Alors que les derniers bouleversements du monde, qu’il s’agisse de la crise du Covid-19 ou du conflit en Ukraine ont fait apparaître de manière criante l’ampleur de la désindustrialisation de notre pays, encore trop peu d’acteurs se mobilisent de façon concrète.
Pourtant, le patriotisme économique est une nécessité pour que notre pays retrouve une croissance pérenne et puisse relever les défis du monde actuel ─ dont ceux du changement climatique. C’est en tout cas une certitude pour Ahmed Akaaboun, fondateur d’AccesBTP et très engagé autour de ces questions.
Pourquoi le Made In France est-il une question centrale ?
La notion de souveraineté économique est souvent évoquée, à raison ; mais cela reste trop souvent abstrait. La crise du Covid, à travers l’épisode des masques ou notre dépendance aux importations pour le paracétamol, illustre certes cette souveraineté ; mais le développement d’une production ou d’un savoir-faire local correspond aussi à des besoins quotidiens pour nombre de Français.
Pour prendre des exemples dans le secteur d’AccesBTP, le bâtiment ; nous ne trouvons plus de fabricants d’ardoise ou de granit en France, et il faut importer des tuiles alors que la matière première est toujours présente sur le territoire. Non seulement cela provoque la perte d’un savoir-faire français que nous avions et dont nous avons besoin, mais cela génère également un impact environnemental plus important lié au transport comme un surcoût pour le consommateur final.
Pourquoi cette question des savoir-faire est-elle fondamentale ?
Nous assistons aujourd’hui à des situations absurdes, par exemple lorsque le pin des Landes est envoyé en Chine pour être transformé en parquet avant de revenir en France pour être commercialisé. Pourquoi ? Parce que les entreprises de transformation ont été délocalisées, pour des raisons de coût de la main-d’œuvre et que nous ne savons plus faire. A terme, cela est désastreux, en termes d’emplois, de croissance ou d’environnement. Nous le voyons aussi dans d’autres sphères : beaucoup d’idées, de créateurs sont français, notamment dans la Silicon Valley.
Mais une fois passé le stade du développement, la phase de l’industrialisation se fait ailleurs ; et nous perdons des marchés, des opportunités et des savoir-faire. C’est pourquoi je plaide pour une politique plus ambitieuse en matière de Made In France, de la part des décideurs publics comme des entreprises. AccesBTP s’applique d’ailleurs à mettre ces principes en pratique.
Comment AccesBTP participe-t-il au développement local ?
Notre entreprise répond à un besoin local, celui de la consolidation des sols fragilisés par des phénomènes climatiques ou des aménagements modifiant leur portance, grâce à une solution innovante : l’injection de résine expansive. Il s’agit d’une technologie développée dans les pays nordiques, et avant nous seules deux entreprises italiennes la proposaient en France. Pourquoi faire appel à des intervenants étrangers alors que nous pouvons le faire ? C’est d’autant plus paradoxal que cette solution apporte un vrai plus écologique, dont l’avantage est gâché par le transport.
AccesBTP s’attache donc à produire en France, à déployer des équipes françaises et à favoriser le choix de partenaires nationaux, voire régionaux dans une optique d’usages locaux. Je considère d’ailleurs que la dimension régionale illustre bien le besoin de davantage de bon sens : la construction d’un mas provençal en Bretagne est une absurdité en termes d’emploi des ressources. AccesBTP applique donc cette approche, pour une meilleure utilisation de ces ressources comme pour générer des emplois locaux, en direct, pour nos fournisseurs ou même pour nos clients majors du BTP. Nous essayons de mettre en place un cercle économique vertueux, et c’est pourquoi nous sommes fiers de notre labellisation Service France Garanti.
L’action des pouvoirs publics est-elle déterminante ?
Comme toujours ─ surtout en France ─, l’Etat a bien entendu son rôle à jouer en matière de réindustrialisation, et je constate que beaucoup d’efforts sont déployés pour attirer en France des entreprises étrangères. C’est évidemment important, mais ce devrait être la cerise sur le gâteau, d’autant que la pérennité de ces installations n’est pas garantie.
Il serait sans doute plus pertinent de convaincre les entrepreneurs français de relocaliser leur production, à travers des dispositifs incitatifs. Ces dispositifs pourraient être gradués, en fonction de la zone de réimplantation et de l’urgence à relocaliser les savoir-faire et compétences. Cela permettrait l’installation d’un réseau solide de PME et d’ETI, semblable à celui que l’on trouve en Allemagne, à même de proposer un grand nombre d’emplois non délocalisables (car adossé à une vraie demande) et de soutenir la croissance de notre pays. Cependant, c’est aux entreprises de prendre ces décisions, et de mettre en place les mesures de compétitivité nécessaires pour être capables, demain, de répondre à la demande locale comme de se développer à l’international. Cela passe par le fait de favoriser le recours aux compétences, aux ressources et aux entreprises locales. Promouvoir la fabrication ou la conception française doit être l’affaire de tous. »
Qu’en est-il de l’Europe ?
Il m’apparaît comme nécessaire d’harmoniser les règles et normes, pour éviter le dumping social notamment. Sans cela, le marché commun n’aura de commun que le nom. Cependant, l’Europe reste une échelle pertinente pour répondre aux défis de la mondialisation, et notamment les concurrences chinoises ou américaines. Selon moi, le patriotisme économique français n’est pas incompatible avec le patriotisme européen.
Le salon du Made In France se tient ce mois-ci à Paris. Mais que constatez-vous concrètement ?
Le Made In France reste une volonté trop souvent non suivie d’effets. Aujourd’hui, et face à l’ampleur des enjeux économiques et climatiques, tout le monde à un rôle à jouer, qu’il s’agisse de l’Etat ou des entreprises. Ces dernières doivent favoriser le recours à des partenaires français, pour impulser un cercle vertueux créateur de valeur et d’emplois. Il en est de même pour les appels d’offres des marchés publics, car les entreprises françaises paient leurs impôts en France.
Enfin, il faut mener un véritable travail de sensibilisation auprès des consommateurs. Ces derniers doivent comprendre qu’il est peut-être préférable à long terme d’accepter de peut-être payer un produit ou un service un peu plus cher s’il correspond à un emploi local. Je crois qu’il est aujourd’hui nécessaire de se poser la question du sens, et du monde que nous voulons laisser derrière nous. C’est d’ailleurs à mes yeux la définition d’une vision d’entrepreneur.
Pour en savoir plus : www.accesbtp.fr