Rodrigo Basilicati-Cardin a 25 ans lorsqu’il rencontre son grand-oncle, Pierre Cardin. C’est avec lui qu’il découvre l’univers de la mode alors qu’il suit des études d’ingénierie et d’architecture.

Sa formation à ses côtés sera rude et longue, avant que Pierre Cardin ne le nomme en 2018 directeur général du groupe et président successif. Rodrigo Basilicati-Cardin lui succède deux ans plus tard, à la tête d’une des maisons les plus emblématiques de la mode française. Une lourde tâche, une responsabilité quasi-filiale à l’égard de son grand-oncle, mais aussi un défi important pour celui que tout destinait à choisir une autre carrière.

Un destin original

Lorsqu’en 2020, au décès de Pierre Cardin, il prend les rênes de la Maison, Rodrigo Basilicati-Cardin n’a qu’un objectif : faire rayonner le nom Cardin, comme une marque de son temps, un mécène de la culture et de ses acteurs, une entreprise innovante et visionnaire. L’enjeu est important mais il est à la portée de cet homme qui est ingénieur et designer de formation. Celui qui travaille avec son grand-oncle depuis la fin des années 1990 et participe à la création notamment des accessoires de mode et du mobilier est devenu un professionnel accompli et dispose donc de la légitimité nécessaire pour poursuivre le développement de la marque Cardin. Très tôt, Rodrigo Basilicati-Cardin se découvre une vraie passion pour le piano. Il décroche un diplôme du Conservatoire en vue de devenir pianiste professionnel. Il est aussi passionné par le dessin. Pourtant, il opte pour une carrière dans l’ingénierie civile. Et puis, en 1994 Pierre Cardin assiste à une exposition de dessins de son petit-neveu à Venise. Tout va alors s’accélérer, Pierre Cardin ayant senti la fibre artistique de Rodrigo, celui-ci se voit confier la réalisation de décors pour l’Espace Pierre Cardin, de collections de meubles, de lunettes et d’une bouteille en verre pour l’eau Maxim’s, sans oublier, des productions de spectacles pour le Festival de Lacoste… Ils ont le même goût pour la mode, le beau, le raffinement, l’art, l’intergénérationnel…Il y a aussi de l’admiration d’un côté et la pres- cience d’un talent de l’autre. Même exprimée avec pudeur, celle-ci constituera un levier puissant de transmission.

Des océans au cosmos

Récemment, le nouveau patron de la Maison Cardin a connu un succès notable : le défilé et la présentation d’une nouvelle collection à l’occasion de la dernière Fashion Week. Une collection rétro-futuriste, faite de tenues évoquant l’Espace et l’Océan et adaptées à la vie citadine. Les silhouettes, fidèles au style avant-gardiste de la Maison, sont très structurées, avec l’utilisation de tissus recyclés et une large palette de couleurs. Une robe fuchsia présente une incrustation métallique sur le ventre, et une autre des ailes qui donnent à celle qui la porte un aspect aérien de raie manta. Cinquante-trois robes ont été réalisées avec des chutes de tissu récupéré, utilisé pour la protection solaire des satellites. Ce défilé organisé à l’Atelier des Lumières à Paris, avait plongé le public dans des projections immersives de bébés tortues, dauphins et autre faune aquatique sur tous les murs. « Mon ambition, c’est de faire des combinaisons pour le corps humain qui solutionneront le problème de la régulation thermique », a précisé le créateur et visionnaire, Rodrigo Basilicati-Cardin qui est très attaché au respect de la planète.

Préserver le savoir-faire et les techniques originelles

Le prêt-à-porter et la couture sont aujourd’hui signés par Rodrigo Basilicati-Cardin aux côtés du Studio dont certains membres ont, comme lui, travaillé avec Pierre Cardin pendant 30 ans et plus. Le Studio est essentiel aux yeux de Rodrigo qu’il continue de renforcer en allant chercher des talents nouveaux grâce à l’organisation de concours aux quatre coins du monde qui permettent notamment de viser un public plus jeune, les 30-40 ans. Pour Rodrigo Basilicati-Cardin, la transmission des savoir-faire est capitale car Pierre Cardin avait certes inventé un design mais aussi des techniques de couture qui lui étaient propres. Même si, à l’atelier, certains maîtrisent encore ces savoir-faire, le risque est réel de perdre un jour ces techniques originales qui permettent d’obtenir la netteté et la précision des lignes propres à la marque. Le patron de Cardin qui veut préserver le patrimoine de la Maison sous tous ses aspects, souhaite que les plus anciens transmettent ces savoir-faire aux jeunes qui recrute aussi pour donner un nouveau souffle à la Maison et inspirer les 300 licences actives dans le monde.

Une nouvelle ligne « Pierre Cardin Evolution », a été créée pour le réseau des licenciés. Plus jeune et sportive, avec un positionnement plus commercial, cette ligne se distingue de la ligne Pierre Cardin Collection qui propose des pièces exclusives ou de la ligne Pierre Cardin Couture disponible seulement dans le Flagship historique de la Maison Cardin Place Beauvau, en face de l’Elysée.

Le navire amiral Cardin de l’avenue de Marigny

Si l’iconique couleur verte de la façade enduite à la vénitienne, en référence à la ville d’origine du fondateur et les portes tout en rondeur, dessinées il y a 50 ans par Pierre Cardin lui-même, sont toujours bien présentes, la boutique étendard de la marque a été restructurée tout en conservant l’esprit futuriste de la maison. Les six vitrines sont désormais parées d’écrans géants incurvés, sur lesquels sont projetées les silhouettes des derniers défilés pour mieux rendre compte de la complexité et du rendu dynamique des vêtements portés. Les lunettes, un des produits stars de la maison, dont le modèle Évolution 7 a été porté par Madonna lors de sa dernière tournée mondiale, « Celebration Tour » et le modèle Évolution 9 porté par Beyoncé, – habillée aussi par Cardin – pour sa tournée « Renaissance Tour », ont également trouvé une place de choix dans ce magasin. Les proportions de la boutique ont été repensées pour un espace plus aéré et épuré où de nouveaux meubles créés par Rodrigo Basilicati-Cardin aux formes géométriques, inspirés de son grand-oncle, accueillent les nouvelles collections hautes en couleur. En total accord avec le nouvel esprit écoresponsable instauré par Rodrigo Basilicati-Cardin, le système de chauffage fonctionne de telle manière qu’il permet de récupérer 95% de l’énergie généralement perdue.

Interview de Rodrigo Basilicati-Cardin

Vous auriez pu devenir un grand pianiste. Vous avez décidé de succéder à votre grand-oncle, à la tête de la Maison Cardin. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Y voyez-vous des points communs avec la musique ?

R.B-C : « A 25 ans, je suivais une formation de perfectionnement à l’Académie F. Listz de Budapest ainsi qu’une formation d’ingénieur à Padoue, et en parallèle je passais des concours de design. A cette époque, mon grand-oncle Pierre Cardin, était étonné par cette formation éclectique. De mon côté, j’étais surpris par la façon qu’il avait de diriger une Maison de Haute Couture et plus généralement par son processus créatif qui l’amenait à raconter une histoire avec des formes abstraites. Mon grand-oncle a commencé par me tester et j’ai démarré en dessinant des collections de meubles pour la Maison, notamment en 2003, 2007 et 2017. J’ai par exemple créé une gondole en plexiglass transparente et lumineuse avec laquelle nous avons navigué sur les canaux de Venise. J’ai aussi imaginé un jeu d’échecs géant conçu comme un ensemble de sculptures en bronze. Pierre Cardin a trouvé mes réalisations plutôt prometteuses et m’a proposé d’autres défis que j’analyse aujourd’hui comme des tests de mes capacités créatives et de mon aptitude à mener un projet à son terme. »

Le projet Luna, un nouveau défi pour Cardin

Vous avez souvent dit vouloir conserver les références iconiques de Pierre Cardin tout en apportant une touche innovante et en visant une clientèle plus jeune. Est-ce toujours le cas aujourd’hui et pouvez-vous nous en dire plus sur votre stratégie pour la Maison Cardin ?

R.B-C : « Ma stratégie consiste à poursuivre l’histoire de la Maison, à l’ancrer dans le présent et l’avenir afin que l’héritage de mon grand-oncle soit préservé et qu’il perdure. Cardin c’est une marque à protéger et à rajeunir, c’est 300 partenaires qui nous donnent les moyens de nos ambitions et avec lesquels nous devons veiller au respect de la qualité. Ce sont aussi des défis techniques et même technologiques à relever afin que la mode devienne, au-delà du design, une façon de vivre sur terre, dans l’espace, et sur les océans. Je travaille également à la création de deux nouveaux partenariats qui seront très importants pour la Maison. Ils concerneront des tissus 100% respectueux de l’environnement qui pourraient aussi être utilisés par nos licenciés et celle d’un prêt à porter féminin en Europe qui n’existe pas encore dans la Maison et pourrait devenir un nouveau moteur de croissance pour notre entreprise. »

Justement, ce qui vous unit aussi à Pierre Cardin, c’est cette même passion pour le monde aéronautique et spatial ?

R.B-C : « Je voulais, quand j’étais plus jeune devenir ingénieur dans l’aéro-spatial et puis finalement, j’ai opté pour un parcours d’architecte dans l’ingénierie civile. Et puis fin 2020, j’ai assisté avec mon grand-oncle au lancement du premier vaisseau spatial privé au service de la station spatiale internationale ISS. A la fin de sa vie, ce type d’événement faisait toujours jaillir des étincelles dans ses yeux. Ces moments ne m’ont jamais quitté et j’y pense chaque jour lorsque je crée pour la Maison Cardin.

Le 25 septembre 2024, je vais présenter le projet Luna en partenariat avec l’Agence Spatiale Européenne. Celle-ci va inaugurer à Cologne en Allemagne, le premier centre d’entraînement des astronautes pour aller sur la Lune. Nous avons travaillé sur une combinaison d’entraînement qui simule toutes les contraintes de l’environnement lunaire : pression interne, poussières, défense des radiations, de la chaleur, du froid… avec une attention particulière sur les mouvements des mains et des articulations, rendus complexes dans l’espace. C’est une révolution vers laquelle je m’oriente pour la Maison. ».

Fin septembre, vous vous apprêtez à présenter une nouvelle collection. Quelles en seront les lignes directrices ?

R.B-C : « Toujours ces mêmes lignes géométriques inspirées par la recherche de nouvelles sources d’énergie, les solutions pour préserver les ressources de la planète étant au cœur de ma réflexion pour la Maison. Utiliser des tissus plus responsables est essentiel, d’autant plus quand on sait que l’industrie textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde. En tant qu’acteur de premier plan dans le monde de la mode, nous avons un rôle de sensibilisation, auprès de nos 140 licenciés, nos clients mais aussi nos collaborateurs ».

L’engagement écoresponsable est donc clairement ancré dans la stratégie que vous mettez en place pour la Maison Cardin ?

R.B-C : « Lorsque j’ai côtoyé des entreprises comme Thales Alenia Space ou l’Agence Spatiale Européenne, j’ai pris conscience réelle du dérèglement climatique, de la fonte des glaces, de la montée des mers et de la nécessité de s’adapter à ces changements qu’on peut ralentir mais qui sont inévitables. Une prise de conscience qui m’a conduit à organiser un défilé à Venise en juillet 2022, pour célébrer l’anniversaire du centenaire de mon grand-oncle, pour lequel les modèles avaient été réalisés avec des tissus provenant de stocks anciens de plus de 40 ans, que je conserve précieusement comme une source de tissus que nous utilisons et utiliserons pour nos futures créations. J’ai aussi créé les Prix Bulles Cardin Ocean & Space for Our Planet dédié à récompenser des projets de développement durable et d’une économie respectueuse de l’environnement.

Je vais aussi fin 2024 créer un nouvel atelier au sein de la Maison, qui aura vocation à donner une seconde vie aux vêtements confectionnés par Pierre Cardin, sur une période allant de 1950 à nos jours, soit un stock de 20 000 pièces à ce jour. Le futur Musée Pierre Cardin installé au siège historique de la Maison, permettra de découvrir tous ces modèles. Une collection impressionnante qui permettra aux visiteurs de se rendre compte de l’influence de Pierre Cardin en tant que créateur de mode mais aussi dans le monde de l’architecture et de la sculpture. ».

La transmission est une valeur essentielle pour vous. Comment alors transmettez-vous l’ADN de la marque aux équipes en place ?

R.B-C : « L’idée est de continuer à créer une symbiose entre tous les univers de la Maison et de former de nouvelles générations à l’esprit originel de mon grand-oncle, tout en insufflant de la modernité. D’où la création du prix Pierre Cardin Young Designers. Quatre fois par an, partout dans le monde, nous lançons un concours auprès d’étudiants en fin de licence ou ayant un master en design de mode. En décembre prochain, la nouvelle édition aura lieu à Paris. Une démarche qui vise à renforcer les équipes du Studio Cardin par de jeunes talents inspirés et inspirants ».

Vous organisez aussi un festival culturel, autrefois appelé Festival Lacoste, désormais baptisé Festival Cardin. Quelle est l’ambition de ce festival ?

R.B-C : « La culture et la promotion des artistes a toujours fait partie de l’ADN de la Maison. Pierre Cardin a produit de nombreux spectacles et artistes. Il était naturel de poursuivre dans cette voie. Le théâtre, la musique et la mode sont étroitement liés. Trois univers de rencontres et de partages avec les clients Cardin.

Dans le même temps, je promeus les sites emblématiques choisis par Pierre Cardin comme le Palais Bulles à Théoule Sur Mer, pour accueillir des événements mais aussi le mythique restaurant Maxim’s à Paris qui reçoit désormais une clientèle nouvelle ».

Enfin, un adage qui vous ressemble ?

R.B-C : « Toujours aller de l’avant ! »

Plus d’infos sur www.pierrecardin.com