Que serait la France sans ses – plus de 400 ! – fromages ? La Normandie sans son camembert ? Et le camembert sans sa petite boite de bois ronde ? Autant de considérations fromagères et, pour les Français du moins, quasi-métaphysiques, qui semblent échapper complètement aux eurocrates bruxellois.
Dans les cartons de l’Union européenne (UE) depuis plusieurs mois, un projet de règlement portant sur les emballages alimentaires et la réduction de leur impact sur l’environnement (ou PPWR, pour « Proposal Packaging and Packaging Waste ») pourrait être adopté par les députés européens ce mercredi 22 novembre.
Sur le papier, rien que de très consensuel : l’UE cherche à réduire la part des emballages et l’empreinte environnementale liée à leur multiplication et à la délicate et complexe question de leur recyclage.
L’emballage bois : joli, mais pas que
Mais le diable se niche, comme bien souvent pour les réglementations européennes, dans les détails. L’une des mesures comprises dans le projet de règlement prévoit, en effet, de garantir que tous les emballages en circulation sur le marché européen puissent être, d’ici 2030, réutilisés ou recyclés. Y compris, donc, les fameuses boites en bois emballant certains fromages emblématiques de la gastronomie française, au premier rang desquels le sacro-saint camembert.
Problème : mettre en place une filière dédiée au recyclage des emballages en bois coûterait une véritable fortune aux producteurs français de fromage. Ceux-ci estiment en effet qu’une telle opération reviendrait environ 200 fois plus cher que le recyclage du verre.
La seule solution alternative consisterait alors à se passer du bois, pour lui préférer d’autres types d’emballages, comme le carton ou le plastique.
Des alternatives pas vraiment écolo, donc, et même tout à fait contradictoires avec l’ambition européenne de réduction des emballages en plastique. Par ailleurs, le choix d’emballer certains fromages dans du bois n’a rien d’un simple argument marketing destiné à convaincre le consommateur du caractère « authentique » du produit concerné. Utilisé par les fromagers français depuis le XIXe siècle, le bois joue en effet un rôle crucial dans le processus de maturation du fromage, en permettant à celui-ci de « respirer » et de s’affiner progressivement. Bref, sans emballage en bois, pas de camembert qui tienne, ou en tout cas qui tienne longtemps, que ce soit lors de son transport jusqu’au lieu de vente ou au fond du réfrigérateur.
Le spectaculaire revirement français
Autant d’arguments que n’ont eu de cesse de marteler les acteurs de la filière lait depuis des mois. Sans, comme c’est hélas souvent le cas dans la démocratie européenne, toujours parvenir à se faire entendre de Bruxelles. Première à dégainer, l’Italie – l’autre « pays du fromage » – a longtemps prêché dans le désert. Et l’affaire semblait entendue, le vote acquis, les autorités françaises ne semblant pas pressées de défendre le cas de leurs propres producteurs à la table européenne.
Jusqu’à ce qu’une déclaration de la ministre française des Affaires européennes ne vienne enrayer la mécanique bruxelloise. « Si elle n’est pas corrigée, la révision du règlement sur les emballages et les déchets pourrait devenir un nouveau désastre européen », a récemment lâché Laurence Boone.
« Si nous voulons caricaturer l’Europe avant les élections, embêtons les producteurs de camembert et leurs emballages en bois », a encore raillé la secrétaire d’État française. Un revirement spectaculaire, dont s’est immédiatement félicité Giangiacomo Pierini, le vice-président de la Federalimentare, le syndicat italien de l’industrie alimentaire. « Le changement de cap de la France montre que les objections soulevées par l’Italie et d’autres pays membres (de l’UE) n’étaient pas injustifiées », a commenté le dirigeant, selon qui l’actuel projet de règlement européen relève davantage de « l’idéologie » que d’une quelconque volonté de favoriser l’émergence d’une économie circulaire sur le Vieux continent.
Des « dommages incalculables » sur l’industrie européenne
Et M. Pierini de rappeler, pour appuyer sa position, que le secteur agroalimentaire représente pas moins de 30 % du PIB italien. Si le projet de règlement n’est pas rapidement amendé, estime encore le responsable de Federalimentare, « nous assisterons à un désastre économique et social, qui aura un impact sur la compétitivité de l’économie européenne en causant des dommages incalculables sur l’emploi et l’environnement ». En prime, si l’on peut dire : s’il était adopté en l’état par les parlementaires européens, le projet signerait la mort de l’industrie européenne du recyclage, conclut le représentant de l’agroalimentaire italien.
Un avis partagé par Antonio D’Amato, le président de l’European Paper Alliance (EPPA), selon qui le texte « met en péril toute la chaîne agroalimentaire européenne ». « Même la France se rend compte que le PPWR ne fonctionne pas », s’est réjoui le représentant de l’industrie européenne du papier. Les eurodéputés français suivront-ils l’avis de leur ministre et s’uniront-ils pour tenter de sauver ce qui reste des fleurons de la gastronomie tricolore de la frénésie bureaucratique bruxelloise ? Réponse mercredi.
Alice Drout