Partout dans le monde, l’industrie nucléaire a un problème de pyramides des âges. Selon le Global Energy Talent Index 2022, un salarié sur quatre aurait plus de 55 ans, un sur dix plus de 65 ans.
Ce vieillissement des effectifs est la conséquence de politiques publiques changeantes. Après la catastrophe de Chernobyl, plusieurs pays ont mis leurs programmes et recrutements en pause. Résultat : un déficit marqué de salariés de la Génération X (45-55 ans), qui ne représentent aujourd’hui que 9% des effectifs. Le départ à la retraite de leurs aînés représente donc un risque significatif de perte d’expérience.
Pour y faire face, les acteurs de la filière ont trouvé une parade temporaire : rappeler les salariés partis à la retraite. Le cabinet spécialisé Experconnect affirme ainsi placer 3 000 seniors chez les différents acteurs de la filière.
La maintenance en première ligne
Mais à l’heure où la France veut se doter de 6 nouveaux EPR, auxquels s’y ajoutent 8 en option, cette solution n’est qu’un palliatif aux problèmes de main d’œuvre du secteur. Dans la décennie à venir, on estime que 100 000 recrutements seraient nécessaires.
Un des domaines où ce changement de génération est particulièrement redouté est la maintenance, qui représente l’une des deux fonctions du domaine de l’énergie où les tensions de recrutement sont les plus élevées, selon l’Agence Internationale de l’Energie.
La maintenance des réacteurs nucléaires mobilise divers profils spécialisés – soudeurs, chaudronniers, tuyauteurs et ingénieurs… – où l’on peine particulièrement à recruter. En 2022, un rapport estimait que 70% des besoins dans ces spécialités n’étaient pas pourvus. Pour son site d’Hinkley Point en Grande-Bretagne, EDF a ainsi ouvert un programme de formation de 500 soudeurs par an.
La technologie est également mise à contribution pour rendre le temps de travail de ces spécialistes aussi productif que possible, et éviter la surmaintenance autant que la sous-maintenance. Des technologies comme les jumeaux numériques ou plateforme de gestion d’actifs sont aujourd’hui utilisées pour recommander les interventions les plus nécessaires, automatiser les procédures administratives et centraliser l’accès aux données, tels que les plans et instructions.
Préserver le savoir des salariés séniors
Autre enjeu essentiel pour la sécurité des installations : la préservation des connaissances implicites ou tacites acquises par les salariés seniors.
Les entreprises de la filière ont ainsi mis en place diverses initiatives de mentoring entre jeunes salariés et experts pour assurer une transmission des savoirs. Elles comptent aussi sur des logiciels de gestion des procédures et applications mobiles qui permettent de capturer la façon dont les procédures sont réellement accomplies sur le terrain, les convertir en liste d’actions et s’assurer ensuite que celles-ci sont bien mises en œuvre.
Il s’agit aujourd’hui d’un cas d’usage croissant de l’intelligence artificielle – que ce soit pour organiser les milliers de procédures d’une centrale ou harmoniser le langage qu’elles utilisent, deux efforts essentiels pour rendre les nouveaux arrivants rapidement productifs.
Faire rêver pour attirer les juniors
Au-delà de ces considérations, le secteur fait face au défi de renverser les perceptions, après des décennies où le nombre de réacteurs a tendu à diminuer en Europe de l’Ouest et certains pays, comme l’Allemagne, y ont renoncé entièrement.
Si les 22 gouvernements des nations du nucléaire tiennent leur engagement, pris en marge de la COP28, de tripler la capacité du parc nucléaire mondial, les opérateurs et acteurs présents dans le monde devraient se trouver en compétition croissante pour un nombre limité de candidats qualifiés.
Selon le cabinet McKinsey, la filière nucléaire mondiale pourrait ainsi croître jusqu’à 5 millions de personnes, un chiffre qui demanderait une multiplication par 6 des effectifs des Etats-Unis et du Canada !
Il est donc essentiel de redonner de l’attractivité au secteur pour élargir le nombre de candidats et d’étudiants en formation. C’est toute l’importance de projets d’avenir comme les réacteurs de 4ème génération ou des petits réacteurs modulaires (SMR) actuellement en cours de développement. Mais cela demandera aussi de valoriser la technologie présente dans les centrales existantes, et les carrières que le secteur peut permettre.
Peter Wilson
Ingénieur et expert du domaine de l’énergie au sein d’Hexagon