La capacité de Chat GPT a réveillé les craintes que l’intelligence artificielle (IA) remplace l’homme et puisse être nuisible aux personnes et à la société. Le risque serait même qu’elle développe par elle-même des programmes de contrôle, voire de soumission des humains. Aussitôt, les gendarmes de vertu se sont empressés de demander plus de contrôle. Jacques Attali veut une charte mondiale pour interdire aux IA « de nuire à leurs auteurs humains » ! Thierry Breton veut en profiter pour accroître la technocratie européenne.
Mais l’IA peut aussi procurer de nombreux avantages économiques et sociétaux dans l’ensemble des secteurs économiques et des activités sociales, augmenter sensiblement la productivité et donc la richesse de tous, favoriser la compréhension de nombreux problèmes. Elle peut abêtir ceux qui l’utiliseront sans réfléchir ni esprit critique. Mais si on admet que l’intelligence est notamment la capacité à relier et optimiser des informations diverses pour comprendre le monde et répondre aux défis humains, la masse des données mise à disposition des hommes par l’IA leur permettra d’augmenter leur puissance intellective. L’IA améliorera la productivité, accélérera la numérisation, et favorisera ainsi la croissance et la réduction du temps de travail. Elle sera bénéfique si nous en évitons les dérives d’usage comme moyens d’emprise des uns sur les autres, ou plus généralement, d’atteinte aux droits et libertés de chacun.
À cet effet, le Parlement européen avait opportunément, dans une Résolution du 20 octobre 2020, proposé de s’en tenir pour l’essentiel à la responsabilité de la chaîne qui conduit du fabricant au vendeur final du produit. Il considérait à juste titre, qu’il suffisait de procéder à des ajustements des régimes actuels de responsabilité, qui fonctionnent bien, pour tenir compte de la complexité, la connectivité, l’opacité, la vulnérabilité, la capacité d’être modifié par des mises à jour, la capacité d’auto-apprentissage et l’autonomie potentielle des systèmes d’IA, ainsi que la multitude d’acteurs impliqués.
Hélas, dans une proposition de règlement du 21 avril 2021 pour établir des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, la Commission n’a pas pu s’empêcher d’imaginer des normes et des procédures diverses et variées de notification, d’évaluation, de contrôle, de certification, de documentation, de robustesse, d’exactitude, de cybersécurité, de conformité, d’inscription dans des registres, de transparence… Elle incite à jouer comme les enfants avec la mise en place de « bacs à sable » réglementaires… Plutôt que de réglementer l’IA, comme veut le faire Thierry Breton, il faut l’encourager en lui laissant la liberté d’expérimentation !
Plutôt qu’une pause impossible dans la recherche sur l’IA à laquelle appellent inconsidérément des patrons de a Tech, dont Elon Musk, qui se prétend pourtant libertarien, il faut simplement revenir aux concepts de responsabilité civile des produits. Car l’IA ne sera jamais responsable, elle ne peut pas avoir de personnalité juridique comme il avait été envisagé de lui accorder. Derrière l’IA, il y a toujours des hommes : les fabricants, les développeurs, les programmeurs, les prestataires de services et les opérateurs d’amont. Il suffirait donc, comme le proposait le Parlement, pour prendre en compte l’opacité, la connectivité et l’autonomie des systèmes d’IA, conformément à des concepts de responsabilité largement reconnus, de tenir « pour responsables l’ensemble des personnes qui, tout au long de la chaîne de valeur, créent, entretiennent ou contrôlent le risque associé au système d’IA ».
Jean-Philippe Delsol
Avocat, Président de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales, IREF