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Safran-Collins Aerospace : comment l’Allemagne et l’Italie ont tenté de faire échouer la vente


Après quelques mois de tergiversations, la Première ministre italienne Giorgia Meloni a finalement donné son accord : Safran est autorisé à reprendre les activités d'actionnement et de commandes de vol de Collins Aerospace, comprenant notamment l'entreprise italienne Microtecnica. Le montant de l'opération s'élève à 1,65 milliards d'euros.

Olivier Andriès, directeur général de Safran

Tout vient à point à qui sait attendre. Depuis six mois, les dirigeants de Safran ont eu tout le loisir de réfléchir à cet adage. Après de longues négociations et tractations au plus sommet de l’Etat italien, le gouvernement de Giorgia Meloni a finalement levé son veto et donné son autorisation au rachat des actifs italiens de Collins Aerospace par Safran pour 1,65 milliards d’euros. L’équipementier aéronautique français va donc finaliser l’acquisition des activités dédiées aux « commandes de vol » de la firme américaine — un pôle qui représente 1,5 milliard de dollars de chiffre d’affaires pour 3 700 salariés. Parmi cette division « commandes de vol » figure la société turinoise Microtecnica, qui regroupe les activités italiennes de Collins Aerospace, soit 15 % du chiffre d’affaires total, et qui fut la pierre d’achoppement du contrat. Safran n’avait pas réalisé une opération de cette envergure depuis le rachat de Zodiac, en 2018, pour 10 milliards d’euros.

Bercy n’a pas été mis dans la confidence

En novembre 2023, les chances de voir aboutir ce rachat stratégique pour Safran étaient pourtant bien minces, l’activation par Giorgia Meloni du « Golden Power », qui autorise l’Etat italien à s’opposer à la vente d’actifs jugés stratégiques, ayant brutalement interrompu le processus de vente.

Ce veto des autorités italiennes, habituellement employé pour interrompre des rachats par des entreprises chinoises (comme dans le cas de Pirelli), a surpris jusqu’au plus haut sommet de l’Etat français, Bercy n’ayant pas été informé au préalable de cette décision… Le décret signé par Giorgia Meloni faisait état d’une « menace exceptionnelle pour les intérêts essentiels de la défense et de la sécurité nationales ». Des propos étonnants dans la mesure où Paris et Rome travaillent de concert sur plusieurs projets dans les secteurs de la défense (missiles, naval) et du spatial. C’est là qu’un autre acteur est entré en jeu : l’Allemagne. Berlin a pesé de tout son poids pour que le rachat n’ait pas lieu.

Le Rafale au cœur des inquiétudes allemandes et italiennes

Mais pourquoi le chancelier Olaf Scholz et son gouvernement ont-ils voulu faire capoter la vente de la filiale italienne d’un conglomérat américain à une entreprise française ? Ce qui a poussé les responsables allemand et italien à agir, c’est l’inquiétude de voir Safran privilégier le Rafale français au détriment du Typhoon Eurofighter, l’avion de combat européen, et du Tornado britannique, et cesser de fournir des pièces de rechange aux armées de l’air allemande et italienne qui utilisent ces deux appareils. « Ce décret a montré une coordination très forte entre l’Allemagne et l’Italie, a indiqué Olivier Andriès, le directeur général du groupe français, à l’AFP. L’Allemagne a considéré que l’acquisition par Safran de ces actifs pourrait amener à une interruption de la fourniture de pièces de rechange et de services pour soutenir le programme Eurofighter (projet développé par le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, ndlr). »

Les promesses de Safran

Après un recours déposé par Safran au début de l’année 2024, les différentes parties sont revenues à la table des négociations. Ce qui a permis l’émergence d’un compromis. « Le groupe (Safran, ndlr) a pris un certain nombre d’engagements, compatibles avec les objectifs visés par cette acquisition, qui répondent aux préoccupations exprimées dans le décret initial italien du 16 novembre 2023 et fournissent des garanties adéquates pour les intérêts nationaux italiens », a expliqué le motoriste aéronautique français dans un communiqué sibyllin. Selon certaines sources proches du dossier, Safran aurait pris plusieurs engagements majeurs qui ont rassuré Rome et Berlin : la poursuite de la livraison de pièces détachées, la conservation des emplois et des activités en Italie, et des promesses d’investissements. Pour la première fois depuis juillet 2023, date à laquelle il a officialisé son projet de rachat, le groupe français a désormais les coudées franches sur ce dossier.

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