Les systèmes de retraite et de santé français constituent les postes de dépenses de loin les plus importants de notre protection sociale. Et avec respectivement 14% et 12% du PIB, ils se situent parmi les plus chers des pays d’Europe. Il est donc urgent de repenser notre modèle social.
Compte tenu du vieillissement de la population et des changements dans les risques sanitaires que ce vieillissement entraîne (prédominance des maladies chroniques et liées à la dépendance), mais aussi du poids de la dette sociale (135 Mds€ restent à amortir par la Cades), retraites et santé, deux piliers de notre protection sociale, doivent être réformés.
Mais les réformes à mener ne sont pas les mêmes : la retraite est un risque au sens de la Sécurité sociale certain. Le gérant doit assurer un travail simple : collecter les cotisations, prévoir le nombre d’actifs et de retraités, verser les retraites en appliquant des règles précises.
Il doit surtout assurer l’équilibre en fonction de paramètres limités et, pour certains, sur lesquels il ne peut quasiment pas agir (démographie). Il dispose de peu de latitude : l’âge, le montant de la pension et le taux de cotisation. Or, le déficit de compétitivité de la France écarte la possibilité d’augmenter les cotisations pour financer le système. Dès lors, il faut :
– reporter l’âge l’égal à 65 ans en 2028 ;
– créer un régime unique et universel par points ;
– aligner les systèmes de retraite public et privé ;
– introduire une part de capitalisation sans augmenter le montant total des cotisations.
La santé est un risque aléatoire et la qualité de la prestation de soin (hôpital, médecine de ville, médicaments) est très variable. La responsabilité du gérant d’un système d’assurance maladie est différente puisqu’il va devoir choisir, parmi un large panel de solutions, la meilleure solution au meilleur coût.
La santé est par ailleurs un domaine où – contrairement à la retraite – l’innovation joue un rôle essentiel. Face à cela, le gérant doit se poser plusieurs questions : quel prix accepter de payer ? Quel fournisseur de soins recommander à ses assurés ? Quels progrès thérapeutiques encourager ? C’est ce rôle complexe qui justifie une diversité de gérants de l’assurance maladie et leur mise en concurrence par les assurés. D’où les propositions suivantes :
– cantonner l’État à son rôle de stratège, régulateur, contrôleur ;
– appliquer un statut d’autonomie aux hôpitaux publics ;
– mettre en extinction le statut de la fonction publique hospitalière ;
– ouvrir l’assurance maladie au premier euro à la concurrence régulée.
Un système de retraites pérenne
Les retraites en France représentent 300 Mds€, de loin les premières dépenses sociales soit un quart des dépenses publiques. En matière de retraites publiques, la France dépense chaque année 14% de son PIB, ce qui nous place en tête en Europe avec l’Italie. Mais les réformes menées ne suffisent pas.
Certes, la ministre des Affaires sociales a pu affirmer que le trou de la Sécu, c’est du passé, et le Comité de suivi des retraites (CSR) parler d’un système «aujourd’hui plus solide financièrement et moins inéquitable que ne le pensent souvent nos concitoyens», mais il demeure que :
– sur le long terme, le système des retraites ne serait de retour à l’équilibre que dans les scénarios favorables et médians du Conseil d’orientation des retraites (Cor). À l’inverse, le système resterait durablement en déficit en cas de croissance des revenus d’activité inférieure à 1,5 % par an à long terme ;
– les engagements de désindexation pris par les partenaires sociaux pour les retraites complémentaires (Arrco-Agirc) qui devaient rapporter 3,5 Mds€ en 2020 risquent de ne rapporter (au mieux) que 0,2 Mds€ ;
– alors même que le gouvernement a souhaité baisser le coût du travail, c’est oublier que le redressement observé des comptes de la branche vieillesse est dû à l’augmentation des taux de cotisations retraites votée dans le cadre de la réforme de 2014.
L’augmentation est de 0,6 point entre 2014 et 2017. On retrouve d’ailleurs une augmentation du taux de cotisation en 2015 dans les régimes de retraite complémentaires Arrco-Agirc. Les cotisations retraites représentent aujourd’hui 38% du total des cotisations qui figurent sur la fiche de paie d’un salarié non-cadre, et cela peut même monter jusqu’à 45 voire 66%.
Et ces chiffres ne disent rien de la situation des régimes spéciaux : la contribution de l’État au CAS Pension (compte budgétaire qui retrace les dépenses de l’État en matière de pensions des retraites) – faussement appelée «cotisation employeur» – continue d’augmenter (40 Mds€ en 2015, 42,7 Mds€ en 2017). Les crédits de la mission «régimes sociaux de retraites» qui retrace les subventions d’équilibre versées par l’État (SNCF, RATP…) devraient rester stables à 6,4 Mds€.
L’iFRAP se prononce donc pour un report de l’âge à 65 ans progressivement entre 2018 et 2028, soit au rythme de 1 trimestre par an. Les économies à attendre sont de l’ordre de 3 Mds€ par an entre 2017 et 2022. De même, afin de simplifier le pilotage du régime et de sortir du débat sur l’équité entre ceux qui ont commencé à travailler jeune et ceux qui sont rentrés tard sur le marché du travail (pour cause d’études ou de chômage), il est indispensable de transformer les régimes de retraite en régimes par points. Ce basculement, techniquement réalisable, comporte plusieurs avantages :
– un meilleur pilotage des régimes. Les cotisations permettent d’acheter des points, des droits à retraite, à travers une valeur d’achat. Le cumul de points permet à travers une valeur de liquidation de prendre sa retraite à un âge pivot qui théoriquement assure une stricte neutralité entre les droits retraite ainsi cumulés et l’espérance de vie à la retraite. Le pilotage s’opère alors sur l’âge pivot et/ou sur la valeur de liquidation des points de retraite. C’est capital car les mesures prises en France face au vieillissement de la population sont actuellement défaillantes ;
– une meilleure contributivité des régimes et une plus grande équité en affichant le rendement des points ainsi qu’une comparaison entre régimes ;
– une meilleure gestion des droits non contributifs et de leur portabilité entre régimes.
Ajouter une part de capitalisation
La France doit aller un cran plus loin et remettre à plat son système de retraite beaucoup trop complexe. Les coûts de gestion des 35 régimes de retraite sont aujourd’hui très élevés (près de 2% du PIB, contre 1% en moyenne européenne) et les différences entre régimes sont trop nombreuses pour ne pas imaginer que des économies puissent être dégagées. Il est donc impératif de fusionner les régimes de retraites.
Pour compléter la réforme des retraites, il faut faire le choix clair de mettre une part de capitalisation. Plusieurs pays ont mis en place des dispositifs de retraite par capitalisation obligatoire qui complète la retraite par répartition comme l’Allemagne, qui subventionne l’épargne retraite par le biais d’une défiscalisation massive afin de pallier la baisse des taux de remplacement, ou la Suède, qui a fixé à 18,5% la cotisation dans son régime en comptes notionnels avec 2,5% en capitalisation obligatoire individuelle.
Les actifs des fonds de pension représentent 6% du PIB en Allemagne, 9% en Suède et seulement 0,5% en France. En France, même les syndicats comme la CFDT la revendiquent pour les cadres. Et depuis 2005, la fonction publique bénéficie d’un support, le RAFP – Régime additionnel de la fonction publique –, grâce auquel les fonctionnaires cotisent par capitalisation sur leurs primes pour la retraite à hauteur de 2% (10% sur leurs primes qui représentent 20% de leur traitement brut en moyenne), exactement comme le recommande la Banque mondiale.
Un système de santé équilibré
La France est très en retard dans l’utilisation des données de santé mais aussi pour la chirurgie ambulatoire, la télémédecine, le dossier médical informatisé, le suivi des malades chroniques et dans de nombreux autres domaines. Malgré un niveau de dépenses record et à côté d’une médecine de pointe souvent performante, notre système de santé est réticent au changement.
Une rigidité d’autant plus inquiétante que les évolutions en cours sont plus radicales et plus rapides que jamais : génomique, robots, besoins des malades, rôles des soignants… Pour combler retards et déficits, nos gouvernements finissent toujours par lancer des plans d’urgence. Mais ces programmes de rattrapage ne répondent pas à la question de fond : comment construire un système de santé qui ne prenne plus de retard ?
L’incohérence de l’architecture actuelle du système est à la source de ces blocages avec le monopole État/Cnam qui est empêtré dans ses 3 rôles contradictoires, en conflit avec des concurrents qu’il est censé réguler, un goulot d’étranglement qui freine les initiatives.
La Cnam de son côté, dirigée par l’État et gérée par les syndicats au bénéfice de ses salariés, reste focalisée sur son rôle de payeur aveugle, et n’est pas en position de dynamiser le système de santé. Malgré leur dispersion et leur champ d’action limité par la loi, ce sont les complémentaires santé, mutuelles en grande majorité et assureurs privés, qui se montrent les plus dynamiques pour innover.
Pour que le système de santé résolve ses problèmes en tirant parti des nouvelles opportunités, il faudrait qu’elles soient rapidement évaluées, et mises en application : les résultats de produits ou services innovants sont très différents selon les environnements sociaux, l’engagement des équipes (favorables ou opposées), et la façon dont les payeurs les prennent en charge.
Les acteurs de la santé (hôpitaux publics, hôpitaux privés, cliniques privées, médecine libérale, assurés, malades, assureurs) sont conscients des dysfonctionnements actuels et des bouleversements à venir, et constatent qu’entre les problèmes et les solutions, l’État/Cnam constitue un goulot d’étranglement qui freine les évolutions nécessaires.
En situation de monopole et empêchés par leur taille, l’État et la Cnam n’ont ni la motivation ni l’agilité nécessaires pour tirer parti des vagues de changements. Le cas de la chirurgie ambulatoire est un exemple typique de cette inertie structurelle.
Quels leviers de changement ?
La question est donc de savoir quels leviers feront sortir notre système de santé de ce blocage. Classiquement, 4 sont proposés : le dévouement, le management, la bureaucratie et la liberté-responsabilité. Mais la réforme de fond consiste à tabler sur la liberté-responsabilité des parties prenantes, et donc à ramener l’État à son rôle de stratège et de régulateur, des responsabilités déjà très complexes.
– Établissements de soins. La 1ère mesure est de rendre autonomes les hôpitaux publics, en coupant leur dépendance avec l’État, sur le modèle des hôpitaux mutualistes ou de fondations. Une mesure qui leur permettra par exemple de choisir diverses structures d’organisation au-delà du modèle unique actuel (directoire/conseil de surveillance, services/pôles). Et comme il est impossible de gérer ces organismes complexes quand les salaires, les recrutements, les carrières et les façons de travailler sont gérés par ailleurs, tous les nouveaux employés devront être embauchés par l’hôpital sous un statut de droit privé. Une mesure indispensable pour que ces hôpitaux soient capables de subsister dans un cadre de concurrence équitable. Comme à France Telecom, les salariés existants pourront choisir entre l’ancien et le nouveau statut. Les conseils d’administration des hôpitaux, responsables du choix des directeurs et de la performance de leur hôpital, ne pourront plus se cantonner dans une attitude du «toujours plus» vis-à-vis du gouvernement. Ils devront inclure une moitié d’administrateurs indépendants à côté de représentants des collectivités locales, des personnels des hôpitaux et d’associations d’assurés et de malades.
– Assureurs. La 2de urgence est de couper le lien entre l’État et l’assurance maladie obligatoire (Cnam) qui devra devenir un acheteur avisé de soins. Qui dit avisé dit évaluation, et donc risque de partialité ou d’erreur de jugement. Comme il serait insupportable pour les fournisseurs de soins de se retrouver face à un acheteur-évaluateur unique, l’assurance santé au premier euro devra être ouverte à la concurrence. Une réforme qui mettra fin à la situation française unique où 95% des assurés le sont par deux assureurs (Cnam + complémentaire) avec des coûts élevés, les candidats les plus probables pour fournir ces contrats au premier euro seront les complémentaires santé actuelles, et éventuellement la CnamTS et la MSA. Une configuration qui existe déjà dans de nombreux cas. La Cnam elle-même propose une complémentaire santé que peuvent choisir les titulaires de la CMU. En Alsace-Moselle, la Cnam fournit à la fois l’assurance de base et la complémentaire. Et plus de 20 millions de Français actifs et retraités adhérents des mutuelles du secteur public comme la MGEN des enseignants, la MPCDC des employés de la Caisse des dépôts ou la mutuelle de la SNCF n’ont déjà qu’un seul interlocuteur pour leurs frais de santé : l’assureur complémentaire qu’ils ont choisi gère aussi l’assurance de base en délégation de service public. Une situation dérogatoire commode pour ces personnes mais malsaine, ces complémentaires n’étant pas responsables de la bonne gestion des dépenses faites au titre de la base. En plus d’être des acheteurs avisés, ces assureurs au premier euro pourront proposer des services à leurs clients, comme des mutuelles et des assureurs ont commencé à le faire, conseils que la Cnam actuelle ne fournit pas (neutralité oblige). Ces assureurs seront tenus d’accepter tous les clients au même tarif, réalisant une solidarité effective entre assurés, contrairement à l’assurance maladie obligatoire et surtout aux complémentaires santé actuelles. Cette non-sélection sera garantie par un mécanisme de compensation entre assureurs comme en Allemagne et aux Pays-Bas. Pour fournir un véritable service, le nombre de ces assureurs au premier euro (500 complémentaires santé actuellement) diminuera. Mais tout en restant financièrement responsables au premier euro, certaines complémentaires pourraient sous-traiter la gestion comptable à d’autres assureurs, y compris à la Cnam.
– Assurés. Pour améliorer la responsabilisation des assurés et des malades, les assureurs pourront proposer des contrats incluant une contribution annuelle globale en cas de soin et un bonus annuel en cas de non-soin, des mécanismes limités à effets limités, le principal outil de responsabilisation étant le lien que l’assureur saura créer avec ses assurés à travers des conseils et de la prévention.
– Soins de proximité. Pour les interventions au plus près du terrain, la permanence des soins et l’hospitalisation à domicile, la responsabilité de leur organisation (pas de leur réalisation) sera, comme aux Pays-Bas, transférée de l’État aux collectivités locales qui assurent déjà l’aide sociale de proximité, ces 2 aspects étant très souvent liés notamment pour les personnes dépendantes.
Les aspirations des citoyens et des professions médicales sont très diverses, et ne peuvent plus être satisfaites par une seule réponse fournie à un guichet unique mais être négociées entre assureurs, assurés et professions médicales. Les prix des consultations et des soins seront progressivement négociés entre assureurs et professions médicales ou fournisseurs de soins. Le rôle de l’État restera primordial, mais dans la politique de santé, la fixation des objectifs et le contrôle des résultats, pas dans la gestion au jour le jour. Ce n’est pas à l’État de décider des méthodes de prise en charge des malades, ni même si les tarifs doivent être identiques dans les hôpitaux et les cliniques (les établissements dont les prix seront trop élevés à qualité égale, perdront leurs clients) mais aux offreurs de soins (établissements de soins, médecine de ville) et aux acheteurs, malades et assureurs.
Équilibre financier
Mettre fin aux déficits de l’assurance maladie et ramener les dépenses liées à la santé dans la moyenne européenne (soit entre 10,5 et 11% du PIB contre 11,7% actuellement) est indispensable pour assurer la soutenabilité du système.
– Assurance maladie. La Cour des comptes a estimé qu’une économie de 1,7 Md€ est réalisable à structure égale, en améliorant la gestion du système. La réforme proposée par la Fondation iFRAP consiste à réduire en 5 ans ces doubles frais de gestion inutiles, et à en consacrer une partie à développer des services utiles d’acheteur avisé : conseil aux assurés et aux malades, constitution de filières de soins performantes, prévention, promotion de nouvelles technologies.
– Système de soins. Au-delà du système d’assurance, les gains les plus importants liés à la réforme proposée par la Fondation iFRAP se situent au niveau du système de soins lui-même. La comparaison avec les pays voisins montre qu’une baisse des dépenses de 1% du PIB est faisable en 10 ans. C’est aussi l’avis du cabinet McKinsey qui estime la réduction possible des dépenses de 7 à 10% tout en améliorant la qualité.
Il n’existe pas de «petite» réforme efficace du système de santé français. Soit il continue à se dégrader avec une baisse de la qualité, le mécontentement des malades et des professionnels de santé, et des déficits permanents, soit l’État se concentre sur son rôle de régulateur et sort de la gestion des hôpitaux publics qui doivent devenir autonomes et de l’assurance maladie obligatoire qui doit être ouverte à la concurrence. C’est la direction choisie par l’Allemagne et les Pays-Bas.
[FIN] Un système de retraite juste et équilibré
1. Faire converger les régimes public et privé
Conserver un système qui ne traite pas chaque cotisant sur un pied d’égalité est une entrave aux principes de justice et d’efficacité. La convergence des régimes public et privé apparaît alors comme une solution de bon sens.
2. Faire évoluer simultanément l’âge de la retraite et la durée de cotisation. Il est nécessaire d’agir à la fois sur l’âge de la retraite et la durée de cotisation.
3. Assurer la viabilité du système par répartition avant d’envisager une réforme systémique.