Dans un contexte économique tendu, où le chômage est devenu un vrai problème de société, le retour du travail indépendant est acté. Loin du mythe de l’« ubérisation », le travail indépendant reste largement fondé sur ses bases « traditionnelles » et une constellation de petites et moyennes entreprises. Il offre une bouffée d’oxygène aux jeunes et seniors, particulièrement touchés par l’inactivité, mais pose aussi de nombreuses questions en termes de protection sociale et de précarité.
À l’heure où Emmanuel Macron souhaite réformer le régime social des indépendants pour le rapprocher du régime général, il est parfois difficile d’expliquer que, malgré ses dysfonctionnements certains et préjudiciables aux affiliés, ce régime ne présente pas que des défauts. Des différents rapports réalisés sur le sujet, aucun ne conseille sa suppression, la plupart invitent à une refonte en profondeur.
En effet, si une réforme est bien nécessaire, la simple fusion avec le régime général est inappropriée et, même, risquée pour les affiliés. À contre-courant des besoins des indépendants, la fusion présente le risque d’un alignement par le haut du niveau de cotisations des indépendants sur celui du régime général et d’une nouvelle crise de gestion type « interlocuteur social unique ». A minima, elle met en danger les réussites et acquis du RSI : un financement reposant sur des ressources internes et une gouvernance par des pairs élus.
Les indépendants entre tradition et modernité : les spécificités d’une catégorie en pleine évolution
Le terme d’« indépendant » correspond à une classification administrative regroupant une variété impressionnante d’activités. L’indépendant exerce à son compte une activité économique, en supporte les risques et n’est pas placé dans une situation de subordination juridique à l’égard des personnes avec lesquelles il contracte.
Le XXIe siècle signe le renouveau d’un travail indépendant qui avait été considérablement marginalisé au cours du siècle précédent en raison, principalement, de la réduction du nombre d’exploitations agricoles et de petits commerces et de la construction d’une protection sociale fondée sur le salariat, cause plus globale, très spécifique à la France.
Le nombre de travailleurs non salariés qui était passé de de 4,4 millions en 1970 à seulement 2,2 millions au début des années 2000, a repris sa progression depuis 2004-2005.
Le renouveau du travail indépendant
Le renouveau du travail indépendant depuis le milieu de la décennie 2000 s’explique tout d’abord par le succès du statut d’autoentrepreneurs créé en 2008 (micro-entrepreneur depuis). Avec 487 000 créations en trois ans, l’auto-entrepreneuriat participe activement à la croissance du nombre d’indépendants.
Ce statut est dopé par un contexte économique marqué par une plus grande difficulté d’accès au salariat. Le travail indépendant constitue une porte d’entrée particulièrement utile pour les jeunes et les seniors singulièrement frappés par le chômage. Le travail indépendant permet également de s’adapter à une situation de travail de plus en plus instable.
Plus généralement, de plus en plus de personnes préfèrent à la sécurité de l’emploi salarié, l’autonomie et la flexibilité du travail indépendant. Par ailleurs, celui-ci se prête particulièrement à un travail d’appoint permettant de compléter des revenus provenant d’une autre activité. Sur les 13 millions de personnes engagées dans une activité indépendante en France, 9 millions (68 %) le seraient volontairement (4 millions, soit 32 %, le feraient par nécessité), tandis que 8 millions de personnes aspireraient à exercer une telle activité. Le travail indépendant pourrait donc devenir une source de revenu pour 17 millions de Français qui le désirent.
Une forte disparité de revenus
En 2015, 16 % des non-autoentrepreneurs déclaraient un revenu nul ou négatif et 44 % un revenu inférieur au Smic.
Le constat est encore plus éloquent pour les autoentrepreneurs dont 90 % déclarent un revenu inférieur au Smic et 35 % un revenu négatif ou nul.
La précarité des travailleurs indépendants ne peut être niée : 18 % des autoentrepreneurs et 4 % des autres indépendants et de nombreux ayants droit (56 % des bénéficiaires) bénéficient de la CMU-C attribuée aux bénéficiaires du RSA et personnes au revenu inférieur à 8 645 euros par an.
Cette situation paradoxale qui allie enthousiasme, insécurité et inégalité s’explique par la très grande diversité de la catégorie des « indépendants ».
Les indépendants comptent de nombreux « polyactifs »
Le travail indépendant se caractérise par une forte porosité et une proportion notable de polyactifs.
Contrairement à une illusion récente, polyactivité et travail indépendant ne signifient pas forcément utilisation des plateformes collaboratives à la popularité croissante, moins de 15 % des travailleurs indépendants utiliseraient cet outil dont 54 % pour vendre des biens.
Une protection sociale, notamment pour la retraite, plus fragile
Les caractéristiques spécifiques de la catégorie « indépendant », notamment l’éclatement socio-économique de ses membres, ne sont pas sans conséquence sur la retraite des individus.
Les indépendants « traditionnels » voient leurs revenus décroître significativement lors du passage à la retraite. En général, le régime de retraite du RSI ne compense pas ces pertes de revenus et les indépendants doivent souscrire des produits privés pour s’assurer un niveau de retraite confortable. Il compte 2 millions de retraités soit un rapport d’un cotisant pour un retraité, bien inférieur à celui du régime général (1,27). Lorsque l’on exclut les autoentrepreneurs, le rapport descend à 0,62 pour les artisans et 0,63 pour les commerçants.
Le RSI : une construction entre distinction/rapprochement avec le régime général
Le régime de protection sociale des travailleurs indépendants s’est construit progressivement dans un processus de distinction/rapprochement avec le régime des travailleurs salariés.
À l’intérieur même du groupe des indépendants, les régimes d’affiliation divergent en fonction des types d’activités et, dans une certaine mesure, des choix individuels. La création du RSI en 2006, afin de simplifier et clarifier le régime applicable, n’opère pas d’uniformisation totale du régime. Le RSI rassemble la caisse d’assurance maladie et les deux caisses d’assurance vieillesse des artisans, commerçants et professions libérales. Les modalités de recouvrement et d’octroi de prestations varient. Seule l’assurance maladie est similaire pour tous les indépendants. La nouvelle architecture du système, suite à l’introduction de l’interlocuteur social unique (ISU), est résumée dans le schéma suivant :
Le RSI, un régime impopulaire
Malgré un attachement fort au régime indépendant, le mécontentement des affiliés monte suite à d’importants dysfonctionnements informatiques qui ont perturbé le recouvrement et retardé les remboursements lors de la mise en place de l’ISU.
Avec l’ISU, la culture du recouvrement a pris le pas sur celle de l’accompagnement et a donné un système rigide inadapté aux fluctuations propres à l’activité des travailleurs indépendants.
Le RSI sous le feu des critiques
– Appels à cotisations erronés,
– Remboursements tardivement effectués ou non effectués,
– Non-enregistrement, non réception de la carte vitale,
– Mauvaise prise en compte des droits au régime de retraite …
Comment imaginer la réforme du RSI ?
Le régime des indépendants s’appuie sur une volonté historique d’autonomie et un attachement marqué à la gouvernance par des pairs élus. De plus, les régimes complémentaires du RSI sont financés sur ressources internes ce qui n’est pas le cas de ceux du régime général qui absorberaient alors celles-ci.
La fusion du RSI avec le régime général introduit le risque d’une uniformisation se faisant selon les besoins de la majorité, donc du régime général. Un tel mouvement pourrait conduire à l’assimilation de l’indépendant à un « salarié-employeur », avec pour conséquence désastreuse une hausse significative des cotisations pour les travailleurs non-salariés, qui se retrouveraient à régler la somme des cotisations patronales et salariales.
Privilégier l’autodéclaration
Aujourd’hui, les cotisations du RSI sont calculées sur la base des revenus de l’année précédente (n-1) et donne lieu à une régularisation. L’indépendant peut réaliser une autodéclaration afin qu’elles soient calculées sur les revenus estimés de l’année en cours mais cette autodéclaration est découragée par le paiement de pénalités en cas d’erreur conséquente.
Depuis le 1er juillet 2015, le dépassement de plus d’un tiers du revenu estimé suite à autodéclaration n’est plus pénalisé. Cette suppression donne une plus grande flexibilité au travailleur indépendant et lie directement revenus et cotisations. Reste aujourd’hui à pérenniser l’autodéclaration en l’encourageant et en la rendant accessible à tous
Développer les partenariats et la mutualisation des moyens et informations entre régimes
Si la fusion des régimes n’est pas conseillée, certaines synergies entre régimes peuvent être mises à profit. On peut ainsi construire une mutualisation à trois niveaux :
1) mutualisation des lieux :
plusieurs organismes gestionnaires peuvent réunir leurs activités dans un même endroit (ex : regroupement MSA/RSI/Carsat) ;
2) mutualisation des compétences :
un service commun à plusieurs organismes de gestion, notamment grâce à des conventions de coopération (ex : accueil commun MSA/Urssaf) ;
3) mutualisation des métiers et actions communes : une action confiée à un groupement commun qui réunit les acteurs de différents organismes. Ces mutualisations doivent être accompagnées d’un système d’information commun à tous les régimes qui facilitera ces démarches et réduira les problèmes lors des radiations ou des changements d’activité.
Une évolution, à terme, vers un nouveau système
Une véritable réforme du RSI devra prendre en considération d’une double exigence :
• la flexibilité :
les revenus des indépendants fluctuent plus que ceux des salariés, les cotisations peuvent constituer des barrières à l’entrepreneuriat ou freiner l’investissement ;
• la sécurité :
une forte proportion des non-salariés peut être considérée comme précaire, la forte porosité de la catégorie expose à des risques de mauvaise gestion.
Les effets de la réforme imaginée sur les affiliés et l’équilibre du régime
– Le changement de taux ne pose pas de danger pour la santé financière des régimes
– Les plus vulnérables restent adéquatement protégés
Au « RSI socle », la réforme permet de bénéficier de taux toujours plus bas qu’au régime actuel. On constate ainsi des gains oscillant entre 7 et 13 % selon les revenus :
• de 4 000 et 15 000 euros : 12-7 % ;
• de 15 000 à 49 000 euros : 7-9 % ;
• de 49 000 à 110 000 euros : 9-12 % ;
• de 110 000 à 280 000 euros : 12-9 %.
L’écart particulièrement frappant sur les revenus de 0 à 4 500 euros est dû à la suppression des cotisations minimales lors de la réforme. En effet, le taux réel de cotisations sur les revenus de 1 000 à 20 000 euros évolue de 127 à 41,5 % pour le régime actuel alors qu’il est stable à 34,5 % avec la réforme.
D’après les calculs réalisés pour le « RSI prévoyance » et le « RSI tous risques », sans prendre en compte les aides et exonérations partielles, la réforme permet un gain dès :
• 14 000 euros de revenu pour le « RSI prévoyance » ;
• 19 000 euros de revenu pour le « RSI tous risque » (qui inclut notamment le chômage non couvert par le régime actuel).
Pour 36 000 euros de revenu, les gains atteignent déjà 6 % pour le « socle » et 4 % pour le « tous risques ».
Revoir la fiscalité des indépendants
Le statut d’autoentrepreneur, puis celui de micro-entrepreneur, a connu un vrai succès au cours des dernières années.
Son intérêt tient en partie au fait qu’il place les indépendants sous le régime dit de la « franchise en base de TVA ». Cette non-imposition est un vrai avantage pour les ventes effectuées auprès de particuliers, de personnes physiques ou d’entreprises non soumises à la TVA L’extension du régime de « franchise en base de TVA » à l’ensemble des indépendants permettrait d’augmenter significativement leur compétitivité prix et ouvrirait encore le travail indépendant.
Cependant, dans le contexte actuel, une telle mesure serait déraisonnablement coûteuse pour l’État qui perdrait les revenus versés par 1,68 million de travailleurs indépendants pour un montant, difficilement estimable, de l’ordre de plusieurs milliards d’euros. De plus, le risque serait d’introduire un biais favorisant immodérément le travail indépendant par rapport au salariat.
En revanche, une augmentation des plafonds « micro BNC/BIC » limites de chiffre d’affaires à partir desquels les indépendants ne peuvent plus bénéficier des avantages du statut de micro-entrepreneur, ou des abattements liés, pourrait offrir des garanties certaines en matière de compétitivité et d’équité sans pour autant entraîner les mêmes difficultés. En augmentant son chiffre d’affaires, le micro-entrepreneur s’expose rapidement à un dépassement de seuils entraînant une coûteuse régularisation.
Face à ce constat, l’augmentation des plafonds et des abattements sont deux moyens d’accroître la rentabilité de l’activité micro-entrepreneuriale. L’action par les plafonds incite à une augmentation de l’activité économique des micro-entrepreneurs.