Le gouvernement a promis 50 milliards d’euros d’économie d’ici 2017. Selon la majorité des analystes, cet effort sera insuffisant. Alors pourquoi l’État ne prend-il pas les mesures nécessaires ?
Peut-on réellement réduire le budget de l’Etat français ? Quelles sont les mesures à prendre ? Réponses de Nicolas Lecaussin, directeur du développement de l’IREF, Jean Arthuis, député européen et Stanislas de Bentzmann, président de Croissance Plus
Pourquoi y a-t-il urgence à lancer un plan d’économie sur le budget de l’État ?
Nicolas Lecaussin :
La situation de la Grèce devrait faire prendre conscience au gouvernement qu’il faut entreprendre les réformes tant qu’il en est encore temps.
Si on ne veut pas se retrouver dans cette situation, il est urgent de mettre en place les mesures nécessaires pour réduire l’endettement public.
En raison de l’incapacité du gouvernement français à réduire le déficit primaire, il existe un risque élevé à moyen terme d’une attaque spéculative sur la dette française ou d’une remontée des taux d’intérêt d’emprunt. La conséquence d’une remontée des taux d’intérêt sur l’émission des titres obligataires par l’Agence France Trésor serait terrible pour la pérennité du budget français.
Stanislas de Bentzmann :
Il faut un choc violent si l’on veut relancer notre économie. Le différentiel de charges et d’impôts que nous subissons par rapport à l’Allemagne est de 100 Mds€. Ces 100 milliards correspondent à des investissements dans la recherche et le développement qui ne sont, à l’heure actuelle, pas réalisés.
Cette décision de réduction serait un message fort pour relancer l’investissement des entreprises qui se sont appauvries sous le poids de la fiscalité. Cette pression fiscale est injuste et économiquement improductive.
Preuve en est les rendements des impôts ont baissé. Nous sommes donc arrivés à un bout du chemin, il est désormais temps de faire preuve de courage et d’ambition.
Jean Arthuis :
Sans l’euro, la France serait dans une situation désastreuse, les marchés financiers l’obligeraient instantanément à prendre des décisions extrêmement rigoureuses. La discussion devient très difficile avec nos partenaires. Les pays qui ont fait des efforts pour redresser leur économie ne comprennent pas.
Il y aussi une sorte de compassion chez certains eurodéputés qui se demandent pourquoi la France en est là. Nos partenaires attendent qu’on prenne des décisions et qu’on arrête de raconter des histoires.
Réduire le budget est-il réellement envisageable ?
Nicolas Lecaussin :
L’ajustement budgétaire est la stratégie qui a été choisie par de multiples gouvernements de l’Union européenne, notamment le Royaume-Uni, la Lettonie, la Lituanie ou encore l’Irlande. L’ajustement budgétaire consiste en une baisse drastique des dépenses publiques et une maximisation des recettes fiscales.
La réduction drastique de la dépense publique est une nécessité absolue en France et les marges de manœuvre sont considérables, notamment dans le domaine des dépenses sociales, des dépenses des collectivités territoriales et des dépenses dans des domaines comme l’Éducation nationale.
La France pourrait notamment licencier une large part d’agents publics pour s’aligner sur la moyenne européenne, réduire les dépenses en allocations chômage, réduire les minima sociaux et simplifier les dépenses d’assistanat pour éviter des dépenses de fonctionnement inutiles.
Stanislas de Bentzmann :
Il y a une confusion totale dans les priorités de nos hommes politiques. Pour rassurer les marchés et tenter d’équilibrer le budget de l’État, les impôts ont été augmentés, quitte à stériliser les entreprises et la microéconomie. Il faut que les pouvoirs publics retrouvent le sens du long terme.
Cesser de piloter la politique économique au mois le mois, un œil rivé sur le solde mensuel du budget, l’autre sur les rendements fiscaux, mais investir, sans se laisser détourner par les enjeux électoraux, pour remettre à niveau l’environnement dans lequel les entreprises françaises évoluent. Nos voisins l’ont très bien compris. On en constate d’ailleurs chez eux l’impact positif sur le taux de chômage ou la création de richesse.
Jean Arthuis :
Aujourd’hui, nous apparaissons auprès de nos partenaires européens comme des gens irresponsables, incapables de mettre en œuvre des réformes structurelles. Ce n’est pas un phénomène nouveau, car la dérive budgétaire, la tentation dépensière, l’incapacité à réformer ont été des pratiques aussi bien de la droite que de la gauche. Pourtant, il va falloir que notre pays agisse, et arrête de reporter sans cesse les rendez-vous comme si le redressement allait venir des autres pays.
La solution à nos problèmes n’est-elle pas plutôt dans la croissance économique ?
Nicolas Lecaussin :
La croissance économique est évidemment la solution miracle qui pourrait résoudre le problème de la dette publique. Mais la reprise ne peut se faire qu’à partir de véritables réformes structurelles, comme cela a été fait au Royaume-Uni depuis l’élection de David Cameron, en Allemagne avec les réformes Hartz sous la chancellerie de Gerhard Schröder, ou encore en Irlande, en Espagne et au Portugal.
Les réformes structurelles doivent notamment porter sur la libéralisation du marché du travail, la refonte du système de protection sociale, l’incitation au travail plutôt qu’à l’assistanat, la réduction du secteur public et la baisse des prélèvements obligatoires sur les salaires et sur les entreprises. Les exemples étrangers sont nombreux : la libéralisation de l’économie porte toujours ses fruits.
Stanislas de Bentzmann :
La grande majorité des problèmes actuels auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés vient du blocage de notre économie. II est évident qu’il n’y a pas de pays prospère sans entreprises florissantes.
Or, durant ces vingt dernières années, le niveau de la fiscalité, imposé pour faire face aux dépenses de l’État, vide notre économie de sa substance. Il n’y aura pas de reprise économique si les entreprises ne peuvent pas investir et se développer.
Jean Arthuis :
Au contraire ! Je redoute qu’avec la baisse du prix du pétrole, l’appréciation du dollar par rapport à l’euro, le rachat des dettes publiques par la Banque centrale européenne, il y ait tant de liquidités que les taux d’intérêt vont devenir complètement symboliques. La France va trouver là une espèce de soulagement et un bon prétexte pour ne rien faire d’ici 2017.
C’est le côté insupportable de notre position. Je plaide pour que le gouvernement aille jusqu’au bout. Il a, semble-t-il, compris la nécessité des réformes. Mais tel qu’il est parti, il ne fera rien. Résultat : en 2017, la France sera un peu plus abîmée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Le niveau des dépenses publiques est-il réellement supérieur en France à celui des autres pays européens ?
Nicolas Lecaussin :
D’après les prévisions du FMI, la part des dépenses publiques dans le PIB britannique baissera de 41% aujourd’hui à 36% en 2020. En France, les dépenses publiques, au rythme actuel, atteindront à 55% du PIB dans 5 ans. 20 points de plus qu’au Royaume-Uni.
Stanislas de Bentzmann :
Mis à part la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, les pays de l’OCDE présentent tous un taux de chômage moitié moins important et un niveau de dette plus soutenable que le nôtre. Malheureusement, la France reste sur la voie du chômage de masse en faisant peser sur les entreprises et les ménages une fiscalité confiscatoire, et cela pour financer un État providence qui n’a pas su se réformer. Les pays scandinaves ont également fait le choix d’une fiscalité «lourde» auprès des particuliers mais ils ont pris soin de sanctuariser leurs entreprises en mettant en place une fiscalité allégée à leur intention.
Jean Arthuis :
Notre pays est aujourd’hui le mauvais élève parmi les membres fondateurs de l’Union européenne. La dynamique n’est pas bonne, la situation économique de la France peut constituer un véritable danger pour l’Europe. Et nous bénéficions de taux d’intérêt historiquement bas. À ce niveau, ils ne peuvent qu’augmenter. Comment, dans ces conditions, la dette ne pourrait-elle pas exploser dès lors que les taux d’intérêt repartiraient à la hausse ?
Quelles pourraient être les premières mesures à prendre pour réduire les dépenses publiques ?
Nicolas Lecaussin :
Il faut privatiser une grande partie des services publics. Après la suppression de plus de 400.000 fonctionnaires, les dépenses publiques britanniques représentent aujourd’hui 41% du PIB contre 56% en France.
Mais ce qu’on sait moins en France, c’est que toutes ces suppressions de postes de fonctionnaires n’ont pas été forcément suivies de licenciements secs mais aussi de reclassements dans le privé.
Exactement comme le ferait une entreprise sur le marché. Car réformer l’État c’est continuer à proposer des services sans en avoir le monopole. L’IREF a montré que les baisses des dépenses dans les ministères britanniques mises en place par le Premier ministre David Cameron sont 6 fois plus importantes que celles préconisées par le gouvernement français. Malheureusement, on en est loin en France. Alors que tous les autres pays européens ont baissé le nombre de leurs fonctionnaires et surtout la masse salariale de l’État, la France continue à gonfler les rangs de sa fonction publique.
Le transfert de ses services vers le privé n’est pas pour demain. Pourtant, il s’agit vraiment d’un devoir moral.
Stanislas de Bentzmann :
Il faudrait une révolution culturelle pour que nos politiques soient convaincus que le rôle de l’État consiste à se concentrer sur ses missions régaliennes et laisse l’économie au secteur privé. Ce dont la France souffre, c’est des rentes installées qui concernent des entreprises publiques ou des entreprises protégées par la puissance publique. Cet état d’esprit nous tire vers le bas. Quand le secteur privé s’occupe des entreprises, cela marche mieux que le public, en le soutenant, donc en baissant les impôts, cela va de soi.
Jean Arthuis :
L’un des leviers les plus efficaces est la réduction des effectifs de la fonction publique. Il faudrait revenir sur la durée du temps de travail. Pour rappel, les fonctionnaires européens sont tous passés à 40h par semaine. Si vous augmentez la durée du temps de travail sans adapter proportionnellement la rémunération, vous pouvez réduire d’une manière significative le nombre d’emploi. C’est tout de même 6 millions de fonctionnaires qui sont concernés. La réforme de l’assurance-chômage est aussi un impératif absolu.