Le projet de parc éolien en baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) conduit par le promoteur Ailes Marines, dont l’actionnaire unique est le groupe espagnol Iberdrola, doit permettre de fournir en énergie 832 000 personnes. Mais il suscite de nombreuses critiques, notamment parmi les élus locaux et les associations. Ancien président d’ELF et de la SNCF, Loïk Le Floch-Prigent fait partie des principaux opposants. Entretien.
Le président de la Région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, évoque « un projet incontournable pour l’avenir énergétique de la Bretagne ». Pourquoi y êtes-vous opposé ?
Je suis défavorable aux fermes éoliennes et aux éoliennes en mer. Je suis encore moins favorable aux éoliennes en mer situées sur le littoral, où il y a encore énormément de faune, de flore et de pêcheurs. Les promoteurs ont sous-estimé les conséquences pour les pêcheurs et les navires. On a sous-estimé les études d’impact sur la faune et la flore. Les études d’impact réalisées sont bidons. C’est honteux.
Dans le cas de Saint-Brieuc, les éoliennes seraient situées près d’un site merveilleux : le Cap Fréhel. Il accueille un million de visiteurs par an et est l’un des plus beaux sites de Bretagne. Ce projet est donc contre le Cap Fréhel. Il a été déposé il y a 8 ans (en 2012 — ndlr) par la compagnie Ailes Marines, une société dont le capital est de 3000 euros. Elle a obtenu le permis en 2012, sans qu’il n’y ait jamais eu d’étude d’impact. De 2012 à 2020, ce projet a subi une succession de recours, d’irrégularités…
C’est-à-dire ?
Ailes Marines est arrivé second à l’appel d’offres, mais l’a finalement remporté. De 2012 à 2020, Ailes Marines a participé à toutes les festivités organisées dans les Côtes d’Armor. Pourquoi ? En regardant de près le dossier, on s’aperçoit que le raccordement au réseau va être payé par RTE (gestionnaire des lignes à haute tension — ndlr). Le prix de l’électricité sera de de 155 euros le mégawatt sur 20 ou 25 ans, par rapport au projet actuel qui donnait un prix de 44 euros le mégawatt. C’est-à-dire près de quatre fois plus que ce qu’Ailes Marines va recevoir pour réaliser cette opération. C’est complètement ahurissant.
Soit le prix du courant est de 44 euros, auquel cas ce qui est fait par Ailes Marines est une ponction extraordinaire sur le contribuable et sur le consommateur français. Soit le vrai prix est 155 euros, auquel cas on se demande pourquoi les décideurs sont en train de signer des programmes à 44 euros… Il y a une forme d’incohérence à signer des contrats à 155 euros hier et à 44 euros aujourd’hui. Il y a comme un trouble.
« Je ne comprends pas cette affaire. Plus je la regarde, moins je la comprends »
Sous-entendez-vous qu’il y ait pu avoir une forme de favoritisme vis-à-vis d’Ailes Marines ?
Je pose la question. Je demande à toute le monde de le faire. Je ne comprends pas cette affaire. Plus je la regarde, moins je la comprends. Alors, j’alerte les uns et les autres. Lorsque j’appelle les élus de mon département, qu’ils soient de gauche ou de droite, ils me disent tous que c’est ahurissant. Le seul argument qui m’est rétorqué est le suivant : la Bretagne n’est pas autonome en électricité. C’est absurde. Ce projet ne changera rien à l’autonomie de la Bretagne.
J’ai l’impression d’être devant un nouveau Plogoff (projet de centrale nucléaire situé à Plogoff et abandonné suite à une mobilisation populaire — ndlr). C’était le pire endroit pour une centrale, une imbécilité. Il ne fallait pas faire cette centrale à Plogoff, pas plus qu’il ne faut faire une ferme éolienne au Cap Fréhel ! Il y a des endroits sacrés : le Cap Fréhel, la Pointe du Raz… Ce projet est horrible pour l’âme bretonne.
Vous évoquez les nombreuses irrégularités qui émaillent ce projet. De quel ordre sont-elles ?
Il y a dix pages d’irrégularités. Pourquoi le second à l’appel d’offres a-t-il eu le contrat ? Pourquoi le Conseil d’Etat a dit que c’était irrégulier, que l’Etat était coupable et devait payer 2,5 millions à l’entreprise arrivée première ? Et pourquoi pas plus de 2,5 millions ? Pourquoi le contrat n’a-t-il pas été annulé ? Pourquoi l’Etat doit-il payer ? Ce projet est un tissu de choses incompréhensibles, sans commune mesure avec ce qui peut arriver sur d’autres projets éoliens, comme à Saint-Nazaire et à Fécamp. C’est un scandale absolu.
De nombreux opposants se font entendre. Plusieurs associations ont même porté un recours devant la cour européenne du Luxembourg…
Ces recours sont légitimes en raison de la différence colossale entre les deux contrats présentés. Étant donné que la France refuse de s’interroger, il faut bien que quelqu’un le fasse. Dans cette affaire, on cherche à forcer la main pour faire en sorte que ce soit irréversible, notamment en installant le plus rapidement possible le raccordement, avant que les travaux n’aient commencé. Ils envisagent d’effectuer ce raccordement en pleine saison du bulot et du homard, et ce alors que les pêcheurs n’ont pas pu travailler durant le confinement…
« Cela s’appelle de l’idéologie environnementale »
Quel sera le coût total ?
Cinq milliards. EDF paiera les 155 euros, puis ce sera au tour du contribuable et du consommateur. Il me semblait que compte tenu de l’état de l’économie française post Covid-19, nous étions à 5 milliards près. J’espère que le chef de l’État et l’ensemble du gouvernement sont à 5 milliards près, ainsi qu’Elisabeth Borne (ministre de la Transition écologique et solidaire — ndlr). Pourquoi engage-t-on une telle somme sans l’ombre d’une hésitation en pleine période de doute sur la capacité de l’économie française à rebondir ? Cette absence d’interrogation au sein du gouvernement, parmi les décideurs ou la presse est totalement ahurissante.
Vous exigez donc le retrait pur et simple du projet ?
Le retrait et une véritable expérimentation. Il est urgent de faire une réelle étude d’impact sur la faune et la flore marines. La baie de Saint-Brieuc possède la plus grande accumulation de coquilles Saint-Jacques d’Europe. Le Cap Fréhel, c’est un million de visiteurs par an ! En plus, on nous dit que ce projet est vitale pour des raisons environnementales… Cela s’appelle de l’idéologie environnementale. Même les associations environnementales sont contre, elles ont interpellé le président de la région (Loïg Chesnais-Girard — ndlr). Certains défendent plus la chauve-souris que la coquille Saint-Jacques. Je ne comprends pas.
Avez-vous bon espoir ?
Oui. La raison l’emporte toujours. Je ne mène pas des combats d’arrière-garde, je mène des combats pour gagner. Celui-ci doit être gagné, comme celui de Plogoff. Il faut abandonner ce projet le plus rapidement possible. D’autant plus que nous sommes dans une période économique difficile.
Iriez-vous jusqu’à parler de « lobby éolien » ?
Absolument. D’autres sont même allés été au-delà du mot « lobby ». En Italie, on ne parle pas de « lobby », on parle de « mafia ». Mais je ne veux pas utiliser des mots désagréables. N’oublions pas que pour Ailes Marines, la rentabilité de cette opération est considérable. C’est un pactole, une rente exceptionnelle et totalement imméritée. Si tout avait été envisagée avec des entreprises françaises, on aurait pu parler de relocalisation industrielle, mais ce n’est pas le cas ! Il y a d’un côté les élus locaux, et de l’autre le gouvernement et la région.
« Pour Ailes Marines, c’est une rente exceptionnelle et totalement imméritée »
N’est-ce pas un peu caricatural ?
C’est la réalité, et c’est dans la continuité du mouvement des Gilets jaunes. J’ai l’impression que le gouvernement et la région Bretagne sont complètement autistes. Ils continuent à réciter le catéchisme de l’éolien. Ils devraient arrêter.
A titre personnel, quel rôle jouez-vous auprès des opposants au projet ?
J’interviens en tant qu’industriel, et j’affirme que ce projet est absurde. Et le nombre de gens qui pensent la même chose est en train de s’accroître.
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