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Rapprocher la France et l’Allemagne et oser une Europe fédérale


Je ne sais pas, qui a inventé le terme français du « couple » franco-allemand (qui, chez les Allemands, ne s’appelle pas couple, mais a pris le nom « d’amitié franco-allemande »). Tout ce qu’on peut constater, c’est que les relations franco-allemandes n’ont jamais fonctionné comme un couple, fut-il traditionnel ou moderne.  Pendant longtemps,...

Entreprendre - Rapprocher la France et l’Allemagne et oser une Europe fédérale

Je ne sais pas, qui a inventé le terme français du « couple » franco-allemand (qui, chez les Allemands, ne s’appelle pas couple, mais a pris le nom « d’amitié franco-allemande »). Tout ce qu’on peut constater, c’est que les relations franco-allemandes n’ont jamais fonctionné comme un couple, fut-il traditionnel ou moderne.

 Pendant longtemps, les relations entre les deux pays étaient fortement imprégnées par les relations étroites et amicales entre leurs chefs d’Etat respectifs. Les « couples » Adenauer/de Gaulle, Mitterrand/Kohl (et leur poignée de mains symbolique à Verdun, devenue légende), Giscard/Schmidt, amis jusqu’à la mort de l’ex-chancelier, il y a 4 ans, et même les tandems Merkel/Sarkozy et Merkel/Hollande (avec l’image de la chancelière posant sa tête sur l’épaule du Président français lors du défilé de solidarité après les attentats de Charlie Hebdo, ou leur négociation commune avec Vladimir Poutine, lors de la première crise ukrainienne ) donnaient l’exemple d’une bonne entente entre les « chefs » – souvent acquise dans le cadre de moments informels en marge ou même en dehors des rencontres franco-allemandes formelles. Je considère ces symboles comme très importants, voire indispensables, car ils montrent aux citoyens des deux bords du Rhin la bonne entente entre leurs leaders.

 De nos jours, la qualité des relations entre les deux chefs d’Etat et la nature des sommets bilatéraux ont complètement changé. Préparés par les services et les fonctionnaires des ministères concernés jusque dans les derniers détails, y compris pour le communiqué et les déclarations finales, organisés souvent « sur le chemin » ou en marge d’une autre rencontre internationale, ils sont devenus essentiellement techniques et vidés de tout côté amical et convivial. Les consultations régulières bilatérales, prévues dans le traité de l’Elysée de 1968, ont abordé au cours des années de très nombreux sujets faisant ressortir souvent des points de vue très divergents – tels que, au départ, le réarmement de l’Allemagne, la réunification du pays après la chute du mur, le remplacement du deutschmark et du franc par l’euro et, plus récemment, la sortie du nucléaire et la crise migratoire ainsi que des centaines de dossiers plus petits, mais souvent épineux. Avec à la fin, généralement la volonté et la capacité des dirigeants politiques de trouver des accords sous forme de compromis et d’entraîner, là où un accord à l’unanimité s’impose, les autres membres de l’Union européenne.

 Malheureusement cette façon de fonctionner par compromis a majoritairement été perdue, et désormais les intérêts nationaux l’emportent : austérité vs. investissements publics en soutien de la conjoncture, accueil et répartition des réfugiés, budget/ministre de finances européen, etc. Avec, en fin de mandat, la concession historique et inattendue de la chancelière d’une dette commune européenne pour un plan de relance post-COVID, surtout au bénéfice de l’Italie et des pays de l’Europe du Sud.

 Au niveau des deux peuples, les dispositions du traité Adenauer/de Gaulle, ont également tissé des liens forts, grâce à plusieurs instruments puissants : L’Office Franco-Allemand de la Jeunesse (OFAJ) a piloté depuis 1969 environ un million d’échanges entre jeunes écoliers et étudiants français et allemands, désormais étendus aux apprentis et stagiaires. De très nombreuses villes et villages en France comme en Allemagne, ont conclu un jumelage franco-allemand avec des rencontres régulières, souvent annuelles. Les matchs de football et de handball, amicaux ou lors des grandes compétitions internationales, sont devenus des derbys très suivis aux résultats souvent très serrés. Plus de 3000 mariages franco/allemands par an, et environ 120 000 Français vivant actuellement en Allemagne et plus de 150 000 Allemands vivant en France, comme l’auteur, depuis plus de 40 ans. Les résultats de tous ces mixages sont très tangibles : ainsi 91% des Français et pratiquement autant des Allemands ont plutôt une bonne opinion des ressortissants de l’autre pays.[1]

 Malheureusement, là aussi, les instruments traditionnels et louables s’essoufflent, surtout parmi les jeunes, et une certaine « banalité » s’est installée dans les relations qui, de toutes les manières, s’apparentent davantage à un voisinage paisible (ce qui n’est déjà pas si mal…) qu’à une « vie de couple ». Car là où la vie de couple est caractérisée par la création et la mise en commun de biens et de projets, dans les relations entre la France et l’Allemagne, chaque pays a continué à préserver ses propres institutions et pratiques. La seule exception étant probablement la brigade militaire franco-allemande, inaugurée en 1989 à Müllheim, devenue l’Eurocorps en 1992, ce bataillon de soldats français et allemands créé en 1992 et basé à Strasbourg, sous commandement commun qui, quel symbole exceptionnel, a défilé sur les Champs Elysées lors du 14 juillet 1994.

 Comment se rapprocher d’une vraie vie de couple ? Les idées ne manquent pas, encore faut-il avoir le courage politique de les mettre en œuvre en dépassant parfois des idées convenues… Fusionnons les représentations diplomatiques françaises et allemandes dans la majorité des pays d’Afrique et d’Amérique Latine ! Présentons un groupe de candidats communs aux élections européennes ! Nommons, comme cela a déjà existé, côté allemand, avec Brigitte Sauzay du temps du chancelier Schröder, et comme j’ai toujours rêvé de le devenir, côté français, un Conseiller Spécial pour les relations franco-allemandes. Elevons les deux ambassadeurs au rang de Ministres ! Osons nommer dans les deux pays un seul et même Ministre des Affaires Européennes ![2] Fusionnons, avec présidence tournante, de nombreuses institutions franco-allemandes existant dans les deux pays (Chambres de commerce, organismes de formation, fondations, etc.) ! Multiplions les projets industriels communs et les entreprises à actionnariat partagé (transports en commun, énergie, eau, infrastructures…), en commençant au niveau des Länder et départements mitoyens de la Sarre, du Bade-Wurtemberg, de l’Alsace et de la Lorraine !

 L’arrivée d’un nouveau chancelier, Olaf Scholz, et d’un nouveau gouvernement de coalition tripartite (sociaux-démocrates, verts et libéraux) en décembre 2021, comme la présidence française de l’Union Européenne pendant le 1er semestre 2022 peuvent donner des occasions pour de nouvelles initiatives européennes – d’autant plus qu’Emmanuel Macron a fait du sujet de l’Europe un argument fort dans la campagne électorale et présidentielle et son renouvellement de mandat.

 Mais notons tout de même que du côté du chancelier Scholz, on est très probablement reparti, après COVID, pour un certain retour à la rigueur financière en Allemagne et en Europe, tout à fait à l’opposé de la politique française. Comme les choix en matière énergétique, relance du nucléaire et énergies renouvelables en France, gaz (russe) et énergies renouvelables en Allemagne, éloignaient les deux pays bien davantage, jusqu’à la crise ukrainienne. La pression sur l’Allemagne de s’affranchir du gaz russe, si elle ne finira pas par remettre en cause, outre Rhin, la sortie du nucléaire, offrira des opportunités de collaboration dans les énergies renouvelables et le gaz liquéfié.

 Les idées des plus fervents défenseurs des relations franco-allemandes vont nettement plus loin : côté français, Alain Nicolaïdis, Président de l’association Pour un état fédéral franco-allemand et, côté allemand, Wolf Klinz, ancien député européen, militent pour la création d’une confédération franco-allemande en amont d’un Etat fédéral européen, voire, pour Alain Nicolaïdis, une Europe des régions – en rappelant les mouvements pour plus d’autonomie régionale, comme en Catalogne, en Lombardie, en Corse ou au Pays basque. Et plus récemment, pour combler le déficit de créativité de l’Union Européenne, un collectif européen réclame une réforme institutionnelle ambitieuse avec la création d’une Assemblée citoyenne européenne.[3]

 De toutes les façons, un rapprochement franco-allemand, au moins des visions sur l’évolution de l’Europe, reste une condition nécessaire mais certainement pas suffisante d’une relance de l’Europe, avec la difficulté que beaucoup des pays parmi les 27 membres n’acceptent pas un projet échafaudé par seulement 2 membres pour lequel, au moins, pour l’instant, l’unanimité est requise.

 Mais un projet pour quelle Europe ? « L’Europe actuelle est une pyramide inversée de subsidiarité : l’Union traite de la composition du chocolat sur tout le continent, mais elle n’a en commun ni défense, ni politique sociale, ni même législation sur les banques. Cela explique en grande partie les aversions qu’elle provoque au sein des populations. »[4]

Quel que soit le cours du monde et celui de l’Europe, le poids du vieux continent va diminuer fortement. Représentant encore plus de 9% de la population mondiale en 2021, l’Europe (en stagnation démographique) représentera moins de 5 % en 2050. Et même son poids économique subira dans tous les cas de figure un déclin relatif important passant de 20 % du PIB mondial en 2021 à environ 14 % en 2050.

 Or, l’Europe se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit, par manque d’unité, de vision et de leadership des dirigeants politiques et d’accords dans des domaines vitaux, il pourrait lui arriver, comme le rappelle George Soros[5], connaisseur et européen convaincu, ce qui est arrivé à l’Union Soviétique : un éclatement pur et simple – à ceci près qu’il n’entraîne pas forcément la fin de l’euro comme monnaie de ceux qui veulent bien le conserver, et qu’on assistera peut être à la création de plusieurs sous-ensembles avec un degré d’intégration plus ou moins fort.

 Soit l’Europe réussit un sursaut et restera alors, au moins dans deux domaines, un acteur majeur : en matière économique, comme producteur de biens et de services, pour partie exportés partout dans le monde, mais également comme importateur et marché pour 450 millions de consommateurs. Mais également, en matière de modèle politique, avec son équilibre libéral et social qui représente pour beaucoup de monde le système démocratique le plus attrayant et adoptable par d’autres pays (émergents).

 Dans mon livre sur ma vision de l’avenir de l’Europe, paru en 2017, j’avais fait toute une série de propositions pour relancer l’Europe. Tout d’abord le rétablissement d’un vrai lien entre le projet européen et les citoyens dans les différents pays. Ces derniers, en majorité « eurosceptiques »[6], doivent retrouver, au-delà de l’argument très valable mais moins parlant pour les jeunes du « 70 ans sans guerre », des éléments nouveaux pour démontrer ce que l’Europe leur apporte, y compris à titre personnel et au quotidien. Comme, par exemple, un salaire ou une retraite minimum et une indemnisation chômage similaire dans tous les états. La validité de leur diplôme partout… Avec une délégation plus forte des pouvoirs à l’Europe mais limitée à moins de domaines jugés indispensables : sécurité aux frontières et lutte antiterroriste, stabilité et développement économiques, grands conflits internationaux, écologie et, à venir, stratégie commune vis à vis de l’Afrique – tous les autres domaines, y compris sur le plan juridique, restant du ressort de l’autorité nationale. J’avais également suggéré de procéder, concomitamment avec les élections européennes de mai 2019, à une interrogation de l’ensemble des électeurs sur leurs attentes et les compétences qu’ils étaient disposés à déléguer à l’Europe.

 Ensuite, le lancement de quelques grands projets ambitieux paneuropéens et financés par l’Union. A commencer par un programme Erasmus pour tous, allant très au-delà du programme actuel et permettant à tout jeune européen avant l’âge de 30 ans, à passer au moins 6 mois dans un pays autre que son pays d’origine.

 Pourquoi ne pas créer à partir de la brigade militaire franco-allemande et de l’Eurocorps le début d’une armée européenne ? Pourquoi ne pas instaurer pour les programmes d’achat d’armes, une préférence européenne, sans obligation d’appel d’offre « mondial », comme les Etats Unis la pratiquent depuis longtemps ? Et ceci malgré la décision des Allemands de maintenir à court terme leurs achats d’avions américains tout en partageant, bien entendu, le projet d’un avion de combat européen.

 Enfin, pour donner un nouvel élan et plus de poids politique à l’Europe, la fusion des postes du Président du Conseil et du Président de la Commission Européenne – détenus lors du dernier mandat par Donald Tusk et Jean-Claude Juncker et maintenant par Charles Michel et Ursula von der Leyen, en un seul Président de l’Union Européenne, élu ultimement directement par tous les citoyens dans les pays des 27 et susceptible de pouvoir discuter d’égal à égal avec les chefs d’état et de gouvernement.

 La révision spectaculaire de la position de la chancelière Angela Merkel, consistant à accepter un budget européen commun, spécial COVID, de 750 milliards d’euros, avec surtout, une mutualisation de la dette européenne et des subventions directes aux pays les plus touchés par la pandémie (Italie, Espagne et France) est le signal que quelque chose a changé et pourrait permettre un nouveau départ de l’Europe.

 Pacte vert, Europe de la défense, souveraineté industrielle, saut technologique, l’idéal d’une Europe sociale…les sujets pour une Europe ambitieuse, conquérante et surtout rappelant sa volonté de puissance, ne manquent pas. Mais ils se fracassent pour l’instant sur les égoïsmes nationaux. Pas question de mettre au pot du budget commun plus de 1% du PIB là où le Parlement européen espérait au moins 1,3%. Pas question de poursuivre plus en avant la quête de ressources financières propres à l’Union européenne, là où la France avait pourtant un plan – la création d’une compensation carbone aux frontières et un impôt sur les déchets plastiques non recyclés de 14 milliards d’euros – refusé par les Pays Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède, représentant à peine 9,5% de la population européenne. Et, à terme, quid d’une européisation du siège permanent de la France au Conseil de Sécurité des Nations Unies et de son accès à l’arme atomique de la France ?

 Malheureusement, en l’absence d’un sursaut européen, rapide et puissant, et l’émergence dans beaucoup de pays d’un mouvement citoyen populaire du type « pulse of Europe »[7], la tendance est actuellement plutôt au renforcement, voire au repli sur les Etats nation, et la probabilité d’un affaiblissement de l’Europe l’emporte.

 La nomination de deux femmes, l’allemande Ursula von der Leyen, comme Président de la Commission, et la française Christine Lagarde, à la tête de la Banque Européenne, représente pourtant une opportunité réelle : par leurs profils et compétences respectives ( Ministre de la Famille, puis de la Défense pour la première, Avocat aux Etats Unis, Ministre des Finances, puis Président de la Banque Mondiale pour la seconde) ; leur origines issus des deux pays les plus puissants de l’Union et leur grande proximité avec le Chancelier et le Président ; enfin, le fait qu’il s’agit de deux femmes, peut-être plus visionnaires et, surtout, susceptibles de renouer les liens indispensables des mesures et des institutions européennes avec les peuples.

 Et puis, juste avant la mise sous impression de ce livre, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, jugée pendant longtemps improbable, a effectivement eu lieu. La rapidité et l’unanimité de la réaction européenne concernant les sanctions vis à vis de la Russie et la livraison de matériel militaire en soutien à l’Ukraine en a surpris plus d’un. A cette occasion, on a découvert, certes dans l’ombre des Etats Unis, une nouvelle Europe, extrêmement réactive, solidaire, vivante et s’affranchissant de son caractère bureaucratique. Un tournant ? Une chance pour plus d’Europe ?

 « Réclamer une intégration européenne poussée sur le plan économique sans rien céder de sa souveraineté géopolitique n’est pas une position tenable »[8]. « S’il doit y avoir un Etat européen, il ne pourra être que fédéral ».[9]


[1]Sondage IFOP, janvier 2021

[2]Matthias Fekl, ancien Secrétaire d’Etat au Commerce Extérieur, et, à la fin de la Présidence Hollande, Ministre de l’Intérieur, parfaitement bilingue et biculturel, serait un parfait candidat

[3]JDD en date du 14/03/2021

[4]Mathieu Calame, La France contre l’Europe, Les petits matins 2019, p.85

[5]Cité dans le Wall Street Journal en date du 19/02/2019

[6]Les anti-européens ne représentant toujours pas plus de 15 à 20% des citoyens

[7]Créé en février 2017, des rassemblements de citoyens europhiles se tiennent de manière   hebdomadaire dans de nombreuses villes allemandes et européennes

[8]Matthieu Calame, idem page 117

[9] Idem page 132

 

Axel Rückert

Extraits du livre Faire réussir la France que j’aime, propositions du plus Français des Allemands, disponible sur www.fairereussirlafrancequejaime.com ou sur Amazon

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