Pierre de Villiers, ancien chef d’état-major des armées n’a pas vraiment pris sa retraite. Depuis son départ, le général ne cherche, à travers ses livres et ses conférences, qu’à exhorter notre nouvelle génération à davantage d’énergie, d’espérance et finalement d’amour de la France. Et si c’était lui qui avait raison ? Au point d’envisager, à 66 ans, une carrière politique ?
Pourquoi s’adresser en priorité à la jeunesse de notre pays ?
Pierre de Villiers : J’ai estimé qu’il était important d’écrire ce livre, car même si on peut la critiquer les jeunes, l’avenir leur appartient. Or, les adultes d’aujourd’hui vont leur laisser un monde difficile. Un monde en crise géostratégique, économique, sociale, écologique, politique, presque civilisationnelle. Chacun fait ce qu’il peut à chaque époque, mais mieux vaut les guider et leur mettre les pieds à l’étrier.
Mes « Lettres d’honneur » portent sur 45 thèmes qui les concernent, sur les difficultés qu’ils rencontrent, et proposent des conseils pragmatiques. Vous savez, 25 000 jeunes de toutes origines entrent chaque année dans l’armée, et cela fonctionne correctement, grâce à des valeurs telles que l’exemplarité, le travail, la détermination, l’audace, souvent oubliés dans le système éducatif. Ils ont soif d’engagement et de sens, il faut donc répondre à cette soif, la nourrir. Les jeunes ont des défauts comme nous en avions, mais il convient de leur faire confiance.
L’Ukraine qui fait preuve d’un patriotisme à toute épreuve, est-elle un exemple pour la France ?
P. de V. : Il est indispensable de faire aimer la France aux jeunes, car en situation difficile, on se resserre autour de la famille, du village, du pays, comme lors de la pandémie. La patrie est la terre des pères, il faut savoir d’où l’on vient pour aller quelque part. Bien sûr, nous rencontrons des problèmes de souveraineté économique, militaire, culturelle. Nous sommes incapables de fabriquer du Doliprane, mais on voit aussi cet
engouement pour l’équipe de France de football, qui fait sortir les drapeaux français, il faut parler aux jeunes de cette fierté, de la défense de la France par leurs grands-parents, etc. Il faut aussi lutter contre l’individualisme, répondre au besoin de proximité, savoir à quel pays l’on appartient. Mais on ne sait plus qui décide. Je suis professeur à Sciences Po, je vais aussi dans les cités comme dans les territoires ruraux, auprès de la France populaire. Je peux vous assurer qu’on a tort d’oublier le concept de patriotisme, les jeunes sont prêts à l’entendre.
Face à la mondialisation et au communautarisme, la nation a-t-elle plus que jamais de l’avenir selon vous ?
P. de V. : L’individualisme est l’ennemi du sens collectif et du bien commun, un phénomène accru par la digitalisation, par la pandémie durant laquelle les jeunes se sont retrouvés seuls pendant des mois,
avec un manque de socialisation qui laisse des traces. Une de mes Lettres porte sur les Nouvelles Idéologies, parfois intéressantes, mais qui deviennent néfastes si la dictature de la minorité s’impose. Il faut en revenir à cette fraternité d’armes. Qu’est-ce qu’une nation ? C’est une appartenance, des valeurs communes, pas du nationalisme. Je l’ai constaté dans l’armée où nous avons toute la jeunesse de France, des jeunes sont capables de devenir des héros pour la nation et le drapeau. Il faut rejeter le repli sur soi, coopérer avec les autres, entretenir les relations humaines et l’esprit de cohésion avec ses proches et dans l’entreprise.
Votre vision de la France et l’Europe ?
P. de V. : J’ai dirigé des opérations internationales en tant que chef d’État-Major, dans le cadre de l’ONU par exemple, j’ai donc de l’expérience sur le sujet. Cela fonctionne si l’on respecte l’interétatique, pas lorsque l’on cherche à fusionner en passant au-delà des cultures nationales. Tout est possible si l’on respecte l’attachement national.
L’Europe doit agir pour des projets concrets à géométrie variable, mais l’Europe fédérale est un concept ésotérique et l’armée européenne ne verra jamais le jour. Je suis un peu déçu par l’Europe qui est en panne sur les grands sujets. En matière de défense, mais aussi sur des sujets géostratégiques, migratoires, de sécurité, cyberéconomique. L’espace ou les fonds marins par exemple sont des domaines où la coopération internationale est indispensable. Mais l’Europe est souvent absente.
C’est bien plus important que le respect de la marque de camembert ou que des processus qui doivent rester sous la responsabilité des États.
Comment la France peut-elle rester un grand pays ?
P. de V. : On peut regarder la France avec deux sortes de lunettes. Son PIB, son nombre d’habitants en font objectivement un petit pays. Mais avec des lunettes culturelles, historiques, cela change. La France est le premier allié des Américains avec la première armée d’Europe, notre langue est de plus en plus parlée dans le monde. Il n’y a donc pas lieu de sombrer dans la repentance.
Quand on est à l’étranger, on se rend compte que la France est un pays respecté, avec ses grandes entreprises, sa gastronomie, ses monuments, un pays admiré et craint par nos adversaires. Il semble qu’il n’y a que les Français en France qui ne s’en rendent pas compte.
Vous prônez la prise de hauteur, la vision stratégique. Quels sont les leaders français et européens qui l’incarnent ?
P. de V. : Aujourd’hui, j’ai de l’admiration pour de grands chefs d’entreprise, des intellectuels, restaurateurs, artistes. Mais la difficulté en France et dans les démocraties européennes est que beaucoup ne veulent plus faire de politique. Les diplômés vont de moins en moins dans la fonction publique et quand ils s’y engagent, c’est souvent dans une logique de pouvoir, non de responsabilité et cela depuis bien longtemps. Résultat : une abstention massive aux élections partout en Europe. J’ai envie d’admirer Didier Deschamps, parce qu’il sait tirer le meilleur d’un groupe, mes modèles à moi sont plutôt dans l’Histoire, des hommes et femmes d’unité, comme Leclerc, de Lattre, Clémenceau… Nous manquons de gens qui rassemblent.
Partisan de l’ordre, vous vous élevez contre le manque de fermeté à tout niveau. Le laxisme se généraliserait selon vous, mais est-ce un phénomène nouveau ?
P. de V. : C’est une tendance depuis une quarantaine d’années, nous arrivons à un tel niveau d’insuffisance de l’autorité qu’il y a crise. Si l’obéissance ne va plus de soi, l’État de droit ne peut plus fonctionner. Comme disait de Gaulle, c’est la « chienlit ». Santé, sécurité, transports, rien ne marche, il y a une crise de confiance dans
pratiquement tous les domaines constitutifs de l’État de droit. En résumé, les choses ne vont pas bien. Ce n’est pas un ressenti, mais une réalité depuis des dizaines d’années, car on n’ose plus faire
respecter l’autorité, la justice. L’armée est une exception sur le sujet, un équilibre dans la fermeté, une chose est dite, elle est faite. Mon grand regret est qu’on oublie la valeur de l’humanité. Or, il faut aimer les autres pour faire régner l’ordre et créer l’union, car quand les choses sont faites avec humanité tout se passe bien. Nous
souffrons d’un mélange de faiblesse et de démagogie, et l’on a peur d’être accusé d’être autoritaire. Quand l’autorité est vue comme un bourreau, rien ne va plus…
Quelles recommandations pour le pays en ce début d’année ?
P. de V. : Je ne me place pas au sens politique, plutôt au sens managérial : je pense que l’urgence est de résoudre la crise de l’autorité, de subsidiarité. Les corps intermédiaires doivent retrouver leur place, il faut faire confiance et faire preuve de courage. L’autorité doit permettre une unité, une réconciliation, une humanité et une fraternité. Et si l’on tire sur ce fil, il y a enfin l’espérance, qui est l’objet de ma dernière lettre, elle seule peut dissiper ce climat de morosité et d’angoisse.
Propos recueillis par Anne Florin
À lire : Pierre de Villiers, Paroles d’honneur, éditions Fayard.
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