Vladimir Poutine aime à faire régulièrement des confidences sur ses lectures favorites, et le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’elles sont parfois très surprenantes !
Il cite ainsi régulièrement des extraits du livre qu’il préfère entre tous, et dont le héros est… un prince ! Alors, croyant connaître le Président de la Russie, on imagine tout de suite qu’il s’agit du fameux « Prince » de Machiavel, un traité politique qui justifie la cruauté comme système de gouvernement, en faisant l’apologie d’Hannibal ou de César Borgia, deux potentats dont la férocité était légendaire.
Et bien pas du tout ! Le livre de référence de Poutine , celui qu’il dit aimer au point de l’avoir appris par cœur quand il était enfant, parle bien d’un Prince, mais c’est celui de Saint Exupéry, figure pleine d’innocence et de candeur, à des années-lumière du personnage fourbe et perfide de l’ouvrage de Machiavel !
« Une question de discipline »
A plusieurs reprises, Poutine a émaillé son discours de citations choisies dans le Petit Prince, comme le 23 octobre 2020, alors qu’il discutait de l’avenir de la Terre à la réunion annuelle du club de Valdaï, think tank russo-russe. Il s’y était alors précisément référé pour appuyer ses choix en matière de protection de l’environnement, car il se trouve que le Petit Prince a aussi de graves préoccupations dans ce domaine. Mais chez lui, ce n’est pas à cause de la montée des eaux, comme chez nous, mais de la croissance des baobabs, qui, si on les laisse pousser à leur idée, deviennent si grands et si envahissants qu’ils mettent leur planète en danger d’éclater et de disparaître.
Il y a donc une certaine logique à ce que Poutine compare cette menace, pure œuvre de fiction, à celle, bien présente et bien réelle, de la fonte du pergélisol des régions de l’Arctique, qui, en accélérant le réchauffement climatique, risque de rendre la Terre de moins en moins habitable. Et comment éviter ce genre de catastrophe écologique, que ce soit dans notre monde ou dans celui du Petit Prince? « C’est une question de discipline », nous apprend Poutine en faisant siens les conseils du Petit Prince, « quand on a terminé sa toilette du matin », dit-il, « il faut faire soigneusement la toilette de la planète », et il explique pourquoi, « les baobabs sont des « mauvaises plantes » et, « si l’on s’y prend trop tard, on ne peut jamais plus s’en débarrasser, alors il faut les arracher dès qu’on a su les reconnaître « , commentant « c’est un travail très ennuyeux, mais très facile ». A quoi Poutine ajoute, « je suis sûr que nous devons continuer à faire ce « travail fastidieux » si nous voulons préserver notre maison commune pour les générations futures. Nous devons prendre soin de notre planète ».
Et c’est en ces termes qu’il va conclure sa conférence, « c’est un énorme défi pour le monde, pour l’ensemble de l’humanité, y compris pour nous, pour la Russie, où le pergélisol occupe 65 % de notre territoire national », précisant que « de tels changements peuvent causer des dommages irréparables à la diversité biologique, avoir un effet extrêmement négatif sur l’économie et les infrastructures et constituer une menace directe pour les populations ».
« Faire le nettoyage de la planète «
A cette conférence il n’était question que d’environnement et de protection de la planète, mais cela faisait déjà plus de six ans que les accords de Minsk avaient été signés pour mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine et que la guerre continuait, avec une justification constante et obsessionnelle de Poutine, « dénazifier l’Etat ukrainien », slogan de propagande qu’il ne cesse de répéter toutes les fois où il en a l’occasion. C’est ce qu’il a fait, par exemple, le 3 mars 2022, lors d’un Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, où il a présenté l’invasion de l’Ukraine comme une « opération militaire spéciale » pour protéger la patrie des « sbires des nazis ». Et c’est aussi ce discours qu’il a réaffirmé, très récemment, le 9 mai dernier. Comme chaque année, pour fêter la victoire de l’Union Soviétique dans la « Grande Guerre Patriotique », une parade militaire est organisée sur la Place Rouge à Moscou, et le président russe y va de son discours solennel, reprenant et martelant sa profession de foi en dénonçant « l’élite occidentale mondialisée perméable aux idées nazies » et qui veut « détruire la Russie ». Continuant à utiliser le parallèle entre la Seconde Guerre mondiale et ce qui se passe en Ukraine de nos jours, il saluera dans son allocution la victoire de l’Union Soviétique sur le « mal global » instauré par le nazisme!
Il faut croire de plus que ce genre de rhétorique est on ne peut plus contagieuse, puisque Zelensky y est allé aussi de son couplet, promettant à la Russie une défaite « comme celle des nazis »! Il y a là de quoi se préoccuper, et c’est précisément ce que fait Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, qui s’est exprimé ce mardi 8 mai dans les colonnes du quotidien espagnol El Pais, « malheureusement », a-t-il dit, « je pense qu’en ce moment une négociation pour la paix n’est pas possible », précisant » je ne vois aucune possibilité d’obtenir immédiatement un cessez-le-feu global. Il est clair que les deux parties sont complètement engagées dans la guerre, et sont convaincues qu’elles peuvent gagner ». Dans cette interview, il développe une vision plus que pessimiste de la situation, et, ne voyant aucune issue réaliste, il avouera en être » réduit à espérer qu’il soit possible dans l’avenir d’amener la Russie et l’Ukraine à la table des négociations ». Alors, quand Poutine se réclame de l’exemple du Petit Prince qui recommande fortement de nettoyer la planète pour la débarrasser « des graines terribles qui infestent le sol », et de le faire systématiquement tous les jours, on peut raisonnablement s’inquiéter de ce qu’il entend par « faire le nettoyage de la planète « !
Catherine Muller
Docteur en psychologie
Member of the World Council of Psychotherapy
Member of the American Psychological Association