux brûlants des difficultés financières immédiates, nous devrons proposer des solutions adéquates, en lien avec les attentes sociales de ces travailleurs. À nous d’inventer le modèle de demain, où travailler de chez soi ne sera pas qu’un confinement.

Ce ne sera pas le monde d’après, ce sera la France d’après, et ce sera déjà bien suffisant !

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