Le public, ami numéro 1 de l’orateur
Il faut toujours se souvenir que parler en public ne consiste pas à dire ce que l’on a prévu de dire, mais plutôt à aller au-delà, grâce au public. Le public devient ainsi coauteur du discours fini du dirigeant, par conséquent cosignataire de son discours.
La première erreur des dirigeants est de se prendre pour des auteurs. On ne peut pas prévoir avant chaque discours ce que sera, ni ce que fera, le public, même si on le connaît depuis des années. Avant d’entrer en scène, trop de dirigeants fossilisent leur pensée sur des textes qu’ils ont, ou qu’on leur a, rédigés.
Leur trac en est la cause : peur du trou, d’oublier des messages, de perdre le fil. Cette préparation du discours jusque dans le détail les rassure. Et ils se préparent en sortant de scène à ouvrir leur parapluie en disant : « J’ai dit ce que j’avais à dire ». Ils ne conçoivent pas que le public puisse être leur première ressource pour trouver le chemin verbal, tonal et rythmique pertinent de leur discours.
Le texte définitif d’un discours en public se construit avec le public. L’Art Oratoire est en cela différent de l’Art Dramatique, où le texte de l’auteur fait loi. On peut préparer un discours, et même le rédiger. Mais lorsqu’on arrive devant le public, il est à réinventer. Il faut pour cela que le dirigeant réussisse son rapport physique au public.
Les erreurs physiques les plus fréquentes et les plus dommageables concernent le regard de l’orateur.
J’en citerai trois :
- Balayer du regard le public revient à ne pas le voir, donc à construire le discours sans lui.
- Regarder au sol ou par terre pour chercher ses mots revient au même. L’orateur, dans les deux cas, n’associe pas son public à la construction de son discours. Le public décroche, car il se sent inutile.
- Enfin, se choisir dans le public quelques personnes réconfortantes à regarder. Cela revient encore à ne pas voir les autres, et même finit par gêner celles que l’on regarde trop souvent. César est seul. Le dirigeant en scène ne doit pas songer à se rassurer, mais plutôt à rassurer le public qu’il veut mettre en action.
Enfin, on abuse toujours du micro. Il entraîne chez l’orateur une paresse vocale. Sa voix monotone, musicalement pauvre, ne porte plus d’émotion, donc plus de sens. Elle endort l’audience. Il est désolant de voir partout des salles de réunion pour vingt, trente ou quarante personnes, où les tables sont hérissées de micros.
Tout est fait aujourd’hui pour que le corps du dirigeant reste en sommeil pendant qu’il parle. Imagine-t-on que son esprit, dans le même temps, s’éveille ?
Lire son discours en ajoutant par-ci, par-là, une intonation de circonstance, c’est laisser son esprit en sommeil pendant le discours. Conséquence ? Le public, lui aussi, reste en sommeil.