En pleine agitation politique, les élus savent qu’il leur reste seulement quelques mois pour convaincre. Pourtant, les entrepreneurs ne sont guère entendus. Pourquoi la classe politique ignore-t-elle toujours ses créateurs de richesses et d’emplois ?
La connaissance de l’économie réelle est-elle suffisante chez les politiques et les élus ?
Éric Michoux
: C’est celle des entrepreneurs qui doivent faire une fiche de paie, qui sont confrontés aux problèmes sociaux et judiciaires d’une entreprise et qui gèrent une véritable complexité administrative. Si les élus savaient cela, s’ils en connaissaient l’existence, ils sauraient que la gestion d’une entreprise reste très complexe.
Je propose aux politiques de venir faire un stage de 6 mois dans une PME pour constater les difficultés des chefs d’entreprises, notamment face au fardeau administratif qui pèse sur eux. Il ne faut pas oublier également leur incapacité à comprendre la mutation numérique telle qu’elle est aujourd’hui : big data, réseaux sociaux… Les politiques sont à 1000 lieues de tout cela.
François Asselin
: Non ! Maintenant, si nous devions avoir une expertise à chaque fois pour vivre les choses… Ce n’est pas parce que l’on na pas connu l’économie réelle que nous ne devons pas la comprendre.
Karine Charbonnier
: Elle est variable, en moyenne insuffisante. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai écrit mon livre*. Les difficultés des entreprises sont méconnues. Beaucoup de chefs d’entreprises m’écrivent pour m’assurer que c’est ce qu’ils vivent.
Sans un changement de vision, la France peut-elle retrouver la croissance et créer de l’emploi ?
Éric Michoux
: C’est une question un peu fermée… La force d’un homme d’entreprise c’est de donner un axe stratégique. Mais sans vision, il devient impossible de mettre en route la confiance. Lorsque les hommes politiques réinstalleront la confiance, les chefs d’entreprise remettront en route l’économie. Car on peut se projeter uniquement lorsque l’on sait où l’on va. Aujourd’hui, si je suis un industriel et que j’ai confiance, je vais acheter des machines et embaucher… ce que je ne ferais pas si je n’avais pas confiance.
François Asselin
: Il faut revenir aux fondamentaux. Le seul créateur d’emploi et générateur de la richesse, c’est le secteur marchand donc les entreprises. Pour retrouver de la croissance, il faut avant tout que ce secteur évolue dans un environnement favorable. Derrière l’industrialisation et l’innovation, il y a les emplois. À partir de ce constat, nous avons oublié de revenir aux fondamentaux. Si nous sommes dans un pays qui ne crée pas de richesse, alors tout s’enraye.
Karine Charbonnier
: Non. Une révolution copernicienne s’impose. Certes, une certaine régulation est nécessaire, mais nous sommes allés trop loin dans le curseur des lois en les retranscrivant à la lettre. Nous sommes arrivés à des situations abracadabrantesques, le système est devenu fou. Il faut revenir à quelque chose de plus simple. Mais nous ne nous trouverions pas dans une telle situation si le législateur vivait la situation de l’intérieur et avait plus de bon sens.
Comment les entrepreneurs peuvent-ils faire évoluer les choses ?
Éric Michoux
: En s’impliquant en politique comme j’essaie de le faire…La plupart des hommes politiques sont des gens bien. C’est extrêmement dur pour les entrepreneurs de s’installer en politique mais ils peuvent apporter une nouvelle vision et des changements. Il faudrait un ajustement de la loi pour accepter les entrepreneurs en politique et leur faciliter l’accès.
Pour l’instant, c’est un frein en termes d’organisation et de stabilité pour leur entreprise. Pourtant, l’entrepreneur, qui a l’habitude de fixer des objectifs pour se développer, peut apporter une vision différente. Il est capable de réunir les meilleurs afin de créer une dynamique positive, là où un politique est capable de s’entourer de «pommes pourries» car sa finalité est d’obtenir le pouvoir peu importe comment.
François Asselin
: Les PME font évoluer les choses. Être un entrepreneur, c’est entreprendre, un acte qui rend service aux collectivités nationales. Il faut faire en sorte que leur environnement soit favorable et être présent dans les débats. Notre rôle est de créer le dialogue avec l’échiquier politique et les entreprises alors que bien souvent on sépare les deux.
Karine Charbonnier
: En exprimant davantage ce qu’ils vivent. Il y encore trop de politiquement correct. Il faut oser parler de la réalité nue et partager nos réalités. Nos lois doivent converger vers les lois européennes, par exemple en matière de modalités de rupture de contrat, dans le cadre d’une sécurisation d’un parcours, pour ainsi pouvoir embaucher plus facilement. C’est indispensable pour rassurer les entreprises et les entrepreneurs. Il faut faire sauter les verrous !
L’entreprise n’est-elle pas la grande absente de la campagne qui s’annonce ?
Éric Michoux
: J’en ai l’impression… Ce sont deux mondes qui ne se comprennent pas car ils ne se connaissent pas. Dans la campagne présidentielle qui s’annonce, nous sommes aujourd’hui davantage sur des rappels identitaires, sur des valeurs. Quant aux entreprises, on en parle uniquement sur un plan fiscal ! Or, la plupart des entrepreneurs ont un projet social.
François Asselin
: Pas tout à fait ! La plupart des prétendants ont tous sur les lèvres les trois lettres magiques : PME ! Encore faut-il que cette bienveillance se traduise par des actes posés. La plupart des politiques mais aussi la plupart des Français se rendent compte que ce sont les PME qui génèrent de l’emploi. D’ailleurs, en France, 98% des entreprises sont des PME, soit 48% de l’emploi salarial.
Karine Charbonnier
: J’espère que non ! Certains hommes politiques en parlent, notamment François Fillon. Dans son programme, les clés pour lutter contre le chômage passent par les entreprises. Alors je reste optimiste et j’espère que notre message soit enfin entendu. L’idée est de construire un modèle de société confiant et innovant, à l’image de ce qu’ont fait certains de nos voisins européens, l’Allemagne et l’Angleterre notamment qui connaissent le plein emploi. Même si ce n’est pas le paradis, c’est nettement mieux qu’un chômage à 10%.
Est-ce qu’il y a un candidat qui vous semble incarner les attentes des chefs d’entreprises ?
Éric Michoux
: Aujourd’hui, nous sommes dans une monarchie républicaine. Pendant la Vème république, le général De Gaulle a façonné la France à son image. Le rôle d’un président est d’inspirer, de donner une orientation. Ensuite, c’est au Premier ministre de se charger de la mise en œuvre de cette vision. Le président doit aussi assurer une fonction sécuritaire en tant que chef des armées. Il doit apporter un rayonnement à l’international en représentant le pays.
François Asselin
: Mon seul candidat, c’est la PME ! Je tiens comme à la prunelle de mes yeux à la neutralité. Mon rôle consiste à ce que les PME et ceux qui les dirigent soient recentrés dans le débat. À la CGPME, nous avons eu l’occasion d’écouter l’ensemble des candidats à la primaire à droite et au centre, et constatons qu’il y a peu de désaccord sur les grandes lignes. Ce qui les différencient ? Là où ils vont placer le curseur, notamment en terme de fiscalité.
Karine Charbonnier
: François Fillon. Courageusement, il a placé la liberté au cœur de ses valeurs. Cette liberté régulée demeure indispensable ! Il faut moins de règles, réformer le Code du travail et sortir de la complexité-sécurité pour rentrer dans la flexi-sécurité. Je rejoins notamment François Fillon sur l’allègement des charges sociales, les 35 heures qui ne doivent pas être imposées…
[ALIRE]
Quelles sont la ou les principales décisions politiques que vous espérez pour redynamiser l’économie ?
Éric Michoux
: Simplifier le Code du travail de 3.500 pages ! Il est incompréhensible. Même le plus brillant des avocats n’y comprend rien. Idem pour le Code de la fiscalité ! Même le plus grand fiscaliste s’arrache les cheveux. Il faut également donner plus de souplesse à l’embauche, abroger les 6 M€ du CICE et réinjecter cela dans les charges patronales, salariales et sociales, afin de redonner du pouvoir d’achat et de la compétitivité aux entreprises.
Cette mesure, qui est un crédit d’impôt, ne fonctionne pas pour les ETI. La relance du pays passe par la production plutôt que la consommation. Car si nous redonnons de l’argent aux ménages, 75% seront injectés dans l’économie internationale, via les importations. En revanche, en replaçant l’argent dans les entreprises françaises, l’économie peur redémarrer.
François Asselin
: On ne s’en sortira pas sans engager des réformes structurelles. Au fils des années, nous avons eu droit à des réformes soit-disant «majeures». En réalité, il s’agissait de petites réformes. Nous sommes le pays où l’écart entre les secteurs public et marchand est le plus important puisque 57% des richesses sont absorbées par la sphère public. En continuant ainsi, la dette s’alourdit. Si demain les taux d’intérêts augmentent, nous serons fragilisés même dans notre souveraineté. Il faudra plus de 5 ans pour nous relever en évitant de créer des déficits.
Le marché du travail restant sclérosé, il faut le déverrouiller. C’est en restructurant, en engageant des réformes de fonds, en construisant un environnement favorable aux entreprises et en allégeant le fardeau fiscal et social que nous réussirons. À force de vouloir que la France devienne un eldorado social, nous en faisons un désert économique. La solution ? L’expérimentation et vérifier l’impact sur le tissu des PME en mesurant si la mesure est bonne pour les entreprises.
Karine Charbonnier
: Alléger les charges sociales, réformer le droit du licenciement, faire sauter quelques monopoles syndicaux et d’assurances. Par exemple, le RSI devrait pouvoir être mis en concurrence. Les assurances sont une activité comme une autre, par conséquent il faudrait les gérer avec plus d’efficacité.
En Allemagne, les salariés ont le choix parmi 120 caisses d’assurances. Moi-même dans mon métier je serais beaucoup moins efficace si j’avais le monopole… Les conventions collectives ne devraient pas être obligatoires. Dans mon livre, je pousse un cri de vérité loin du politiquement correct. Je souhaite construire une France moderne. Le taux de chômage en France est en parti dû à l’absence de réussite de nos entreprises noyées sous une administration lourde et dénuée de sens. Je crois beaucoup au dialogue social mais il faut le moderniser.
* Patrons, tenez-bon !, Albin Michel.