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Politique fiction : le retour probable à une France féodale


La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS La France, cette République démocratique qui est connue pour avoir guillotiné un de ses rois et son épouse, qui avait, quatre ans plus tôt, aboli les privilèges dont jouissait l’aristocratie de l’ancien régime, entend-elle renouer avec une féodalité héritée des fiefs des temps...

Entreprendre - Politique fiction : le retour probable à une France féodale

La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

La France, cette République démocratique qui est connue pour avoir guillotiné un de ses rois et son épouse, qui avait, quatre ans plus tôt, aboli les privilèges dont jouissait l’aristocratie de l’ancien régime, entend-elle renouer avec une féodalité héritée des fiefs des temps anciens, et se réorganiser en une mosaïque d’États indépendants du pouvoir central ?

On l’a perçu depuis longtemps, notamment dans les combats pour la sauvegarde des us, coutumes et langues régionales, quoi de plus différents que des Bretons, des Basques ou des Corses. Et même dans des régions plus taiseuses, comme l’Alsace, l’attachement viscéral aux racines se ressent d’une façon particulièrement forte !

Cela s’explique sans doute par le fait que collectivement, les Français ont le sentiment que, depuis plusieurs décennies, leur nation, progressivement, perd ses valeurs. Les débats sont médiocres, les idées confuses, tout le monde donne son avis sur tout et rien, en fait tout le monde parle, qui plus est à tort et à travers, la France de Voltaire et d’Hugo pour ne citer que des figures lointaines, la France d’Albert Camus, plus près de nos valeurs d’enfance, la France pays de lumière, n’est plus !

Si l’on devait comparer la France à un être humain, on dirait qu’elle n’a plus de colonne vertébrale, elle n’a plus d’équilibre, elle est à bout de force, elle est morte comme je le soupçonnais encore récemment. Et pourtant elle a tout pour être forte et active, elle dispose d’une forte « constitution » et elle a dans ses veines des énergies inemployées, elle a dans ses institutions des organes opérationnels, elle a dans ses bras la capacité de bien faire.

Mais voilà, en plus de manquer de colonne vertébrale, la France manque de fierté, de courage et de travail. De toute évidence, notre pays n’a pas de projet clair pour le devenir de sa démocratie, il n’a pas d’objectifs affirmés, il manque de détermination pour aller vers un but précis et se perd dans de vagues réformes qui servent d’alibis et veulent faire croire qu’il se transforme, alors qu’il tourne en rond. Mais quand on dit « notre pays », de quoi parle-t-on, ou de qui parle-t-on ? De ses dirigeants ou de la collectivité formée par l’ensemble des citoyens ? Les deux sans doute, et c’est triste !

Parlons de nos dirigeants ! Savons-nous réellement ce que sont leurs projets ? Avons-nous une idée globale précise de ce qu’ils veulent faire de notre civilisation, de nos appétences et de notre culture ? Et quels sont les objectifs à atteindre ? On regarde les gouvernements se succéder et tenter d’exister en proposant réformes sur réformes, dans une sorte de fuite en avant éperdue et dans la gestion au coup par coup des faits divers ! Voilà des années que l’on parle de la réforme des retraites, de celle de la sécurité sociale et, au quotidien, les débats tournent médiocrement sans issus autour du prix des carburants, des rapports du GIEC et des atteintes à la notion de laïcité.

Il nous reste assez d’imagination et un peu de clairvoyance pour envisager le scénario que l’on écrit dans les hautes sphères du pays : l’abandon progressif de la nation au profit d’un « royaume européen » qui réunirait une multitude de fiefs régionaux plus ou moins indépendants. Les exemples sont nombreux chez nos voisins, l’Allemagne et ses Landers, la Belgique est ses provinces, le Royaume-Uni et ses pays, Galles, Irlande du Nord, Eire, Ecosse, Angleterre, aussi différents les uns des autres qu’on peut l’être, comme le signifie bien l’ancien vocable rugbystique du « Tournoi des 6 nations » qui réunit les quatre « pays » britanniques, auxquels on a d’abord ajouté la France, puis plus récemment l’Italie.

Après le rêve pacifiste de la construction d’une Europe capable d’éviter la guerre, nous voici face à une probable Europe des Régions, dirigée de loin par un monarque autosatisfait mais responsable de rien, laissant à ses vassaux le soin de diriger, de gérer et parfois d’imaginer des pistes pour améliorer le sort des populations.

La Bretagne, comme la Corse ou le Grand-Est ont ou auront leurs projets. Pour la Région SUD, on connait l’initiative lancée par son président, Renaud Muselier, qui a décidé de prendre le destin de la collectivité en mains, en créant un parti 100 % régional, déjà fort de quelques milliers d’adhérents, soutenu par des présidents de département et par un grand nombre de maires et d’associations, et qui propose une offre politique militante et citoyenne. Dans le prolongement de l’Union pour la Méditerranée créée en 2008, il relance l’idée de la création d’une « macro-région méditerranéenne » où sont concentrés tous les enjeux actuels, « l’environnement, l’économie, les migrations, les conflits, la coopération ».

Renaud Muselier parle de son nouveau mouvement en évoquant la joie, l’espoir et l’envie de faire de la politique collectivement, de défendre avant tout les territoires, mais aussi tous ceux qui y vivent. Ces propos sont directs et résument bien le besoin des territoires : « Nous, on est le parti de la vraie vie ! L’objectif : reconnecter la société civile, les vrais gens, avec tous les élus raisonnables de tous les territoires, qui veulent faire du concret et agir. Sans a priori, sans caricature, sans polémique. Pour nos sujets locaux et concrets, pas pour des débats nationaux sans fin. Voilà pourquoi on est ensemble ! »

Des réformes en trompe-l’œil !

Car aujourd’hui, en France, la stratégie de l’État est difficile à cerner. Les conseillers en communication tentent de montrer que le travail est fait, même si nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la réalité des avancées que cela représente ! On tente de définir des axes stratégiques et d’anticiper l’avenir, mais la volonté de réformer semble parfois se limiter à un catalogue de bonnes intentions.

Si l’on croyait à la « politique fiction », on pourrait imaginer qu’il y a un exécutif à deux visages, l’un qui travaille réellement tandis que l’autre s’emploie de façon souterraine à préparer l’Europe des nations indépendantes.

L’avenir est donc incertain ! Quelle sera la France de demain ? On peut et on veut croire à des lendemains meilleurs, quand nous nous référons au travail d’un grand commis de l’État qui œuvre sans relâche à la prospérité du pays et à son rayonnement européen, notre Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire. Il semble être le seul capable de mener à bien un vrai projet de rénovation et de modernisation du pays.

Mais sera-t-il toujours écouté et soutenu ? Il y a en coulisses des jeux de rôle et de dupes qui se télescopent ! Les exemples d’incertitudes et d’instabilité juridique ne manquent pas !

La formation des cadres de l’État

L’ordonnance du 2 juin 2021 a supprimé l’École nationale d’administration (ENA), ce qui doit entraîner, de facto, la création du corps des administrateurs de l’État et la disparition progressive du corps des préfets et des sous-préfets début 2023. Cette réforme d’ampleur voulue par le président de la République était la conséquence du remplacement de l’ENA par l’Institut national du service public (INSP) qui est entré en service au 1er janvier 2022. Selon le gouvernement, ce texte n’impliquait pas un affaiblissement de l’État, mais un renforcement des fonctions de préfet et de sous-préfet, avec l’idée sous-jacente de fondre tous les cadres supérieurs de la fonction publique dans un seul et même corps, celui des administrateurs de l’État afin d’harmoniser les rémunérations et de mieux gérer les questions de mobilité et de parcours.

Mais curieusement, nous assistons, courant octobre 2022, à une vague de nominations de préfets et de sous-préfets, accompagnées de cérémonies d’installation savamment orchestrées. On peut s’interroger sur ces réformes qui n’en sont pas et sur ces changements d’appellation pour des hauts fonctionnaires qui vont continuer à représenter l’État en province, dans un pays qui ne cesse d’hésiter entre la décentralisation alibi et la déconcentration des pouvoirs demeurant entre les mains de l’État centralisateur !

Jeux de dupes ou jeux de rôles ? Mais à quel prix ? Des dépenses prohibitives dont on peine à voir la nécessité.

La Justice et les professions juridiques

On pourrait citer d’autres exemples comme les éternelles et récurrentes réformes de la justice, et des procédures civile ou pénale. Les tribunaux d’instance et de grande instance sont devenus des tribunaux judiciaires pour se démarquer des tribunaux administratifs, et les cours d’appel n’ont pas pris le nom de cour d’appel judiciaire pour faire le pendant avec les cours administratives d’appel. Et tout cela n’a rien changé dans le quotidien accablant des magistrats. En revanche, la réforme de la carte judiciaire des années 2007-2009, qui visait à améliorer l’efficacité du système judiciaire en agrandissant le ressort de compétence de certains tribunaux, n’a fait que rendre la justice encore plus éloignée des citoyens qui ont besoin de ce service public. Le tout sans même parvenir à minimiser les coûts de fonctionnement par la mutualisation des moyens.

Parallèlement, on ne compte plus les réformes de la procédure pénale, dont la justification essentielle est de donner l’impression aux citoyens que l’on répond par de nouveaux textes à chacun des faits divers qui scandalisent, émeuvent ou terrifient. En réalité, la majorité de ces réformes qui semblent donner de nouveaux outils de répression aux magistrats, sont autant de redites ou de confirmation de textes répressifs existant de longue date et déjà appliqués par les tribunaux.

Et quand on s’intéresse aux évolutions de procédure protectrices des droits des citoyens, on peut aisément constater qu’elles ne concernent finalement que les mis en cause qui ont les moyens de s’offrir les services d’un avocat. Les petits délinquants, alibis mis en avant par les demandeurs de réforme, se débrouillent généralement seuls devant leur juge. « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », écrivait déjà La Fontaine dans « Les Animaux malades de la peste ».

La réforme des professions de commissaire aux comptes ou de notaires, et de leur déontologie, ou, très récemment la fusion des commissaires-priseurs et des huissiers sous le vocable de « Commissaire de Justice » sont autant de changements dans le monde de la stabilité juridique qui n’apportent que des clarifications marginales. Mais ce sont des dossiers alibis qui veulent faire accroire que l’exécutif agit et réforme profondément nos institutions. Mais au fond, au-delà des apparences, peu de choses changent, en réalité, et l’exécutif espère simplement prouver qu’il « travaille ». Peu importe si ces réformes n’aboutissent pas, qu’elles contribuent souvent à accroitre le désordre ambiant, ou qu’elles sont à leur tour modifiées par des velléités nouvelles.

Jeux de dupes ou jeux de rôles ? Et pour quel résultat ? Une dégradation du service public de la Justice, et des magistrats formés pendant au moins 7 ans à qui l’on demande de gérer le destin des conducteurs alcooliques et des consommateurs de cannabis !

La réforme fiscale

Ce que les citoyens attendent sans doute le plus, c’est, avant toute autre chose, l’amélioration de leur pouvoir d’achat, et à défaut de voir augmenter leurs salaires, ils espèrent voir baisser leurs charges. Et avec eux, tous les économistes attendent une réforme fiscale sérieuse. Sauf qu’une réforme fiscale sérieuse implique aussi que l’on mette sur la table des discussions la question du poids de la dépense publique. Si tout un chacun considère à juste raison que les missions régaliennes de l’État doivent être soutenues par des budgets « à la hauteur » des enjeux de sécurité, de santé ou d’éducation, les citoyens considèrent aussi que le fonctionnement de l’État coûte beaucoup trop cher. Comme je l’ai déjà indiqué, le simple ratio « dépenses publiques/PIB » suffit à nous en convaincre !

Et quand le constat est fait que certains agents de l’État consacrent une part de leur temps de travail à des études statistiques sans intérêt, à des audits aux conclusions connues d’avance, à la rédaction de rapports inutiles, il y a de quoi s’inquiéter. Et quand on sait à quel point les élus de la République bénéficient d’avantages qui ne sont pas justifiés par les missions qui sont les leurs (comme par exemple le nombre de collaborateurs payés mais sans réelles activités), on se dit alors qu’il y a des économies à faire.

Les agents des collectivités locales ne sont pas tous accablés par leurs tâches. Tout citoyen qui s’intéresse un tant soit peu au fonctionnement de sa commune est souvent le témoin quotidien des abus commis et de la gabegie générale. Le nombre d’employés communaux ramené au nombre d’habitants, ou le nombre de véhicules de service transformés en véhicules « de fonction » sont des indicateurs probants que la fonction publique territoriale coûte plus qu’elle ne rapporte au bien public.

Rajoutons à cette litanie de dépenses sans rimes ni raisons, l’argent public versé par l’État aux partis politiques (environ 70 millions d’euros) pour rémunérer des permanents dont les missions restent finalement assez floues.

Il faut le dire, la réforme de la fiscalité est nécessaire. L’exécutif a beau annoncer régulièrement la baisse des impôts, les citoyens voient surtout augmenter le coût de la vie et baisser leur pouvoir d’achat. Or quand un impôt baisse ou semble avoir disparu, c’est généralement parce qu’il a été transféré sous une autre forme.

L’État se désengage et les collectivités territoriales qui disent devoir faire face à de nouvelles charges, augmentent les impôts fonciers.

Alors, à quand une véritable réforme fiscale. Faire baisser le taux de l’impôt sur le revenu pour les ménages, ou sur les sociétés pour ces dernières, c’est, avec la baisse de la TVA, pourtant considérée comme étant la taxation la plus juste, la seule façon de redonner à l’économie l’élan nécessaire pour accroître la consommation et l’investissement, car ce sont les dépenses des agents économiques qui dopent la croissance. Or une croissance dynamique est l’unique levier permettant de créer de la valeur ajoutée et donc de la richesse pour la nation.

Jeux de dupes ou jeux de rôles ? Mais à quel prix ? Des charges fiscales transférées aux collectivités territoriales et des dépenses publiques nouvelles dont on peine à voir la nécessité. Pour attirer des investisseurs, il faut être capable de mettre en place une même politique fiscale sur 15 ans, c’est-à-dire sur  3 mandats présidentiels ! Car c’est le temps nécessaire pour appréhender un réel retour sur investissement, en tout cas, dans une entreprise. Et l’État aujourd’hui doit agir en entrepreneur, mais voilà, ce temps n’est pas celui, trop court, de la politique !

Fierté, courage et travail

Si l’État, comme on l’a compris dans ces premiers propos, manque de projets réels, qu’il manque d’objectifs, de ligne conductrice, en un mot de « colonne vertébrale », le pays ne peut que s’effondrer et nombreux sont les pays étrangers qui s’en félicitent. À une moindre mesure, nos voisins les plus proches, parce qu’ils peuvent avec facilité nous vendre leurs productions, mais très largement, cette faiblesse française fait ou fera le bonheur des puissances mondiales qui nous inondent de leurs produits, la Russie (tant qu’elle survivra au conflit actuel), la Chine surtout et les États-Unis, comme on peut s’en douter.

« Quand la Chine s’éveillera » disait Alain Peyrefitte en 1973, reprenant ce mot attribué à Napoléon 1er « Laissez la Chine dormir, car quand elle s’éveillera, le monde entier tremblera ».

Ce sont effectivement les Chinois qui sont sans doute économiquement les plus à craindre. Leurs dirigeants ne cachent d’ailleurs pas leur projet dominateur qu’ils ont classé en cinq domaines, avec comme stratégie principale la volonté d’atteindre leur autonomie technologique. Le nouveau salon de l’automobile montre les velléités chinoises dans le domaine très concurrentiels des véhicules électriques. Mais les Chinois sont bien trop perspicaces pour ne s’intéresser qu’à la voiture électrique. Ils sont sur les rangs pour s’imposer dans notre « pré carré » de l’énergie nucléaire ! En effet, personne n’ignore, ailleurs qu’en France, que notre parc nucléaire est désormais en mauvais état par manque d’entretien. Et, pour sauver ce qui peut encore l’être, la France qui a besoin de financements importants, devra sans doute faire appel à des partenaires étrangers. Et elle sera écartelée entre la Russie, la Chine et les États-Unis, secondés par des alliés coréens et japonais) qui se livrent une lutte à mort pour remporter de nouveaux marchés. Et la France sera d’autant plus marginalisée qu’elle n’a pas su prendre les bonnes décisions à temps et que pour cette raison, EDF connait une « perte de compétence généralisée » alors qu’elle était l’un des fleurons de la France industrielle.

Outre ces projets dans le nucléaire civil, les américains tenteront de tirer avantage de la faiblesse des occidentaux en profitant de l’évolution péjorative de la parité de l’euro face au dollar. La Communauté Européenne unie, forte de 450 millions d’habitants, aurait pu résister à ces attaques, mais individuellement, aucun de ces pays ne semble plus pouvoir gagner la guerre économique. Mais si les États-Unis envisagent déjà une stratégie de « colonisation » des pays européens qui sont, indépendamment les uns des autres, particulièrement vulnérables, c’est sans compter sans la politique fiction et les stratégies de certains « Monarques » qui rêvent de créer une Europe des Régions !

Les accords se négocient déjà ! Comme dans le « Seigneur des Anneaux » de l’écrivain J.R.R. Tolkien, un anneau pour les différents peuples… et « un anneau pour les gouverner tous » ! Pour en revenir à la France, en l’absence d’un État voulant être fort, héritier des Capétiens, de Napoléon 1er ou du général de Gaulle, il nous restera le « Monarque » de demain, conscient de son incapacité à définir une stratégie globale pour le pays, mais qui régnera sur une « agglomération » bigarrée d’individualités au milieu desquelles surnageront quelques personnalités volontaires, entreprenantes, courageuses et fières de leur pays.

Car c’est sans doute ce qui manque le plus à notre nation, ces trois qualités essentielles, la fierté, le courage et le travail. Y a-t-il encore un sentiment national réel dans ce pays ? Parfois, en de rares événements, on le retrouve, mais, dans ces dernières décennies, les exemples n’ont rien à voir avec la flamboyance de la liberté retrouvée de 1944. Que nous reste-t-il ? Un moment court de 1998 où la France du football s’est retrouvée pour célébrer son équipe après la victoire au Mondial. Une fraternité de courte durée entre des français de toutes origines, qui ont retrouvé très vite leurs divisions, leur intolérance face à leurs différences, et pour tout dire, leur mépris face à l’idée même de ce qu’est la France.

Ainsi, comment interpréter ces drapeaux étrangers si fréquemment agités dans les tribunes de l’équipe parisienne ? Où est donc la fierté de ces français qui méprisent le pays qui les a vus naître ou qui les a accueillis ?

Le courage

« Le courage n’est rien sans la réflexion », a écrit le dramaturge grec Euripide au 4ème siècle avant notre ère. Et rien que de plus vrai aujourd’hui, car, à bien y réfléchir, la culture du digital qui nous offre pourtant l’immensité des savoirs désormais encyclopédiques, nous offre aussi l’immensité du désert des idées. Le développement des réseaux sociaux qui aurait pu offrir des capacités nouvelles de réflexion à des populations de mieux en mieux formées et de plus en plus informées, nous donnent le spectacle d’un nivellement sinistre des valeurs et d’une décrépitude de la compréhension humaine. Les internautes sont désormais des millions à s’imaginer « maitres du monde », à estimer tout savoir sur tout, et parallèlement, vouloir tous penser la même chose, être comme les autres, par peur, sans doute, que leur esprit critique et que leur différence ne les distinguent trop de la pensée commune et « politiquement correcte ».

Désormais, aucune idée un peu originale et aboutie ne peut sortir d’une publication sur le web sans que son auteur soit immédiatement lynché, jeté au pilori de la non culture, quand ce n’est pas pire, c’est-à-dire menacé dans son intégrité physique. La différence, c’était le mot que les utopistes utilisaient autrefois pour parler de richesse. On s’enrichit de nos différences. Et c’est Albert Camus qui écrivait : « Etre différent n’est ni une bonne, ni une mauvaise chose. Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même ». Mais le temps a passé depuis le prix Nobel de littérature qu’il a reçu en 1957 ! Et de nos jours, en dépit de la somme des connaissances accumulées et de leur accès immédiat et facilité, les citoyens redoutent de manifester leurs opinions, surtout quand elles sont différentes. Et le spectacle que nous donnent les réseaux sociaux est désormais suffisamment lamentable, les apports au débat public d’une telle et stridente pauvreté, et le ton des échanges trop souvent limité à des injures nauséabondes qui nous soulèvent le coeur.

Dans les « débats » proposés par certaines chaînes de télévision spécialisées dans ce qu’on appelle « l’information » (mais qui n’en a souvent que le nom), on peut observer, sidérés, comment des castes de donneurs de leçons, sortis d’on ne sait où, spécialistes en rien, n’ont comme objectif, de toute évidence, que de vouloir susciter des conflits. Parfois, on a peine à suivre ce qui se dit dans le tintamarre du plateau et en fin de compte, on a surtout de la peine pour l’image que cela donne du journalisme et de la culture française. Je me réfère à nouveau à Albert Camus, lucide parmi les lucides, qui affirmait que « Le grand courage, c’est encore de tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort ».

Et si les internautes et les téléspectateurs se satisfont de débats d’idées aussi médiocres, c’est aussi parce que les élites ont failli. Et si l’État n’a pas de projet politique autre que populiste, s’il ne définit pas un fil conducteur et s’il n’a pas une ambition ferme pour le développement de la Nation, qui pourra y parvenir, sinon les citoyens eux-mêmes !

Et je pense là à tous ceux qui veulent porter les valeurs de notre pays, par leur engagement et leur travail, agriculteurs, artisans, entrepreneurs, voire même industriels, et bien-sûr tous ceux qui travaillent et ont fait de la France une Nation vaillante, volontaire et constructive. L’économie ne se décrète pas par une décision du conseil des ministres, elle se fait dans les régions les plus profondes du pays, avec un sentiment affirmé pour l’esprit national, le sentiment d’appartenir à une entité identifiée dont on veut être fier. Les chercheurs inventent, les artisans innovent, les travailleurs mettent en œuvre des savoirs acquis et maîtrisés, les commerçants distribuent et vendent ce qui se crée ou se fabrique, avant tout pour satisfaire les besoins des citoyens et des consommateurs, ce qu’ils sont d’ailleurs aussi eux-mêmes.

Le travail

Quel curieux pays que notre France autrefois réputée pour son système éducatif ! L’enfant est maintenant très tôt confronté à l’idée que le travail est une tâche ingrate, sans intérêt, chronophage qui le prive de sa liberté naturelle, le plus souvent par des mots d’adulte mal choisis : « Tu as du travail à faire » ou « Tu as des devoirs qui t’attendent, avant d’aller jouer » !

Montaigne estimait que « le but de l’éducation d’un enfant, c’est le développement d’une pensée critique, autonome et personnelle et que ce qui compte, ce n’est pas l’étendue des connaissances, mais la manière de bien les assimiler ».

Rien d’étonnant donc que notre époque montre une désaffection d’une partie des classes d’âge les plus jeunes pour le travail. Les soirées, les week-ends, les vacances sont des moments bien plus importants que le travail ! Et pourtant, le temps consacré au travail nous prend une grande partie de nos journées. Et si l’on remplace le mot « travail » par « activité », on s’aperçoit que notre vie est consacrée pour sa plus grande part à des moments actifs.

Mais notre époque est celle des loisirs, comme pour faire croire que c’est là le temps essentiel de notre existence ! La culture digitale nous draine vers le jeu, la détente, l’amusement. On constate d’ailleurs la difficulté qu’ont les millenials à demeurer longuement dans un emploi sans décider de l’interrompre régulièrement par des périodes de chômage ou de temps personnel, et nombreux sont ceux qui font des calculs précis pour savoir au bout de combien de mois, ils pourront prétendre à une indemnité leur permettant « de souffler un peu » !

Rappelons ce mot de Confucius : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ». On le sait, de nombreux travailleurs n’ont pas la possibilité de faire un tel choix et, effectivement, le manque de choix, le travail par obligation, les tâches exténuantes, tout cela peut rendre amer.

Le travail, je ne le répéterai jamais assez, forge l’identité de l’individu. Et le but de toute société, comme de tout employeur, est de valoriser le travail, tant par respect des travailleurs que pour la qualité de ce qui est produit, biens ou services. Il n’est pas simple de trouver comment relancer l’activité économique d’un pays comme le nôtre afin de lui redonner sa place ancestrale, surtout quand l’État est en manque d’inspiration dans la définition d’objectifs collectifs, comme la recherche d’énergies nouvelles, la lutte contre le réchauffement climatique de la planète, l’indépendance alimentaire, etc.

Ce n’est pas simple, mais c’est essentiel ! Ce n’est pas simple, car il faut, dans pareille hypothèse, motiver suffisamment de citoyens pour qu’ils s’engagent. Ce n’est pas simple, mais on le sait, ce n’est pas depuis les salons des ministères parisiens et de l’Élysée que les choses pourront se faire.

Car, contrairement à l’idée que l’on se fait de la décentralisation après laquelle on court et que l’on maquille en déconcentration, ce ne sont pas les préfets ou les sous-préfets dont on redore les épaulettes, même secondés par les services extérieurs de l’État, qui y parviendront. Ils ne connaissent pas suffisamment le terrain ! Reste donc à mobiliser les énergies locales.

Une féodalité nouvelle

Et c’est là où la « politique fiction » rejoint la réalité ! Le futur monarque européen pourra s’appuyer sur de nombreux exemples d’initiatives locales réussies, souvent méconnues, développées dans les régions de France (production agricole et filières biologiques, tourisme en lien avec des territoires réputés perdus, même très petits, productions artisanales, mais aussi projets écologiques d’ampleur exemplaire, etc.). Et qui connait le mieux les provinces, voire même les régions ancestrales, sinon les élus locaux implantés de longue date.

Jeux de dupes ou jeux de rôles ? Et dans notre narration de politique fiction, qui le sait mieux que quiconque, sinon le futur monarque européen qui choisit ses vassaux !

En somme, les pouvoirs détenus depuis toujours par l’État reviennent ou vont revenir dans les mains des présidents de région comme des charges administratives progressivement abandonnées par Paris. Mais elles sont aussi autant de « charges » (dans le sens qu’avaient certains territoires sous l’ancien régime, des baronnies, des marquisats ou des duchés) offertes aux vassaux fidèles !

Cette nouvelle organisation, qui va s’imposer par peur du vide, pour remplir les espaces laissés vacants par le pouvoir central, sera un peu comme la création d’une féodalité nouvelle. Il s’agit donc de la prise de pouvoir au niveau local de pouvoirs disponibles par des élus pionniers qui se détournent des combats nationaux aussi vains que décevants. Ils seront des vassaux, mais ce sont aussi des gens qui savent que l’avenir du pays tout entier passe par la vie culturelle et économique des régions.

L’État a voulu, en 2016, la réforme des régions qui sont désormais au nombre de douze en France métropolitaine. Ces régions ont leur identité et face à une Europe désunie qui a raté la construction d’une fédération de nations, on verra se développer bientôt une Europe et une France des Régions. Plus de proximité pour plus d’efficacité ! Cessons ces débats incessants sur la fiscalité locale comme j’ai pu le lire récemment, travaillons plutôt sur des « recettes » liées à de la création de valeur pour un territoire, et une telle ambition passera nécessairement par une alliance pérenne entre le public et le privé.

Bernard Chaussegros

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