Depuis la pandémie, la vente à emporter n’est plus le pré carré de la restauration rapide. Non seulement les fameuses dark kitchens ont envahi les métropoles, mais certains restaurateurs y ont pris goût. Notre enquête.
Il y a deux ans, les restaurateurs classiques se sont mis à la vente à emporter, voire à la livraison dans certains cas, contraints et forcés par les circonstances. Ce ne sont pas des spécialistes, et pourtant de nombreux restaurants poursuivent dans cette voie alors que les circonstances ont changé.
Des chiffres évocateurs
Si l’on prend les chiffres sans y intégrer de notion de compensation induite par les mesures prises pour aider la restauration, les experts estiment que l’activité de la restauration hors domicile a reculé de 38% en 2020 : 35,6 milliards d’euros par rapport à 57 milliards selon NDP Group, spécialiste du secteur. Si l’on parle uniquement de restauration de table, la perte va jusqu’à 50%. Sur la même période, la restauration rapide n’a perdu « que » 25% de son chiffre d’affaires. La vente à emporter a doublé ses parts de marché, passant de 15% de la restauration à table pour atteindre le chiffre de 30% l’an dernier.
Un phénomène dû en grande partie à la mise en place ou à l’accélération de cette activité pendant les périodes de fermeture. Autant dire que sans les subventions non imposables, les faillites auraient fleuri. C’est le contraire qui s’est produit, le taux de défaillances du secteur ayant baissé de 39% en 2020 par rapport à 2019. Cela n’a pas empêché les difficultés, y compris de grandes enseignes réputées solides telles que Courtepaille ou Flunch.
Les restaurateurs changent de métier
Les restaurateurs ont pour certains repris leurs anciennes habitudes cet été, et les affaires ont plutôt été dynamiques grâce à la soif des Français de retrouver leurs tables préférées. Cet enthousiasme a quelque peu été échaudé par le pass sanitaire, qui ne permet pas à une partie de la clientèle, jeune ou antivax, d’entrer dans ces établissements sans test PCR négatif. Une raison de plus pour considérer la vente à emporter ou poursuivre dans cette voie en parallèle de la restauration classique.
La livraison est une autre option, mais les chefs d’entreprise que sont les restaurateurs traditionnels ont des difficultés à tout gérer en même temps. Ils préfèrent souvent proposer une partie de leur carte, voire des plats spéciaux, spécifiquement préparés et emballés pour la vente à emporter.
Une nouvelle restauration rapide ?
La restauration rapide fait partie du paysage français depuis des dizaines d’années, et a longtemps été associée aux adjectifs facile et bon marché, pour finalement être liée à l’image de la malbouffe. Ces dernières années, ces enseignes ont modifié leur approche afin de proposer des alternatives plus saines, pendant que d’autres apparaissaient sur de nouveaux créneaux, comme les sushis, ou sur des recettes plus haut de gamme, comme Big Fernand et ses burgers maison.
Le marché des burgers, pizzas, pâtes, glaces, etc., n’est plus uniforme, il s’est segmenté au fil du temps avec un cœur de cible et un haut de gamme, sur place, à emporter ou en livraison.
De nouveaux clients
Le client aussi a changé. Quel que soit son âge à présent, il veut du bon, souvent du sain et du local, parfois du biologique et du végan. La notion de premium a pris tout son sens, à deux exceptions près. Le premier cas est lorsque les circonstances obligent le consommateur à être dans l’urgence, auquel cas si ses options préférées ne sont pas disponibles, le client ira au plus rapide, peu importe le concept. Le second est la question du portefeuille ; certains prix pratiqués conditionnent évidemment le type d’achats.
Des arguments favorables
De nouveaux arguments viennent jouer en faveur de la progression du pourcentage de vente à emporter chez les restaurateurs.
• La crainte : inattendu, ce premier motif prend son sens depuis deux ans. En effet, la peur de la foule et de la contagion, l’envie de se retrouver chez soi, en famille ou avec les amis sans pour autant souhaiter cuisiner soi-même, sont autant d’éléments qui militent en faveur des plats à emporter ou livrés, y compris à partir du petit resto que l’on a l’habitude de fréquenter par ailleurs.
• Le recrutement : la restauration était déjà en déficit de recrutement en 2019 et la situation ne s’est pas arrangée, bien au contraire. La difficulté à trouver du personnel de salle fait réfléchir les restaurateurs, les incitant à proposer une alternative permettant de mettre en avant leur savoir-faire et de compléter le chiffre d’affaires sans avoir à recruter.
• Le télétravail : un élément à double tranchant. Contrairement à ce qui a été anticipé au départ, le télétravail semble plutôt favoriser la restauration traditionnelle hors zone de bureaux, car finalement, passer beaucoup de temps à la maison, en dépit des aspects pratiques, incite à vouloir sortir plutôt qu’à rester chez soi pour les moments conviviaux en soirée. En revanche, de nouvelles opportunités s’ouvrent également en matière de vente à emporter.
Une bonne vente à emporter se trouvant dans un quartier résidentiel à pouvoir d’achat élevé va pouvoir attirer si son offre correspond aux besoins de cette population. Autre conséquence du télétravail, de nombreux salariés ont choisi de quitter les métropoles pour aller en banlieue, voire plus loin s’ils n’ont plus qu’à se rendre au bureau deux jours par semaine. Une offre attrayante près des gares prend alors tout son sens.
Une tendance à confirmer
Il est probable que la cartographie de la restauration va subir bien des changements dans la période à venir. Une partie encore à définir va poursuivre sa vente à emporter, soit à partir du restaurant, soit dans un lieu à part, certains vont même tenter de ne plus travailler le soir en espérant combler le manque par cette activité. Il est encore un peu tôt pour donner des éléments chiffrés, mais la pandémie va clairement laisser des traces dans ce secteur aussi.