En quelques mois, Bpifrance s’est imposée comme l’acteur majeur du financement des entreprises en France et investira ainsi 8 Mds€ d’ici à 2017 dans l’économie réelle. Entretien-vérité avec Nicolas Dufourcq, directeur général e la Banque publique d’investissement.
Entreprendre >> Etes-vous satisfait de cette première année d’activité de la fameuse banque Publique ?
Nicolas Dufourcq :
L’activité de crédit a atteint un niveau historique avec 5 Mds€ d’engagements à moyen-long terme, qui ont permis, par effet de levier, la mobilisation de 16 Mds€ de financements. S’agissant des financements de court terme, 4 Mds€ ont été engagés, ce qui est également sans précédent.
Entreprendre >> À l’annonce de la création de la Bpi, Bernard Accoyer (UMP) et Jean- Louis Borloo (UDI), ont élevé des critiques, craignant des «conflits d’intérêts», voire un risque de «chantage politique» de la part des ê élus régionaux. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Nicolas Dufourcq :
Nous avons aujourd’hui une gouvernance équilibrée, qui nous permet d’agir en “investisseur avisé” sans subir de pression politique. La meilleur preuve, c’est que nous avons un taux de risque pratiquement nul. Il n’a pas été difficile de convaincre les régions sur le fait que nous n’avons pas vocation à investir de manière automatique dans des situations épineuses.
Mais nous étudions chaque dossier sans a priori. Et nous sommes là pour assurer notre devoir d’actionnaire, auprès des sociétés de notre portefeuille qui rencontrent une mauvaise passe.
Entreprendre >> Quelle est la stratégie de la Bpi vis-àvis des entreprises en difficulté ?
Nicolas Dufourcq :
Il y a des entreprises qui sont en difficulté depuis 10 ans. Celles-là, il est très difficile de les sauver. Vous avez aussi des entreprises qui sont en difficulté temporaire : celles-là, on les aide. Il y a une grosse partie du bilan de Bpifrance qui est constituée par des entreprises qui n’ont pas forcément une cotation de la Banque de France très positive, mais ce sont des entreprises qui n’ont aucune raison de tomber.
Entreprendre >> Vous êtes au coeur de l’actualité avec le cas d’Altia, qui fabrique notamment les Caddies, dont Bpifrance est actionnaire à hauteur de 20%, en redressement judiciaire. Comment gérez-vous cette situation ?
Nicolas Dufourcq :
Il faut se remettre dans le contexte de 2010. C’est le fonds stratégique d’investissement (FSI) qui, à la demande de grands acteurs du secteur automobile, a regroupé plusieurs sous-traitants en difficulté. Ce groupe a été construit pour beaucoup sur du sable, et c’est 4 ans plus tard que les choses se révèlent.
Nous avons joué notre rôle de banquier et d’actionnaire. Aujourd’hui, on solde les erreurs du passé, on accompagne la transition, et la plupart des sites seront repris.
Entreprendre >> Que répondez-vous à ceux qui trouvent que le rôle de Bpifrance, et donc des pouvoirs publics, dans le financement des entreprises, prend une trop grande importance ?
Nicolas Dufourcq :
Bpifrance a été conçue pour pallier la défaillance du marché et pour jouer un rôle “contra-cyclique ” de financement. Mais il ne faut pas oublier que nous ne sommes impliqués que dans des opérations de cofinancement. Autrement dit, pour chaque euro apporté par Bpifrance, il y a au moins 1 € apporté par les banques. Celles-ci participent donc activement au financement des entreprises en France.
Entreprendre >> Quelles sont vos relations avec votre nouveau ministre de tutelle, Emmanuel Macron ?
Nicolas Dufourcq :
Nous avions de très bonnes relations avec Arnaud Montebourg, qui a beaucoup fait pour le développement de Bpifrance et qui avait parfaitement compris notre rôle. Avec Emmanuel Macron, nous nous situons dans la continuité.
Entreprendre >> Les nouvelles réglementations bancaires (Bâle III) ne vont-elles pas contraindre les banques à fermer le robinet du crédit, en raison d’une insuffisance de fonds propres ?
Nicolas Dufourcq :
Une solution consiste à drainer une partie des très importantes sommes placées en assurance-vie dans le circuit économique en favorisant le rachat d’une partie des créances de PME détenues par les banques par les assureurs. Une grande partie de celles-ci est d’excellente qualité et assure une très bonne rentabilité.
Nous connaissons parfaitement le monde des PME et nous pouvons apporter notre garantie pour réduire le risque des assureurs. Ce mécanisme de titrisation pourrait apporter un flux d’argent frais à l’économie.
Entreprendre >> Comment expliquer que la croissance soit atone alors que, selon Bpifrance, les entreprises investissent ?
Nicolas Dufourcq :
Au 1er semestre 2014, notre portefeuille de prêts d’investissement a augmenté de 20%. Et celui des prêts sans garantie, ni sur le patrimoine de l’entreprise ni sur celui de l’entrepreneur, de 70%. Il y a donc bien une France qui investit, mais ce n’est pas toute la France. Il y a aussi une France plus frileuse, avec des entrepreneurs qui attendent que les carnets de commande se remplissent pour investir. Il faut leur dire que l’époque où l’on avait une visibilité sur le carnet de commandes est révolue et que, aujourd’hui, ceux qui attendent pour investir vont le payer très cher dans les années qui viennent.
Entreprendre >> La situation s’améliore-t-elle ?
Nicolas Dufourcq :
Même s’il est peut-être trop tôt pour parler de vrai point d’inflexion, les choses commencent à se décoincer du côté de l’investissement. Nous sommes très loin de nos niveaux d’investissement de l’année 2008 et le tissu productif français commence à devenir obsolète. On ne peut pas attendre une année de plus.
Entreprendre >> Quelle est votre vision de l’entrepreneur ?
Nicolas Dufourcq :
La caractéristisue de l’entrepreneur, à fort potentiel, c’est d’avoir le grain de folie de celui qui, à 25 ans, décide qu’à 70 il sera leader mondial. Pour réussir, il faut, d’une part, savoir compter extrêmement vite, connaître où sont les “pompes à profit ” et projeter des business plans de manière quasi intuitive et, d’autre part, posséder l’énergie vitale qui va permettre de transformer les idées en actions. Et ne pas craindre de prendre des risques.
J’appelle ce modèle d’entrepreneur un “Kampf”, du nom de Serge Kampf que j’ai bien connu chez Capgemini. Celui-ci a créé son entreprise en 1967 dans un garage. Aujourd’hui, la société, dont il est toujours président, emploie 130.000 salariés.[FIN]