Un emploi à vie, des rémunérations garanties à l’ancienneté, le droit de grève, un régime spécial de retraite… Statut, primes, évaluation, temps de travail : il est temps de réformer la fonction publique affirment plusieurs experts.
S’agissant de la fonction publique, beaucoup a été dit, peu a été fait. Le nombre d’agents et le coût pour les finances publiques augmentent invariablement quel que soit le gouvernement au pouvoir. Nous comptions 5,2 millions d’agents dans les trois fonctions publiques (État, collectivités locales, hôpitaux publics) en 2008 et 5,4 en 2014.
Avec 278 Mds€ de dépenses en 2014, la masse salariale des personnels publics de la France représente toujours 13% de notre richesse nationale quand les Allemands sont à 7,7% et les Britanniques, à 9,5%. On constate que tous les pays, y compris les plus connus pour leur État-providence, sont passés à des embauches de leurs personnels publics non plus sous statut, mais sous contrat et donc sans emploi «à vie».
La Suède compte plus de 99% d’agents contractuels, le Royaume-Uni, 90%, l’Allemagne, 60%, quand la France en compte à peine 17%. Dans la perspective de 2017, les objectifs doivent être les suivants :
– réduire de 440.000 le nombre de postes d’ici 2022 dans les trois fonctions publiques (sauf dans le régalien où il faut embaucher 15.000 agents) ;
– ramener à 11% le poids des rémunérations des agents publics dans le PIB, soit 15 Mds€ d’économies d’ici 2022.
Étape 1 : geler les embauches
L’objectif est de baisser les dépenses de rémunérations des agents publics dans le PIB et les faire passer de 12,8% du PIB en 2014 à 11,1% en 2022. Cela implique un important effort de non-remplacement des départs à la retraite dans la fonction publique déclinés de la façon suivante :
– 45.000 départs à la retraite annuels non remplacés dans la fonction publique d’État (FPE) ;
– 2 départs à la retraite sur 3 non remplacés dans la fonction publique territoriale (FPT) ;
– non-remplacement total dans la fonction publique hospitalière (FPH).
Cet effort devrait permettre d’économiser 1,4 Md€ par an dans la fonction publique d’État, 1 Md€ dans les collectivités locales et 500 M€ dans la fonction publique hospitalière. Au total, y compris les opérateurs et les organismes de Sécurité sociale, l’effort serait de 3,4 Mds€ annuellement d’ici à 2022.
En revanche, il faut renforcer les embauches dans les postes régaliens avec d’ici 2022 :
– 6.000 postes dans le secteur de la Défense ;
– 5.000 postes dans le secteur de la police/gendarmerie ;
– 4.000 postes dans le secteur justice/pénitentiaire.
À ces mesures s’ajouteraient un gel du point de la fonction publique, la suppression du supplément familial de traitement et la lutte contre l’absentéisme. Au total, et pour les trois fonctions publiques, ce sont 4,8 Mds€ d’économies brutes annuelles sur les coûts des personnels (hors embauches de personnels régaliens).
Cet effort ne sera pas possible sans revoir la question du statut pour augmenter le temps de travail de 1.607 à 1.750 heures travaillées annuelles comme dans le privé, et ainsi créer l’équivalent de 400.000 postes ETP. En effet, le non-remplacement implique d’augmenter le nombre d’heures travaillées sans recourir aux heures supplémentaires.
C’est particulièrement vrai dans l’Éducation nationale où il faudrait au minimum augmenter le temps de travail de 2 heures supplémentaires pour le second degré.
Le passage entre la situation actuelle et cette nouvelle organisation doit se faire sur le long terme. Premièrement, le gel des embauches pendant 5 ans et le non-remplacement des agents partant en retraite permettront de réduire le nombre de fonctionnaires de manière conséquente.
Pendant ce temps, un référendum sera organisé pour passer les nouveaux entrants sous contrat de droit privé et pour passer les agents en poste du statut au contrat. Enfin, le statut de fonctionnaire sera réservé aux seuls agents régaliens, qui seront recrutés par concours dans une filière d’emplois précise.
On conservera cependant la possibilité d’embaucher sous contrat pour ceux qui le sont déjà (Défense). Par conséquent, les agents contractuels actuellement en poste sur des missions régaliennes continueront à cohabiter avec des fonctionnaires. Dans un souci d’équité et de cohérence, à la fin de leur contrat et uniquement en cas de renouvellement de celui-ci, ces contractuels se verront proposer un CDI de droit public.
Les futurs agents non régaliens du service public seront quant à eux désormais recrutés sous des contrats de droit privé. L’ensemble des personnels de la fonction publique, titulaires ou non, sera soumis au régime général de la Sécurité sociale.
Étape 2 : embaucher sous contrat privé
La rigidité du statut de la fonction publique est un handicap pour l’administration et les agents eux-mêmes. En effet, l’emploi à vie ne se justifie plus. Or, en vertu des lois relatives au statut, un fonctionnaire ne peut être licencié, sauf en raison d’une insuffisance professionnelle très difficile à démontrer ou d’une révocation pour faute lourde.
Mais même cette dernière s’avère être particulièrement compliquée à appliquer puisque, avant d’en arriver là, l’agent pourra subir plusieurs degrés de sanctions. Le statut est la source de protection des agents : sur 3.177 sanctions disciplinaires prononcées en 2015, à peine 158 étaient des révocations. Le licenciement économique n’existe pas dans la fonction publique, lorsqu’un service est fermé, les agents sont simplement réaffectés.
Enfin, un fonctionnaire qui se retrouve «licencié» après avoir refusé successivement 6 propositions de postes touche quand même des indemnités chômage pour lesquelles l’État est son propre assureur.
Il faut donc :
– embaucher sous contrat de droit privé les nouveaux entrants dans les trois fonctions publiques. Pour les emplois régaliens, conserver la possibilité d’embaucher sous statut ou sous contrat pour ceux qui le sont déjà (notamment dans la Défense) ;
– permettre à ceux qui veulent passer du statut au contrat de le faire ;
– créer une bourse locale de l’emploi public. Il existe déjà aujourd’hui des bourses pour l’emploi interministériel, à destination des fonctionnaires de la fonction publique d’État et pour l’emploi territorial dans les collectivités, qui permettent une mobilité simplifiée aux agents. Mais il faut créer une bourse de l’emploi public unifiée, qui s’adresse autant aux agents publics en poste qu’à ceux qui souhaitent rejoindre la fonction publique ;
– supprimer l’obligation de reclassement. En cas de restructuration de son service, l’agent, encore sous statut, se voit proposer un maximum de 3 propositions de postes correspondant à ses compétences. En cas de refus, il est révoqué. Par ailleurs, il convient de faire adhérer l’État au régime de l’Unedic et mettre fin au principe de l’auto-assurance. Ce dispositif doit permettre une montée en puissance des cotisations employeur et employé au-delà du 1% actuel dit de «solidarité» ;
– favoriser les départs volontaires. Les agents titulaires qui souhaitent quitter la fonction publique pour rejoindre le privé, créer une entreprise ou autre, se verront proposer une indemnité de départ volontaire calculée sur leur ancienneté.
Une mesure similaire a été mise en place par la précédente majorité en 2008, mais elle ne s’adressait qu’aux seuls fonctionnaires de l’État et s’était vite retrouvée bloquée. Il serait bon que cette indemnité de départ volontaire soit commune à l’ensemble des fonctionnaires, notamment pour accélérer la réduction des effectifs. Même si une telle mesure représente au premier abord un coût conséquent pour l’administration, il faut considérer l’économie qu’elle entraînera sur le coût des pensions de retraite.
– supprimer le détachement. Les agents doivent progresser par la fonction qu’ils vont occuper à l’extérieur de leur administration. Cela permettrait aussi de mettre fin aux abus. Puis ils reviendront si et seulement s’ils sont capables d’en occuper une autre dans leur administration d’origine. Cela ne doit donc plus dépendre d’une progression factice dans une échelle purement administrative.
Cela permettrait aussi de mettre fin aux abus : les fonctionnaires d’État en détachement, outre les élus, sont essentiellement en poste dans des collectivités locales et dans des opérateurs, dont l’objectif est de vivre au maximum sur le dos de l’État.
Étape 3 : rémunérer au mérite
En vertu du principe d’unicité de la fonction publique, le point d’indice, base de calcul de leur traitement, est commun à l’ensemble des fonctionnaires.
Ainsi, lorsque l’État décide de «revaloriser le point d’indice», il concède une augmentation de salaire à l’ensemble des agents titulaires, sans aucune considération de mérite ou simplement d’équité. Ainsi, une revalorisation de 1,2% du point n’apporte aux agents que quelques euros en plus sur leur fiche de paie, mais coûte plus de 650 M€ en 2016, et passera à 1 Md€ dès 2017. Dans la fonction publique locale, les employeurs territoriaux fixent le régime indemnitaire en vertu du principe de libre administration des collectivités.
Cependant, la collectivité ne doit pas attribuer une prime ou indemnité qui n’aurait pas été préalablement créée par un texte juridique ou réglementaire et le régime indemnitaire de la collectivité ne doit pas être plus favorable que celui des fonctionnaires de l’État pour des fonctions équivalentes. Enfin, il existe une multitude de primes dans la fonction publique : indemnité mensuelle de technicité, prime de rendement, allocation complémentaire de fonction (ACF)…
Une dernière tentative de réforme des carrières des agents a été entreprise dans le cadre de l’accord PPCR (pour parcours professionnels, carrières et rémunérations) à l’automne 2015 entre le gouvernement et les syndicats et qui «pose les nouveaux principes de la politique de rémunération dans la fonction publique.
Il met en place une restructuration des grilles de rémunération des corps et cadres d’emplois des catégories A, B et C, qui sera mise en œuvre de 2016 à 2020 afin de mieux reconnaître les qualifications des fonctionnaires et de leur garantir des carrières plus valorisantes». L’échec de la précédente tentative de prime à la performance (PFR) laisse sceptique néanmoins sur l’issue de ce nouveau système.
Surtout, les signataires de l’accord PPCR rappellent en préambule «leur volonté d’orienter la politique de rémunération prioritairement sur le traitement indiciaire», ce qui s’est traduit par 2 mesures symboliques : un premier mouvement de transfert d’une partie des primes versées aux agents vers les grilles et une revalorisation du bas et du sommet des grilles d’ici à 2017, afin de mieux reconnaître le niveau de qualification et le niveau des fonctions exercées.
Cet accord PPCR est donc un remède pire que le mal : il va redonner de la rigidité à la rémunération et concentrer à nouveau les espérances des agents sur la valeur du point, qui est un dispositif égalitariste et coûteux.
Il vaudrait mieux mettre fin au principe d’unicité. Ce système de rémunération commun à l’ensemble des fonctionnaires est un poids pour les gestionnaires locaux qui doivent dégager des marges budgétaires pour assumer des augmentations imposées depuis Paris. Chaque gestionnaire local (collectivités et hôpitaux) devrait être responsable de sa politique salariale.
À cette fin, il est nécessaire d’inverser la hiérarchie des normes en matière de rémunérations : le Conseil supérieur de la fonction publique et les conseils supérieurs de chacune des trois fonctions publiques devraient désormais s’attacher à homogénéiser l’ensemble des régimes indemnitaires de façon à faciliter la mobilité et la transversalité des carrières regroupant l’ensemble des dispositifs indemnitaires de droit commun.
Pour les collectivités territoriales et les opérateurs, le Conseil supérieur de la fonction publique devrait gérer les primes et superviser l’homogénéité des mesures exclues des régimes indemnitaires RIFSEEP, tels que les indemnités touchant au travail de nuit, dominical, les jours fériés ou les astreintes.
En revanche, les gestionnaires (État, collectivités et hôpitaux) deviendraient autonomes sur la revalorisation du point de fonction publique, de la progression de carrière (mini/maxi) dans le cadre de grilles normalisées indicatives et des dispositifs relatifs à l’intéressement (CIA).
De même, les rémunérations des agents de la fonction publique d’État, titulaires ou non, ne doit plus faire l’objet d’une grille indiciaire indicative, afin de mieux tenir compte des parcours individuels. Enfin, il faut introduire une part de rémunération au mérite dans le salaire des agents, comprise en 0 et 20% du traitement brut, tenant compte des résultats professionnels dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. En outre, il faut réduire le pouvoir trop important des commissions administratives paritaires (CAP) :
– en rendant aux managers plus de pouvoirs pour les notations et les évaluations au mérite ;
– en ne soumettant plus aux CAP les mutations géographiques qui ne doivent relever que des managers administratifs afin de casser la cogestion par les mouvements nationaux ;
– en transférant le contentieux disciplinaire aux tribunaux des prud’hommes pour les personnels non titulaires (à partir du moment où l’on bascule sur des contrats de droit privé) ;
– en conservant le contentieux disciplinaire devant les tribunaux administratifs pour les seuls agents titulaires effectuant une mission régalienne et les contractuels de droit public.
Enfin, il faut redéfinir le droit de grève pour l’ensemble des agents publics, qu’ils soient ou non titulaires. L’objectif est ici de lutter contre les grèves politiques et les grèves de «solidarité» et «politiques» qui pèsent sur nos administrations, et qui devraient être sanctionnées par une mesure de licenciement pour les agents sous contrats et de révocation pour les agents titulaires.
Étape 4 : augmenter le temps de travail
Le secteur privé travaille plus que le secteur public : de 37 heures hebdomadaires en moyenne dans le public contre 38,5 dans le secteur privé.
Annuellement, c’est une cinquantaine d’heures de travail par an de plus qui sont effectuées par les salariés dans le secteur privé. Paradoxalement, les heures supplémentaires sont très utilisées dans le public. Ainsi, nous aboutissons au paradoxe d’un temps de travail plus faible, mais d’un nombre d’heures supplémentaires pratiquement aussi important que dans le secteur privé : 7 heures par trimestre pour le secteur public contre 9 heures supplémentaires par trimestre dans le privé.
Il est donc souhaitable d’aménager le temps de travail rehaussé à 1.750 heures annuelles de base légale par filière d’emplois pour rester au plus près des réalités et des besoins des différents services, tout en respectant les spécificités de l’action de certains métiers de la fonction publique.
Enfin, pour faire face à l’absentéisme, il faut instaurer 3 jours de carence pour les fonctionnaires, les agents non-régaliens étant désormais recrutés sur un contrat privé, en appliquant une règle tirée de la convention collective du secteur bancaire : 6 jours de carence maximum par an seraient indemnisés au plafond de la Sécurité sociale. C’est une mesure juste, mais surtout efficace pour lutter contre l’absentéisme et les arrêts maladie de confort. La lutte contre l’absentéisme permettrait une économie de près de 2,5 Mds€ par an. Cette mesure peut passer par une simple disposition en loi de finances.