Le français Pierre Buffin est l’un des maîtres du cinéma d’aujourd’hui… même si le grand public ignore le plus souvent son nom. Retour sur un itinéraire d’exception.
Avatar, Matrix (Reloaded, Révolutions et Ressurections), Batman (Begins, The Dark Knight, Batman et Robin (1997)), Harry Potter (La Coupe du Feu), Spiderman 3, Fight Club, Thor (Marvel/MCU) , Total Recall (2012) , Life of Pi , The GrandMaster , Speed Racer , Jupiter Ascending , Alexandre (Oliver Stone) , 2Fast 2Furious , Blade Runner 2049 , Twin Peaks 3, House of Dragon , Watchmen (la série) , Arthur et les Minimoys (La Trilogie) , Les Visiteurs , Sur la piste du Marsupilami. Plus les génériques du journal télévisé de TF1, de Paramount (avec le lac, les étoiles et la montagne), celui d’Europa, des Guignols de l’info sans oublier des publicités plus qu’iconiques (Perrier, Orangina, etc.) Bref la liste des réalisations de Pierre Buffin (et de BUF) est loin d’être exhaustive…Vous connaissez forcément son travail sans forcément le connaitre.
Retour sur un pionnier et un précurseur des effets spéciaux (avec plus d’une centaine de films à son actif et non des moindres comme l’atteste la liste précédente). Auteur de plus de trente ans de prestidigitations, de rêves et d’illuminations artistiques. La BUF Compagnie, surfe, sur la créativité de ses équipes, guidée par la boussole de la curiosité et des envies de Pierre Buffin, boostée -en plus- par des crédits d’impôt qui font de la France une place de choix pour le secteur. Mais comme l’effet des balles de revolver qu’il a créé dans Matrix Reloaded, la saga de BUF a -elle aussi-une trajectoire aussi particulière que singulière.
Né et élevé dans le Nord de la France, Pierre Buffin est issu d’une famille d’artistes, d’architectes et de médecins. Cette influence primordiale est le résultat de cette « sève » favorisant les prédispositions et la manifestation des talents. Intrigué dès le plus jeune âge par la matière, les formes, les figures et la lumière. Il a ensuite affiné la construction de son savoir-faire et de ses connaissances avec une Majeure en Architecture à Paris.
EXPLORATEUR D’UNIVERS
Justement pour financer ses études supérieures, il travaille comme illustrateur et graphiste sur une série de romans graphiques français, ou, il fait défiler les images 2D sans vie, puis, part à la découverte de « l’art » de la 3D.
Il démarre dans l’architecture dans les années 75-80. C’est à cette époque, que les premières images de synthèse émergent des laboratoires. Curieux dans l’âme, il se lance à corps perdu dans l’exploration d’univers nouveaux où totalement libre, il peut -enfin- faire ce qu’il veut. Laissant libre cours à son imagination plutôt que de poursuivre dans l’architecture où il fallait se battre et patienter pendant 10 ans -parfois plus- pour pouvoir mener un projet à terme.
Avec un ami ingénieur, ils se lancent dans l’image de synthèse en développant des programmes alors totalement innovants. C’est pour cela que depuis le début, BUF développe ses propres outils. Ce qui constitue une partie intrinsèque de la culture originelle de cette entreprise. Progressivement, ils pénètrent dans le monde des effets spéciaux, en « jouant » avec les images.
En 1984, Pierre Buffin et Henry Seydoux (Futur Président de Parrot et père de Léa Seydoux) cofondent la société BSCA (Buffin Seydoux Computer Animation) à Paris et se fixent pour objectif le développement d’un outil complet de création 3D, à savoir : Modeling, animation, rendu, paint et montage.
Les effets numériques sont encore à un stade embryonnaire. L’ex-architecte pratique les effets qu’il obtient par la « magie » de l’outil informatique en élaborant des plans 3D en suivant le même processus industriel, créatif, exigeant et rigoureux que pour bâtir un immeuble.
Dans les années 80, aucun ordinateur n’est encore en mesure de pouvoir calculer et élaborer des images. Par conséquent ses trois ingénieurs fabriquent en interne leurs ordinateurs, soudent des cartes sur les unités centrales en marche. Aux Etats Unis, Pixar compte déjà 80 employés et pond un film par an. La concurrence affute ses armes et la guerre des pixels aura bien lieu. Pierre Buffin et ses équipes planchent eux sur des publicités la journée et, le soir, sur le court métrage d’animation Computer Home qui sera produit et réalisé entièrement en 3D en 1989 pour in fine une durée totale de 6 minutes.
Son premier film publicitaire est réalisé pour un nettoyant de salles de bains (Topps) qui remporte un franc succès et le lance définitivement.
Dans la seconde moitié des années 80, BUF se focalise sur la télévision avec des habillages numériques et des génériques sur la Cinq, M6 ou Canal + mais également avec la publicité (Thomson, Perrier avec l’utilisation d’une technique de « morphing » une première).
En 1990, après le départ d’Henri Seydoux, BSCA devient BUF Compagnie qui deviendra progressivement une société d’effets visuels, spécialisée dans la synthèse d’image pour le cinéma, la publicité, et, les clips vidéo.
Sa première incursion dans le cinéma justement se déroulera en France en 1993, avec « Les Visiteurs » (avec Jean Reno, Christian Clavier) afin de produire quelques effets de transformation. Le succès du film lui permet d’obtenir un prêt pour pouvoir acheter des « machines ». Il enchaine l’année suivante avec La Cité des Enfants Perdus (de Jean Pierre Jeunet) qui lui conférera une visibilité et une aura internationale qui font que tous les studios américains s’intéressent désormais -de près- à BUF.
Dans les années 90, il n’y avait « que » dix sociétés à l’international sur ce créneau. La charge de travail est telle que sur certains projets d’envergure les Majors « partagent » en faisant appel à plusieurs studios. C’est dans ce contexte que de multiples projets arrivent à lui naturellement et facilement.
D’ailleurs, son premier grand contrat avec Hollywood sera Batman et Robin en 1997 de Joel Schumacher avec Georges Clooney. Mais cette expérience sera tout sauf un parcours de santé puisque la production le menacera de pénalités (de trois millions de dollars) en cas de retard mais sans lui donner de date précise de rendu. Les Américains lui mettront une pression monstre et le menaceront à plusieurs reprises de faire fermer son entreprise en cas de contrariétés. Bienvenue à Hollywood !
Suivra l’intemporel Fight Club de David Fincher avec Brad Pitt et Edward Norton puis la fabuleuse Saga Matrix.
En 1999, les Wachowski font appel à Pierre Buffin pour réaliser le fameux « bullet time » ainsi que la trajectoire de balles en 3D basée sur le camera-mapping, devenue depuis un standard.
Malgré cela, BUF ne sera pas retenue par John Gaeta, superviseur des effets spéciaux de Matrix (et Oscarisé pour son travail) sur ce premier opus. Ayant recours à une autre technique pour réaliser le “bullet time” avec une centaine d’appareils photo synchronisés autour de Néo. Une technique rapide, mais qui pose beaucoup de problèmes en postproduction, car il faut ensuite réaligner toutes les images une à une. Mais comme les grands esprits se rencontrent, leur collaboration ne sera que partie remise. BUF se verra donc confier un travail conséquent sur les mythiques Matrix Reloaded et Matrix Révolutions. Les Wachowski ont par ailleurs toujours attribué une partie de la paternité de son effet “bullet time” (fruit du travail sur le clip de Michel Gondry « Like a Rolling Stones » et une publicité pour de la vodka).
L’ARTISAN DU SOFTWARE :
Autre Atout supplémentaire : Le logiciel maison. Que Pierre Buffin a développé et créé lui-même comme un architecte fabriquerait sa propre maison. Des premières esquisses des plans, aux choix des matériaux, en passant par la sélection pointue des artisans, le contrôle qualité pour la finition jusqu’ à la remise finale des clés.
Toutes les sociétés d’effets spéciaux du monde utilisent le même logiciel (principalement celui d’ILM ancienne entreprise de Georges Lucas créateur de l’univers Star Wars depuis cédée à Disney). Il n’y a plus qu’un fabricant : BUF est le dernier « artisan » dans cette industrie. Son outil lui permet de garder intact son identité et son savoir-faire.
Ce logiciel gérant et intégrant la totalité du processus créatif : des prévisualisations jusqu’au rendu final visible en salles et en streaming.
Ce qui engendre nécessairement des coûts car il faut le développer, le maintenir à jour (Le groupe de recherche et développement de BUF est composé de 13 ingénieurs) et le sécuriser au maximum, mais, cela se révèle être plutôt un investissement puisque cela lui permet de se différencier avec une image et un rendu différencié, bien plus qualitatif que ses concurrents. Constituant ainsi sa signature visuelle et graphique. Seul point négatif, il a du mal à franchiser (et à monétiser) son concept.
DES EFFETS JAMAIS VUS
Quoiqu’ils en soient, les grands producteurs le contactent pour obtenir une prestation de luxe, du sur mesure soigné tel un « Rembrandt » des effets spéciaux dont l’atelier produit des prestations uniques, à savoir un rendu incroyable, des illusions parfaites et un travail sublime.
Les producteurs et les réalisateurs le contactent avec un script et des idées. BUF est spécialisée dans les effets jamais vus et accepte les projets les plus compliqués et les plus complexes, par gout du risque et par amour du défi. Mais pour qu’un effet soit réussi, il faut qu’il représente intelligemment ce que le réalisateur cherche à montrer. L’effet doit porter un sens et enrichir la « narration cinématographique ». Pour Pierre Buffin l’effet doit être « motivé » et arriver au bon moment et faire partie du script. Son objectif : Que chaque effet tienne encore la route 10 ans après avoir été réalisé. Comment réussir ce tour de force ? Ne jamais mettre la technique en avant, mais plutôt valoriser l’idée et l’artistique. Parce qu’en définitif c’est tout qui reste.
Son engagement continu pour les technologies et le savoir-faire artistique sont également reconnus pour Matrix sans oublier les techniques de « camera mapping » (technique qui consiste à projeter une image en perspective sur des volumes) qui ont également permis à David Fincher d’introduire une nouvelle grammaire visuelle dans Fight Club à la fin des années 90 idem pour Speed Racer qui a été un flop à sa sortie en 2008 mais a depuis reçu ses galons de « classique » à la fois par les critiques et par le public. Le but du travail de Pierre Buffin : L’immersion totale du public dans un univers aussi incandescent que chatoyant, dépassant l’entendement et totalement inexploré. Les atmosphères qu’ils créent eux renforcent la puissance du récit.
Il est important de comprendre que pour les effets visuels, il existe principalement deux types de contributions :
-Les effets invisibles, qui consistent à effacer les câbles des cascadeurs, rajouter des impacts de balles, etc. – peu gratifiants et qui représentent la quasi-totalité du travail en France.
-Les effets visibles comme l’apparition des Na’avi dans Avatar ou la création des codes de la Matrice (code vert) où s’exprime un design, une forme et une esthétique spécifique.
LA RECONNAISSANCE PROFESSIONNELLE
En avril 2007, BUF reçoit 14 prix pour les meilleurs effets visuels et 20 nominations et distinctions supplémentaires dans l’excellence cinématographique technique. BUF a remporté huit Clio Awards, la plus haute distinction de l’industrie de la publicité, et cinq Music Video Awards pour les Rolling Stones, U2, Madonna et White Stripes. D’autres crédits de vidéoclips incluent Lenny Kravitz, Björk, Nina Hagen, Terence Trent d’Arby, Air, Emilie Simon, Chemical Brothers, Melanie Blatt, Ginger Ale, Daft Punk, Texas, All Saints et Foo Fighters.
Pierre Buffin, facilite l’ambition visuelle de chaque réalisateur et permet à cette « vision » et à cette volonté de se concrétiser et de s’exécuter ensuite aux yeux de millions (de milliards) de spectateurs. Pour cela, il a été célébré à la fois à Hollywood et dans la communauté cinématographique internationale. Sa vision consistant à associer des compétences graphiques animées d’excellence à une authentique gestion artistique sur des projets de haut niveau, font qu’il reçoit :
-L’Academy Award pour les meilleurs effets visuels pour Life of Pi (Ang Lee) en 2013.
-et le Golden Horse Award 2013 pour les meilleurs effets visuels pour The Grandmaster (qu’il produit de Wong Kar Wai).
« Je n’ai pas fait ce métier par amour du cinéma, mais plutôt à cause de la combinaison ingénieur-artiste. Les ingénieurs se fondent sur la théorie et rechercher l’outil parfait, les artistes sur l’observation et privilégier la spontanéité du premier regard. Il faut réussir à assembler ces deux discours. »
BUF et Pierre Buffin innovent puisqu’ils ont été les premiers à faire du « tracking », qui permet de retrouver la position d’une caméra dans une image de synthèse.
Depuis le début des années 2000, la concurrence s’est considérablement accrue , les sociétés sur ce domaine se sont multipliées (5000 dans le monde, à ce jour et souvent avec des couts salariaux plus faibles que ceux de BUF) font que les couts sont cassés, il réussit toutefois à surnager grâce à son positionnement premium et « créatif » qui le différencie.
En 2017, BUF compte 300 personnes pour 30 millions d’euros de chiffres d’affaires.
Depuis les effectifs sont repassés à une centaine de personnes et le chiffre d’affaires a baissé. Mais BUF est devenu plus mobile, plus agile et plus apte à trouver des nouvelles opportunités à la fois artistiques et business comme le souhaite son dirigeant.
Depuis 2012, BUF a ouvert un bureau à Montréal (et à Bruxelles) et profite en France de la loi sur les crédits d’impôts pour les tournages étrangers (englobant aussi la postproduction et les effets spéciaux) dont il a été un ardent défenseur et un lobbyiste investi en faisant le siège des ministères. D’ailleurs en 2017, il participe à la création d’un syndicat professionnel dédié à l’industrie des effets visuels.
Alors que les studios historiques d’Éclair, où la majorité des réalisateurs font développer leurs copies, vont mal, Pierre Buffin propose une alternative avec un laboratoire (numérique et photochimique B-Mac) flambant neuf et une salle de projection privée en plein Paris. Il s’essaye aussi à la production avec des films comme Ricky de François Ozon et Into the Void de Gaspard Noé. BUF possède également un complexe de studios d’animation à Pantin, qui a développé l’intégralité de l’animation pour « Arthur et les Minimoys ».
L’innovateur de premier plan par son savoir-faire dans l’art des images et des effets générés par ordinateur est devenu Producteur Délégué, Coproducteur, Producteur et Superviseur des Effets Spéciaux.
Il crée sa boite de production AngeleFine Productions avec sa compagne productrice et responsable de Production India Osborne (qui a travaillé pour Dreamworks, Europa Corp et sur les projets : Thor, The Grandmaster, Blade Runner 2049, Watchmen …). Il dirige également Stone Buffalo Productions (pour la gestion des aides gouvernementales et des détaxes) et réalise son rêve de devenir producteur mais sans procéder comme les autres. Il produit avec de nouvelles techniques en réalisant des films différemment, pour imposer de nouvelles règles avec des prises de risques maximales. Une autre manière d’innover et de rester derrière la caméra.
La société de Pierre Buffin a généré 250 millions de dollars de chiffre d’affaires sur 23 ans. En créant une académie d’apprentissage sur le tas pour les jeunes artistes professionnels, BUF emploie désormais une large part de sa main-d’œuvre directement dans des universités spécialisées à travers l’Europe, avec un âge médian de 25 ans.
« Les jeunes créatifs sont obnubilés par la technique, alors qu’ils devraient plutôt apprendre à regarder »
BUF dispose désormais 5 corps de métiers complémentaires :
Les Effets Visuels. L’Animation. La Publicité. Les Clips Vidéos et la Production.
Malgré tous ses accomplissements, la route à parcourir reste encore longue. Avec encore de nombreux seuils à franchir, notamment du côté du réalisme. Les seules limites actuelles étant celles de l’imagination et de l’argent.
Passionné, esthète, caractérisé par un perfectionnisme et un engagement total : « Mon ambition est de créer les plus belles images du monde. Je suis capable d’investir personnellement un million d’euros pour que les plans soient parfaits. A terme, c’est ce qui restera et qui m’apportera de nouveaux clients ».
« Je ne suis pas un fan absolu des films à effets spéciaux. Je ne les regarde pas avec un œil d’expert, mais avec un œil de spectateur ordinaire. Mais je ne cherche pas à m’inspirer des autres films. Je vais davantage puiser mon inspiration dans la vie, la peinture, la nature… Regarder un arbre est toujours plus riche d’enseignements que de regarder un dessin d’arbre de quelqu’un d’autre, qui repose déjà sur une interprétation. »
Pierre Buffin est un vrai entrepreneur qui transfigure le 7e art par sa sensibilité, par sa force de travail pour se muer en initiateur de nouvelles perceptions, en dénicheur et en défricheur de constellations artistiques encore inexplorées et même insoupçonnées. Il nous livre des leçons inspirantes pour que chacun (et chacune) d’entre nous puisse être diriger non pas par l’égo, par l’appât du gain, par la facilité ou le confort mais plutôt être attirer et développer cette appétence pour ce qu’on aime vraiment ; c’est à dire : créer, produire, grandir, s’épanouir, se perfectionner, émouvoir, inspirer et sublimer.
Un Art qui a de la vie ne reproduit jamais le passé : il le continue. Accélération. Direction le Futur avec la tête dans les galaxies et les yeux vers l’infini.
MEJRI Bassem
Entrepreneur, Professeur en Ecole de Commerce et Editeur de Millionaire Next Door en français et de Votre Argent ou Votre Vie (de Vicki Robin) chez Frégate Editions.