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Relais & Châteaux : quel avenir pour l’hôtellerie de luxe ?


Entretien avec Laurent Gardinier, le nouveau président de la prestigieuse chaîne des Relais & Châteaux, qui regroupe 500 établissements de luxe dans 65 pays et totalise quelque 340 macarons Michelin. Comment êtes-vous devenu chef d’entreprise ? Laurent Gardinier : Mon grand-père était entrepreneur dans l’industrie lourde. Ce fut ensuite l’agroalimentaire,...

Laurent GARDINIER

Entretien avec Laurent Gardinier, le nouveau président de la prestigieuse chaîne des Relais & Châteaux, qui regroupe 500 établissements de luxe dans 65 pays et totalise quelque 340 macarons Michelin.

Comment êtes-vous devenu chef d’entreprise ?

Laurent Gardinier : Mon grand-père était entrepreneur dans l’industrie lourde. Ce fut ensuite l’agroalimentaire, avec le champagne et le bordelais, une activité qui fut vendue. Avec mes deux frères, nous dirigeons aujourd’hui un groupe, avec chacun un tiers des parts, dans le secteur de l’hospitalité, avec deux Relais & Châteaux, les Crayères et le restaurant Taillevent, 2 étoiles au Michelin, Drouant et le Comptoir du Caviar. J’ai été administrateur, représentant des membres français chez Relais & Châteaux pendant 17 ans, ce qui m’a mené à cette fonction actuelle. En réalité, je ne me suis jamais considéré comme entrepreneur, cela s’est fait normalement, car dans un groupe familial, il y a la transmission, la pérennisation d’un travail qui donne du sens à l’action. Si cette dimension avait été absente, j’aurais probablement exercé un autre métier. Je suis très heureux de ce que je fais.

La clientèle de Relais & Châteaux rajeunit, passant de 52 à 48 ans. Comment est-ce possible ?

La nouvelle génération est aussi attirée, particulièrement par la belle cuisine. Notre volonté de départ était de dépoussiérer la marque, de travailler sur le réseau pour avoir des membres qui répondent aux attentes des nouvelles générations, avec des outils digitaux, une réflexion sur le développement durable via un manifeste élaboré dès 2014, et un engagement de nos membres et de nos chefs pour comprendre ces enjeux…

Quels sont les critères de votre chaîne ?

Nous avons des spécificités très fortes. Tout d’abord, nous sommes une association, pas une entreprise, ce qui est unique. Ensuite, nous avons une dimension gastronomique, avec une centaine de restaurants sans chambre. Nous portons une attention toute particulière à une gastronomie de qualité. Ce sont des éléments de différenciation très forts. Nous sommes assez peu urbains, avec des établissements de petite taille, de 50 à 60 chambres. Nous avons des concurrents, bien entendu, mais sommes leaders dans notre modèle économique, avec la mission « d’apporter du client » aux membres en direct et pas uniquement par nos outils de réservations.

Est-il facile de devenir membre ?

Nous traçons notre chemin de façon dynamique, nous avons parfois des candidats que nous essayons de convaincre de venir chez nous plutôt qu’ailleurs, évidemment, et sommes très à l’affût des évolutions mondiales. Nous avons environ 500 demandes annuelles pour une vingtaine d’entrées. Nous sommes très attentifs à choisir des membres de qualité qui correspondent à notre ADN familial, avec des éléments de personnalisation forts. Le fait d’être une association change tout.

Chaque membre est copropriétaire de la marque, et l’association n’a pas d’objectif de profit, pas d’actionnaires. Il s’agit d’apporter de l’activité à nos membres, sans prendre de commissions sur telle ou telle transaction. C’est une différence structurelle majeure. Tous nos établissements sont audités par des inspecteurs anonymes, au moins une fois tous les trois ans. Le système est souple, un contrat annuel renouvelable par tacite reconduction. Le processus de candidature est millimétré, avec une acceptation des critères, une inspection anonyme, un rapport portant sur 500 points de contrôle lu par le service réseau du siège, puis un passage en commission. Enfin, si tous ces filtres sont passés, un vote du conseil d’administration.

Comment se porte l’hôtellerie de prestige ?

Aujourd’hui, l’hôtellerie de luxe fonctionne plutôt bien, car elle répond à une vision plus individuelle donnant plus de sens aux déplacements. Venir dans un Relais & Châteaux, c’est aller à la découverte d’un patrimoine architectural, d’une culture, d’activités et d’une gastronomie locale, ce qui donne un vrai plus au voyage. Nous ne sommes pas dans le tourisme de masse et l’hôtel de 500 chambres.

Comment faire coïncider luxe et développement durable ?

À vrai dire, le développement durable est coûteux lui aussi, il faut le financer. De plus, le point de vue diffère d’un pays à l’autre. Nous ne sommes pas les propriétaires des établissements qui se trouvent dans 60 pays. Il faut s’engager quand même, car le fait d’être dans une industrie du luxe fait que nous avons des clients et des collaborateurs très demandeurs. Par exemple, sur l’usage du plastique à usage unique, sur les traitements des collaborateurs, nous essayons dans la mesure du possible d’apporter des solutions. Mais en faisant toujours faire en sorte que le client ne pense pas qu’il s’agit d’un prétexte pour réaliser une économie. Lorsqu’il faut remplacer le plastique, nous pouvons le faire en proposant une belle carafe, des contenants de belle qualité. C’est cela aussi le luxe.

Vous avez des priorités en matière d’implantation géographique ?

Chez nous, les États-Unis sont un marché fondamental, tout comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie. Nous sommes aussi très dynamiques en Amérique du Sud ou au Japon. Nous nous concentrons sur ces zones, même si nous sommes prêts à développer la Chine, l’Inde ou l’Asie du Sud-Est. Mais nous ne recherchons pas à nous implanter ici ou là. Tout dépend de l’établissement que nous trouvons, c’est lui qui est déterminant. Nous voulons le meilleur pour chaque localité. Le cadre, l’histoire, la culture et la gastronomie du lieu sont essentiels. Un Relais & Châteaux n’est pas simplement un hôtel ou un restaurant de luxe, c’est une expérience qui se doit d’être unique et authentique, qui reflète la richesse et la diversité de sa localisation.

Les nouvelles technologies ont-elles un impact sur votre secteur ?

Absolument. Les nouvelles technologies ont bouleversé le monde de l’hôtellerie. Aujourd’hui, la réservation en ligne, les avis des clients sur des plateformes comme TripAdvisor et les réseaux sociaux jouent un rôle majeur. Nos établissements doivent être présents et actifs sur ces plateformes pour interagir avec la clientèle actuelle et potentielle. Par ailleurs, nous nous efforçons d’intégrer ces outils de manière intelligente pour améliorer l’expérience client, sans toutefois perdre l’authenticité et le charme qui font notre réputation.

Quels sont les défis majeurs pour Relais & Châteaux dans les prochaines années ?

Nos défis sont multiples. D’une part, nous devons préserver notre ADN tout en nous adaptant aux évolutions du marché. Les attentes des clients changent, et nous devons être à l’écoute. De plus, la question du développement durable est cruciale. Comment concilier le luxe avec une empreinte écologique responsable? Nous devons également garder un œil sur la concurrence, tout en nous assurant que chaque établissement continue de répondre aux normes strictes de Relais & Châteaux. Enfin, le recrutement et la formation de notre personnel, notamment en cuisine et en salle, sont essentiels pour garantir une expérience exceptionnelle à nos clients.

En conclusion, comment voyez-vous l’avenir de Relais & Châteaux ?

Je suis optimiste. Je crois que, malgré les défis, il y aura toujours une place pour l’hôtellerie de luxe authentique qui offre une expérience unique. Les gens recherchent des moments spéciaux, et c’est exactement ce que nous offrons. Nous devons continuer à innover, à nous adapter, mais toujours avec nos valeurs fondamentales en tête. L’avenir est prometteur pour ceux qui savent évoluer tout en restant fidèles à ce qu’ils sont.

Propos recueillis par Anne Florin

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