Salomon Hazot est un entrepreneur comme on n’en fait plus. Avec plus de 45 ans dans l’organisation de concerts dans tous les styles musicaux, en France, en Europe et même jusqu’en Inde, avec également un opéra et une comédie musicale : U2, Coldplay, Madonna, Red Hot Chili Peppers, Metallica, Bruno Mars, Lady Gaga, Bjork, Massive Attack, Eminem, Indochine, Ed Sheeran… bref, les plus grandes stars mondiales et la liste est encore très très longue…
Né en 1954 à Paris, il grandit à Champigny-sur-Marne et quitte très tôt les bancs de l’école avec une vie nocturne parisienne animée, notamment aux Halles. Et puis, à 16 ans, sur un coup de tête, il part à Amsterdam depuis la Gare du Nord. C’est son premier voyage, la fleur au fusil, sans trop comprendre ce qu’il se passait et n’écoutant que son cœur. Il est sûr d’une chose : ne plus vouloir rester « là ».
Sur place, il faut vivre. Alors, son premier contact musical se fait en vendant des affiches de concerts au marché aux puces d’Amsterdam où il assiste notamment aux concerts de Led Zeppelin, Pink Floyd pour ensuite vendre leurs affiches à la sortie.
Il rencontre et échange d’ailleurs avec Pink Floyd qui le repère et lui demande de vendre leurs propres affiches pour leur compte (et donc ne plus le faire à la sauvette). Ainsi, il obtient un pass sur toute la tournée de Pink Floyd. Il migre ensuite en Allemagne et travaille dans des centres commerciaux au sein de bases militaires américaines où il apprend l’anglais au contact des soldats.
Il continue de vendre des affiches depuis le coffre de sa voiture sur la tournée de Frank Zappa, jusqu’au moment où il se fait interdire toute commercialisation par l’entourage direct de l’artiste. C’est plus qu’une menace puisque son véhicule est mis à sac.
Il décide de prendre le large : il passe entre autres par la Scandinavie, le Népal, la Turquie, dans le désert de la mer Rouge, etc. Il a la chance de voyager énormément avec peu de moyens. Ces voyages interviennent très tôt et il part très loin. Il parcourt l’Europe de l’Est, l’Amérique Latine (le Brésil notamment), l’Asie (l’Inde principalement), le Moyen Orient, les États-Unis ainsi que les pays scandinaves. En auto-stop et en étant hébergé directement chez l’habitant, c’est la vraie vie qui le forme et modèle -consciemment ou inconsciemment- l’homme qu’il est en train de devenir.
Il profite au maximum des possibilités d’échanges, recevant des leçons et des initiations pouvant potentiellement changer radicalement le cours d’une destinée.
Cette soif de voyages, de rencontres, d’échanges, de discussions, d’observations et d’expériences humaines lui permet de pallier le fait d’avoir quitté l’école assez tôt et
son manque de lectures. La diversité et l’éventail de ces entrevues constituent une forme d’enrichissement puisque chaque personne porte en elle une philosophie, un point de vue, une histoire qui peut être intéressante à condition de lui donner l’opportunité de l’entendre et de l’écouter. Finalement, quand on parle à quelqu’un, on ne parle pas seulement à une personne, on parle également à une vie.
Il écoute, discute, débat, analyse
L’un de ses voyages les plus marquants est probablement celui qu’il a effectué entre 1973 et 1974 dans le désert d’Eilat, dans un kibboutz avec un groupe de « hippies ». Au sein de cette communauté, il devient hyper polyvalent : il cuisine, jardine, cueille des oranges, gère même le poulailler. Loin des complications et des faux problèmes des sociétés « modernes », il comprend qu’il n’a besoin de rien pour vivre. Un métier n’est pas une fin en soi. Son objectif personnel étant plutôt de s’enrichir avec ses expériences et du point de vue de ses interlocuteurs. Alors, il écoute, discute, débat, analyse et fait sienne les leçons que lui enseignent les « sages » qu’il croise.
Au-delà des échanges profonds, il apprend également la générosité et le partage en faisant un don (aussi modeste soit-il) monétaire ou alimentaire pour les plus nécessiteux. C’est une forme d’aumône (Sedaqqa). Il apprend donc l’art subtil de donner et la manière encore plus en nuances de recevoir.
Le bonheur n’est finalement constitué que de choses simples.
De retour en France, à Toulon, où il travaille sur les marchés en été et enchaîne les chantiers l’hiver pour faire tourner l’entreprise et générer un chiffre d’affaires (peintures, carrelages, travaux, etc.), complétant ses revenus avec des achats/reventes de véhicules vers l’Afrique.
Il entend parler de la vente d’un théâtre à la terrasse d’un café. Il contacte Gérard Michel (son associé issu du monde de la publicité) pour pouvoir justement acheter ce théâtre. Les débuts sont très difficiles, leurs compagnes respectives leur permettent d’assurer le minimum vital et, bien sûr, ils ne se versent aucun salaire pendant 3 ans.
Cette idée d’organiser des concerts germe à ce moment-là, avec l’échec du rachat de ce théâtre. Hors de question de procéder en province pour « infiltrer » le show business, il faut nécessairement opérer depuis Paris. Les deux associés, sans carnet d’adresses et sans aucune expérience, se demandent : « Mais comment les concerts s’organisent-ils ? »
En guise d’étude de marché, ils assistent à énormément de concerts pour en comprendre de l’intérieur les rouages et le fonctionnement véritable ainsi que l’intervention et les interactions des différentes parties prenantes. Ils participent également à beaucoup de soirées salsa et constatent l’existence d’une communauté brésilienne conséquente en région parisienne.
Garance Productions
Fin 1978, ils louent onze mètres carrés au 75, rue des Archives, sans chauffage, et passent toutes leurs journées au bar d’en face à réfléchir au prochain coup, ne recevant que quatre ou cinq appels téléphoniques en moyenne par jour. Avec Gérard Michel, il monte à ce moment-là la structure qui deviendra « Garance Productions ».
Fort de sa crédibilité acquise lors de ses multiples voyages et de son amour pour la musique brésilienne, le 9 juin 1979, il organise le premier festival de musiques brésiliennes « Brazil au Baltard », au Pavillon Baltard à Nogent-sur-Marne. Lui qui adorait passer ses soirées aux Halles dans sa prime jeunesse cherchait un lieu à la fois « magique » et porteur de sens et d’espoir pour se lancer. Les deux associés, encore abreuvés par cet esprit de liberté post-68 (principalement pour braver l’interdit), ne mettent pas de sécurité (trop péjoratif pour eux). Résultat des courses : les gens sont donc entrés sans payer et ont, en prime, pillé le bar.
Malgré toutes ses bonnes intentions, c’est effectivement un échec financier cuisant. La dette est très conséquente (par rapport à leurs moyens d’alors) pour cette première incursion dans l’événementiel musical. Le problème se pose : « Comment rembourser les créanciers ? » Avec l’idée, en plus, de rembourser pour quitter ce monde de « dingues » au plus vite où personne n’est vraiment sympathique : ni les techniciens, ni les artistes, encore moins les agents…
La solution à ce gouffre financier leur est soufflée par leur propre imprimeur en 1980 : Organiser des concerts de musique classique en louant des églises parisiennes. Il est vital et primordial pour un entrepreneur d’être rentable. Salomon Hazot devait donc avoir suffisamment de spectateurs. Il fallait absolument gagner de l’argent pour pouvoir effacer les dettes du flop précédent. Grâce à une bonne communication et à une programmation bien sentie, les concerts de musique classique affichent complets. Il a trouvé un filon – plutôt porteur – et enchaîne un maximum de concerts de musique classique.
En parallèle, il s’introduit dans le monde des maisons de disques (notamment via Jean Pierre Weller chez Phillips-Phonogram qui deviendra par la suite Universal) pour renforcer son réseau et constate un manque criant d’organisation notamment dans des courants tels que le Jazz, le Blues et le Reggae. Et comme la nature a horreur du vide, il occupe naturellement ce créneau pour pouvoir y aiguiser ses compétences, son catalogue, son savoir en attendant de viser encore plus haut.
Sa prochaine opportunité arrive sous forme de « bleu de travail », par l’intermédiaire de Simone Ginibre (la plus importante organisatrice privée de France à cette époque et qui est la créatrice de « la grande parade du Jazz » à Nice). Grâce à elle, il a la chance et la possibilité de produire le retour (inespéré à cause d’une grave maladie) de Miles Davis sur scène. Ce qui constitue en soi à la fois un événement historique et inoubliable pour son public et pour Salomon Hazot.
Un succès n’arrivant jamais seul, il embraye avec Jimmy Cliff à Paris (Hippodrome de Pantin avant le Zénith) et il investit dans la publicité radiophonique (France Inter, Europe 1 et RTL qui était alors plus « Rock »). Grâce à Jimmy Cliff, il obtient une caution « reggae ». Petit à petit, concert après concert, il se professionnalise et devient un vrai tourneur.
Règles immuables
Sans business plan spécifique, hyper intuitif, il part sur des bases très élémentaires en répondant à des questions basiques : Combien demande l’artiste ? Combien peut-il attirer de personnes ? Est-ce rentable pour nous ? Peut-on supporter les coûts ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Quels risques suis-je prêt à prendre avec « mon » argent ? Dans quelle mesure puis-je mettre en péril l’entreprise ?
Salomon Hazot et son associé rêvent, mais ils mettent aussi leurs rêves en pratique. Ils peuvent prendre exemple sur la concurrence, mais ils adaptent toujours chaque stratégie en fonction de leurs expériences et aspirations. C’est ainsi qu’ils parviennent à générer une proposition de valeur unique sur le marché. Salomon Hazot, fort de l’éthique forgée lors de ses voyages, observe des règles immuables :
Ne jamais se prendre pour la star : le producteur organise, met en place la logistique, finance et surtout, doit rentabiliser le concert.
Savoir rester à sa place : dans les métiers artistiques, la guerre des égos ne connaît aucune trêve et c’est souvent la loi du plus fort qui prévaut.
Toujours bien peser ses mots : cela permet de se bâtir un solide réseau professionnel et de maintenir des relations de qualité.
Être suffisamment « séduisant » et attractif pour donner envie à des partenaires actuels et/ou potentiels de vouloir travailler ensemble.
Penser à pondérer les choses : développer une méthodologie, une expertise, tout en respectant très strictement le cahier des charges et en restant le plus proche possible de la vérité.
Ne jamais s’enflammer, ni trop s’enthousiasmer : son associé le ramène toujours à la réalité, en lui rappelant qu’il y a toujours un nouveau combat à mener.
Soigner sa réputation : l’image de marque est centrale pour réussir, surtout dans le domaine musical où tout le monde se connaît.
Bien comprendre qu’on ne communique jamais assez : la distribution de tracts, l’affichage, la promotion, les médias, les réseaux sociaux sont tous hautement stratégiques pour la réussite d’un concert.
Penser à partager la « valeur » avec ses collaborateurs les plus proches : en les payant bien et en leur donnant des parts de l’entreprise pour les motiver et les impliquer au maximum.
Manager les salariés en les respectant pour tout le travail effectué et en les encourageant à prendre du plaisir dans leur travail. Salomon Hazot les invite également à devenir polyvalents pour monter en compétences.
C’est en suivant ces principes que Salomon Hazot et son associé ont réussi à faire de Garance Productions une référence incontournable dans le monde de la production musicale.
Salomon Hazot a réussi à se positionner stratégiquement dans l’industrie musicale en restant fidèle à une mission claire : organiser des spectacles qui répondent aux attentes du public, offrir des souvenirs marquants et des expériences émotionnelles.
Red Hot Chili Peppers, David Bowie, Patti Smith, Robbie Williams
Acquérant des lieux emblématiques comme le Rex Club et l’Eldorado, et plus tard l’Élysée Montmartre, il a créé des espaces pour des artistes de renommée internationale pour se produire, contribuant à la scène musicale vivante de Paris. Les artistes qui se sont produits dans ces salles incluent les Red Hot Chili Peppers, David Bowie, Patti Smith, Robbie Williams, et le duo de hip-hop français, Lunatic, contribuant à la richesse du patrimoine musical de ces lieux.
En 1997, Salomon Hazot a lancé le festival Rock à Paris, bien que le festival ait connu des difficultés financières et n’ait pas été renouvelé en raison de la Coupe du Monde 1998 et des changements de stratégie de Canal Plus. Cependant, Salomon n’a pas abandonné l’idée d’un festival. En 2003, en collaboration avec Doudou de Radical et François Mussionier, il a lancé Rock en Seine, qui est devenu un festival rock de référence en France.
Après 25 ans de collaboration avec Gérard Michel, Salomon Hazot a quitté Garance Productions et l’Élysée Montmartre. En 2008, avec Doudou et Pierre Yves Denisot, ils ont fondé Nous Productions. Salomon Hazot a apporté son catalogue d’artistes, Pierre Yves Denisot a apporté sa crédibilité financière, et Doudou a reçu des parts de Nous Prod. Cette collaboration a abouti à une aventure incroyable avec des concerts réussis et c’est plus qu’un rebond, c’est une vraie réussite.
À tel point que Warner, avec Jean-Claude Camus (pour la partie française), décide de racheter des entreprises dans l’événementiel sous l’impulsion de Thierry Chassagne (patron de Warner) qui respectera toujours ses deals. Ce rachat par Warner fera de Salomon Hazot un homme riche.
Mutation de l’industrie musicale
Mais la mutation et la révolution de l’industrie musicale sont déjà là, en germe. Il ne s’agit pas de streaming puisqu’au même moment Live Nation rachète les plus gros organisateurs de concerts pour chaque pays. Il entre en tractation avec Live Nation en 2016, incorpore la multinationale avec ses quatorze employés et fort d’un catalogue de plus de cent artistes. Thierry Chassagne accepte de se séparer de Nous Prod vu la tendance de fond du marché (concentration), il savait qu’il ne pouvait pas les retenir indéfiniment. Salomon Hazot se fait donc enrôler et participe à crédibiliser Live Nation en France.
Il est débauché par John Reed (Président de Live Nation Europe) qui disrupte le marché mondial et crée un monopole sous l’impulsion de Michael Rapino qui a su convaincre les plus grands managers, les plus grands agents et les artistes les plus en vue de le rejoindre pour former ce conglomérat en rachetant les producteurs avec tous leurs catalogues. Avec un nouveau business, où les marges de Live Nation se font -principalement- sur la billetterie (avec l’intégration et le rachat de Ticketmaster) et les ventes additionnelles -t-shirts, goodies, etc. – et non plus sur le concert en tant que tel. Bien que les prix des places ont explosé depuis quelques temps.
Pensant qu’il pouvait imposer le respect de rentabilité mais avec l’adaptation du modèle du pays, ce qui n’est pas le cas de Live Nation selon Salomon Hazot qui perd des artistes au profit de ces nouveaux géants cotés en Bourse qui agissent comme de véritables rouleaux compresseurs.
À partir de mai 2018, il reste un an de plus pour préparer son départ. Il est alors sollicité par Bolloré.
En 2021, il rejoint Olympia Productions. Il a à faire à des hommes d’affaires, mais pas avec des producteurs qui ne disposent pas de ce savoir-faire. Puisque c’est un métier relationnel, d’envie et d’amour de la musique, et cela nécessite également d’avoir suffisamment de confiance en l’artiste. Il faut aussi savoir déléguer. Départ en septembre 2022, clash total pour Olympia Productions.
Arnaud Mersmann d’AEG lui propose de rejoindre le groupe. Il souhaite continuer avec des Anglo-Saxons et crée un joint-venture avec sa structure SALONI (contraction des prénoms de ses deux enfants, Salomé et Nino).
C’est un deal où Salomon Hazot apporte des artistes (comme les Pixies ou Ed Sheeran par exemple) et produit sous la licence AEG avec un deal avec eux où ils se partagent les résultats financiers.
Queen of the Stone Edge, Black Eyed Peas, Robbie Williams, Bruno Mars, David Guetta. Parcours improbable du petit titi parisien qui fait ce métier par accident.
Le business musical a muté. Il s’associe avec AEG, l’autre mastodonte dans l’événementiel, répond à la stratégie de Live Nation en misant massivement sur les salles (comme : Bercy, O2 à Londres, Staples Center à Los Angeles, etc.) puisque celles-ci génèrent plus de bénéfices que les producteurs ou que les artistes.
Festivals
Tout n’étant qu’une question de pouvoir, Salomon Hazot le sait et l’affirme : « Si tu n’existes pas auprès de la personne auprès de qui on va solliciter un groupe, tu dégages ; »
Le pouvoir dans ce business (Salle Rex Club (Grand Rex) / El Dorado (devenu le Comédia aujourd’hui) / Elysée Montmartre), c’est d’abord la salle.
Le second pouvoir dans ce business, c’est d’organiser des festivals (avec par exemple le festival Aden, Garance Reggae Festival / Avec la Carte Jeune à l’Elysée Montmartre avec des concerts gratuits / Rock en Seine) : « Tu veux jouer dans mon festival, il faut que j’organise tes concerts. Je n’ai pas de remords à récupérer les artistes à d’autres producteurs. J’étais impitoyable (c’était le moment qui voulait ça). Tout en voulant être moins cher que Gérard Drouot. »
Créer du pouvoir. Demeurer vigilant. Rester attrayant. Avec toujours l’envie de rester créatif en inventant de nouveaux festivals.
Rock en Seine qu’il a créé sera revendu à Matthieu Pigasse qui le cédera par la suite à AEG.
Quelle suite pour Salomon Hazot ? Seul lui le sait. Quoi qu’il en soit, il continue son bonhomme de chemin de retour d’un voyage éclair à Las Vegas et à Los Angeles pour rencontrer des agents, des artistes et des promoteurs. Insatiable, il prépare déjà activement les concerts pour l’été 2025 et réfléchit à 2026. Jamais rassasié, toujours aux aguets avec cette furieuse appétence de créer des événements qui n’ont pas fini de nous émerveiller. Après tout, Paris est une fête. Show must go on…
Bassem Mejri