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Pierre Kosciusko-Morizet : « ma vision de l’entrepreneuriat »


Après HEC, Pierre Kosciusko-Morizet fonde la société de distribution Visualis SA puis travaille chez  CapitalOne aux Etats-Unis. Il co-fonde Priceminister en août 2000, devenu le second site de e-commerce français en termes d'audience, qu'il revend au groupe japonais Rakuten et dont il assure la présidence jusqu'en avril 2014. Rencontre passionnante avec le cofondateur du fonds d'investissement des entrepreneurs de l'Internet ISAI, redevenu créateur d’entreprise en 2015.

Entreprendre - Pierre Kosciusko-Morizet : « ma vision de l’entrepreneuriat »

Après HEC, Pierre Kosciusko-Morizet fonde la société de distribution Visualis SA puis travaille chez  CapitalOne aux Etats-Unis. Il co-fonde Priceminister en août 2000, devenu le second site de e-commerce français en termes d’audience, qu’il revend au groupe japonais Rakuten et dont il assure la présidence jusqu’en avril 2014. Rencontre passionnante avec le cofondateur du fonds d’investissement des entrepreneurs de l’Internet ISAI, redevenu créateur d’entreprise en 2015.

Pourquoi avoir décidé d’entreprendre à nouveau ? Quelles sont vos motivations et qu’attendez-vous de ce nouveau challenge ?

Pierre Kosciusko-Morizet :

Il faut toujours partir d’où l’on vient. Je suis issu d’une famille ayant une forte empreinte politique, où la plupart des gens visibles font de la politique. Au bout d’une ramification, il y a bien deux ou trois entrepreneurs mais ce n’est pas la tendance au sein de notre famille. J’ai été porté par une envie de liberté et d’être différent, ou l’impression de l’être, tout dépend de là où l’on se positionne, c’est très important pour moi. 

Être différent suppose de se dire que si on ne faisait pas ce que l’on fait, quelqu’un d’autre le ferait mais d’une autre manière. Lorsque l’on travaille dans un groupe, il en est autrement, même si je fais les choses à ma manière, si je n’étais pas là, un autre le ferait aussi. Je suis animé par l’envie d’être libre au sens où lorsque l’on monte une société, on est assez vite très occupé et plus maître de son emploi du temps,  mais si on souhaite s’absenter une journée, c’est possible sans devoir rendre des comptes à son supérieur.

J’avais envie de créer quelque chose de nouveau et d’être utile, c’est un thème fort de ma nouvelle société. J’ai à cœur de laisser une trace positive sans pour autant faire dans les ONG comme ce fut le cas un peu avant. Je ne suis donc pas en train de remonter une ONG mais de créer une boîte dont j’ai envie qu’elle ait un impact et un ascendant positifs. En créant sa boîte, on peut choisir les personnes avec lesquelles on travaille, c’est un point très important.

Comment définiriez-vous un bon entrepreneur ? Quelles sont les qualités requises pour réussir dans cet exercice ?

Pierre Kosciusko-Morizet :

Tout dépend à quoi on mesure la réussite : à l’impact que la société a eu, ou à l’argent gagné par l’entrepreneur. Il s’agit de deux métriques qui se rejoignent souvent. Pour avoir une idée, il faut être créatif et être capable de la dérouler. Dans l’autre optique, on est plus dans l’exécution, l’enjeu étant de trouver les bonnes personnes, d’arriver à les fédérer et à les animer en visant l’efficacité.

Dans un monde idéal, il faut combiner les deux profils : des gens qui se sentent différents et acceptent cette différence en portant donc cette créativité en eux et en même temps, des personnes  hyper rigoureuses, car monter une boîte est loin d’être la vie d’artiste.  Il faut ce côté créatif un peu iconoclaste afin de voir ce que les autres ne perçoivent pas forcément et la rigueur dans le choix des personnes avec lesquelles on travaille, la façon dont on manage les équipes, les objectifs que l’on s’assigne et ce que l’on fait si on ne les atteint pas, etc. Il faut avoir une vision  à long terme tout en gérant le quotidien de façon très concrète et précise.

Malgré un contexte économique  morose, il n’y a jamais eu autant de créateurs. La France offre-t-elle un contexte propice à la création d’entreprise ?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

On dit que cela repart. Je partage ce constat et je m’en réjouis. J’ai cofondé le fond d’investissement ISAI (le fonds d’Investissement des entrepreneurs Internet) qui rassemble plus de 80 entrepreneurs. Nous recevons 2 000 dossiers par an de plus en plus qualitatifs, c’est impressionnant. Il y a de plus en plus d’entrepreneurs de très bon niveau, attestant d’une vision globale et témoignant d’une ambition croissante.

Le profil est assez jeune mais le fait d’être sur des projets Web peut jouer. La majorité est plutôt masculine bien qu’il y ait également des femmes. L’âge moyen oscille entre 25 et 35 ans, ce sont généralement des personnes qui ont fait des études supérieures et ont souvent une première expérience dans un grand groupe ou une société de conseil. Nous ne sommes pas du tout dans le cas de figure de personnes qui arrivent en fin de droits (45-50 ans), cliché  du créateur d’entreprise « forcé » tel qu’il existait il y a 15 ans. Il y a en a encore et c’est une bonne chose car leur expérience et leur vécu sont très utiles.

La mentalité et la culture françaises permettent-elles l’acceptation de projets audacieux et décalés ?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

Je pense que nous avons de « grandes » idées, mais en France, nous affichons un peu moins clairement nos ambitions. J’ai trois ambitions pour mon nouveau projet.  Je souhaite tout d’abord que l’idée soit globale et qu’elle puisse valoir 10 milliards d’euros. Cela ne signifie pour autant que la boîte les vaudra, mais nous n’allons pas aller sur un créneau où nous pensons qu’il n’y pas la place de faire 10 milliards.

Plus spécifiquement,  nous ne nous positionnerons pas sur un secteur si l’on pense qu’elle puisse atteindre cette taille. De mon expérience, il n’est pas beaucoup plus compliqué de monter une grosse boîte qu’une petite qui fonctionne. Monter une petite boîte qui vaut 100 millions ou 100 milliards ne change pas grand chose. L’enjeu est plus en termes de taille de marché et de forces en présence.

La question est plus de savoir si l’on est dans la tendance et si l’on s’inscrit que de savoir si l’on est bon. Il faut bien choisir son idée en amont. La troisième ambition consiste à avoir une idée utile pour les gens d’un point de vue sociétal et donc de rendre service. Le thème fédérateur du projet est « Nourrir la planète », je souhaite réfléchir sur ce thème dont je défends les valeurs. Il est vrai qu’en France, nous avons plus de scrupules et de freins psychologiques.

Une toute petite idée est galvaudée en idée globale, alors qu’il ne faut pas se mentir, certaines idées n’ont pas de vision globale. Il y a donc un peu de l’esbroufe dans la mentalité américaine mais en même temps, il est plus facilement accepté d’avoir de l’ambition. Cependant, chez ISAI, nous avons de moins en moins de personnes qui arrivent avec des idées locales, les projets sont de plus inhérents à une vision globale. Dans la plupart des boîtes dans lesquelles nous avons investi avec ISAI, il existe en effet une idée globale. Il y a parfois des cas exceptionnels où le marché est très grand au niveau local etc… Nous n’avons plus de difficultés à trouver des entrepreneurs qui pensent global, alors qu’il y a 15 ans, lorsque j’ai démarré  PriceMinister, les gens nous disaient qu’une ambition nationale était déjà bien suffisante. Les mentalités ont évolué.

Quels sont les impacts de la nouvelle économie sur les schémas classiques ?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

L’information circule mieux. A mon sens, le numérique est une énergie de fluidité, de rapidité, qui rend un grand nombre de process plus efficaces et plus rapides permettant ainsi aux boîtes de bouger plus vite et de gagner en agilité. Il n’est pas uniquement question des sociétés dans le numérique. Affirmer que nous communiquons plus vite  avec nos smartphones est une évidence mais cette évidence a des impacts énormes.

Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer comment nous faisions  y a 20 ans. Les boîtes vont beaucoup plus vite et la démarche est résolument plus globale. Même lorsque l’on ne crée pas une boîte dans le secteur d’internet, il faut se poser la question des concurrents étrangers à moins d’un business très spécifiquement local. La circulation de l’information est incroyable, on accède directement à des informations sur les concurrents,  sur les nouveautés dans notre secteur, sur ce qui marche et ce qui ne fonctionne pas.

Ce n’est pas pour rien que l’on parle de société de l’information. Nous avons tellement d’informations à disposition sur notre business, qu’avec une bonne intelligence, on peut être particulièrement efficace. Il existe aujourd’hui une capacité des entreprises à récupérer et à agréger des informations, à prendre des décisions de manière beaucoup plus intelligente que cela soit dans le domaine commercial ou marketing. On fait des choses incroyables sur internet. On connaît le coût d’acquisition de chaque client par canal et on sait targeter les gens au bon moment.

ISAI est actionnaire de Tinyclues, une société spécialisée dans le Big Data. Elle est composée de Normaliens qui font des algorithmes toute la journée et sortent des choses extraordinaires. A partir  d’un historique d’achats sur plusieurs millions de clients, ils vous expliquent à quelle personne il faut envoyer tel mail et pour quel produit. Cela fonctionne. Le consommateur est surinformé et il  s’en trouve donc complètement transformé quant à ses comportements d’achat.  Il veut du retail, il compare tous les prix, il est très avisé et beaucoup plus intelligent, non pas au sens computing du terme, mais au niveau de l’information dont il dispose. Je pense que l’on peut voir ce sujet comme un sujet incrémental permettant à des boîtes d’être meilleures en marketing mais également d’imaginer des modèles  qui n’existaient pas avant.

C’est précisément ce qui m’intéresse le plus dans Internet. La véritable nouveauté, c’est un PriceMinister qui met en relation des gens qui ne se connaissent pas dans une logique de place de marché. Internet ouvre les champs des possibles à des modèles  et particulièrement à des modèles fondés sur la mise en relation qui se font à coup zéro. Certains modèles économiques se greffent ensuite dessus et monétisent cette mise en relation. Globalement, tout ce qui est mise en relation d’une offre et d’une demande sont des modèles assez fabuleux (modèle de Price, des sites de rencontres, du crowdfunding, de Facebook, des petites annonces). Le boncoin.fr en est le parfait exemple, il s’est construit sur le  modèle de Paru Vendu mais avec une puissance bien supérieure car Internet rend la relation immédiate, gratuite et efficace.  

Quelles qualités doivent réunir un créateur et son projet pour vous séduire et vous convaincre de les financer ou d’entrer au capital ?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

C’est toujours l’équipe qui prévaut. Tout entrepreneur vous le dira, l’importance de l’équipe est primordiale. De même qu’en retail en vous parle de l’emplacement, en investissement on parle de l’équipe. Une bonne équipe peut aider à changer une mauvaise idée, l’inverse est peu probable. Une mauvaise équipe peut mettre à mal une très bonne idée alors qu’avec une bonne équipe et une mauvaise idée, il est possible d’y arriver, il suffit de changer l’idée de départ.

Comment définiriez-vous une bonne équipe?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

Suite à une mésaventure, je  préfère désormais travailler avec plusieurs personnes. Pour autant, j’ai investi dans des boîtes avec une seule personne et cela a bien fonctionné. Néanmoins, je  privilégie les sociétés ayant plusieurs fondateurs, lorsqu’un problème survient, il est plus facilement identifiable à plusieurs que seul. Nous recherchons des équipes composées de personnes ayant de réelles capacités, ouvertes d’esprits, animées par l’envie d’apprendre, capables d’identifier les erreurs et de les transformer. Il va de soi qu’il faut être travailleur et associer une forme d’intelligence et d’ouverture d’esprit. Je raisonne habituellement en upside/downside.

J’évalue les évolutions et risques possibles à leur maximum en accordant  une préférence pour les upside.  Une bonne équipe et un solide projet peuvent m’enthousiasmer sans pour autant que celui-ci ait une envergure mondiale. J’éprouve un grand plaisir à participer à une aventure intéressante et à contribuer à des projets à travers des investissements.

Quelles formes les investissements réalisés peuvent-ils prendre ?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

L’investissement peut prendre deux formes : à travers ISAI  qui gère 130M€ et dont je détiens 30% des fonds ou à titre personnel en direct. Concernant ISA, je ne suis pas permanent ou opérationnel dans la société, mais j’y joue un rôle assez  précis en aidant à la sélection des dossiers et en coachant certains projets. Je suis actuellement en lien avec la société BlaBlaCar. Pour ce qui est de l’investissement direct mené à titre personnel,  je ne contacte pas directement les entrepreneurs mais je me tiens à leur disposition si nécessaire car j’estime que c’est mon rôle. Selon la même logique, ISAI est très présente dans les boîtes, non pas pour surveiller les entrepreneurs mais pour les aider et les accompagner.

Comment fédérer les hommes autour d’un projet collectif ?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

C’est tout le rôle d’un entrepreneur. Il faut arriver à convaincre des associés, des salariés, des investisseurs, des fournisseurs et bien d’autres acteurs et  créer une dynamique. On passe son temps à aligner les intérêts de chacun, à entraîner les hommes et à faire converger les intérêts. C’est un travail permanent, il faut cette énergie positive qui permet de fédérer, cet optimisme est essentiel. Pour ma part, je pense qu’il faut être habité par son projet. À un certain moment, lorsque l’on croit complètement en son projet, on l’incarne, ce qui confère de facto un certain charisme que l’on arrive plus ou moins à exprimer et à faire transparaître.

De plus en plus d’entrepreneurs se lancent dans des carrières politiques. Est-ce un effet de mode ? L’action politique vous tente-t-elle ?

Pierre Kosciusko-Morizet : 

Non pas du tout. On me pose souvent la question mais j’imagine volontiers que mon nom de famille y est pour beaucoup.  Fut un temps, j’étais très présent dans les médias où je jouais un rôle de lobbyiste que j’ai abandonné entre temps. La politique ne me correspond pas. Je trouve que l’on y est trop jugé sur sa communication. Pour ma part, je communique lorsque j’ai quelque chose à dire et que cela sert mon entreprise. J’avais complètement arrêté de communiquer sur les deux dernières années. Je recommence à accepter des interviews car je suis heureux de dire des choses au sujet de la nouvelle boîte que je crée. Il me semble utile d’en parler afin que  les personnes soient informées et  que cela  facilite le recrutement.

En tant qu’entrepreneur, parler de ce que l’on fait peut avoir du sens car cela peut créer ou réveiller des vocations. Parler pour parler de moi ne m’intéresse pas. En politique, on s’exprime majoritairement pour parler de soi car les gens voteront pour vous s’ils vous ont trouvé bien à la télé. Lorsque vous montez une boîte, sa réussite n’est pas liée au fait que l’on vous ait apprécié à la télé, elle fonctionne si elle propose un bon produit à ses clients. Être jugé sur les faits me plaît. Je trouve qu’en politique, les gens ne sont pas tous d’un bon niveau.

On est dans un milieu très agressif et pour ma part  j’ai envie d’énergie positive au quotidien, j’ai envie de passer du temps à rendre le monde meilleur et à être très utile. On rentre en politique par vocation, mais au quotidien, on passe beaucoup de temps à communiquer et à éviter les coups des autres. Mon but est de faire des choses utiles pour le reste du monde, et j’estime que la part du temps y étant consacrée est trop infime. Je souhaite consacrer le plus de temps possible à ce qui me passionne.

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