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La nouvelle vie du Slip Français


Lancée en 2011 par Guillaume Gibault, la PME française est parvenue à imposer ses sous-vêtements « made in France ». Dans un secteur frappé de plein fouet par les délocalisations, Le Slip Français affiche une croissance insolente (13 M€ de CA en 2017) et des perspectives florissantes. Afin d’accélérer son développement et atteindre une stature industrielle, l’ex start-up mise sur l’automatisation de ses processus de production.

Entreprendre - La nouvelle vie du Slip Français

Lancée en 2011 par Guillaume Gibault, la PME française est parvenue à imposer ses sous-vêtements « made in France ». Dans un secteur frappé de plein fouet par les délocalisations, Le Slip Français affiche une croissance insolente (13 M€ de CA en 2017) et des perspectives florissantes. Afin d’accélérer son développement et atteindre une stature industrielle, l’ex start-up mise sur l’automatisation de ses processus de production.

« On sort de la phase start-up, on devient une véritable entreprise industrielle », s’enthousiasme Guillaume Gibault (32 ans), fondateur du Slip Français. En l’espace de 6 ans, la PME parisienne, qui a redonné ses lettres de noblesse au slip « made in France » – toutes les matières premières et toutes les étapes de confection sont réalisées dans l’Hexagone -, est passée du statut de start-up clin d’œil à celui d’acteur majeur du secteur textile.

Comptant désormais 70 salariés, le Slip Français doit sa réussite à quatre facteurs : des produits de qualité, la touche « made in France », une approche digitale et l’essor du e-commerce. Avec 260 000 pièces commercialisées en 2017 (des slips aux espadrilles en passant par les t-shirt ou les boules de pétanque), Le Slip Français a atteint un seuil critique. A ce titre, l’année 2017 représente un nouveau tournant majeur pour la marque tricolore. Ce futur changement d’échelle repose sur la mise en place de nouveaux modes de production.

En mars dernier, le projet du Slip Français a été sélectionné par le Réseau innovation immatérielle pour l’industrie (R3iLab), soutenu par l’Etat. Cet écosystème, qui vise à promouvoir l’innovation au sein des PME du textile, va accompagner la première phase d’industrialisation de la marque tricolore et y contribuer à hauteur de 10 000 euros.

Si la phase initiale du calendrier s’étale sur 18 mois, les premières retombées n’interviendront que dans quelques années. « 18 mois, c’est très ambitieux, précise Guillaume Gibault. C’est un process à horizon 5-6 ans, nous n’en sommes qu’au tout début. C’est la raison pour laquelle on enclenche ce processus dès maintenant, alors que Le Slip Français est encore petit. Dans 3 ans, lorsque cela deviendra vraiment stratégique, nous aurons déjà bien réfléchi à la question en amont. »

La première phase de l’amélioration de l’outil de production du Slip Français consiste à cibler les procédés à améliorer et les innovations à mettre en œuvre. Dans l’optique de démultiplier les capacités de production. « Ce projet consiste à améliorer quelque chose qui fonctionne déjà, souligne Guillaume Gibault, et pas à résoudre un problème majeur qui bloquerait notre avancée. »

La première piste concrète qui sera défrichée dans le cadre du R3iLab vise à importer le tricotage circulaire, aujourd’hui utilisé dans la fabrication des chaussettes – ce type de robot tricote la chaussette sur la hauteur d’un seul tenant. L’idée de Guillaume Gibault ? Appliquer cette méthode aux sous-vêtements pour produire plus vite. Appelé « sans couture » (« seamless », en anglais), le second processus à l’étude vise à réduire au maximum le nombre d’opérations. « La question qui se pose à nous est la suivante : comment avec ces deux techniques fabriquer des pièces qui soient le plus proche de nos produits actuels ? »

Le Slip Français a déjà établi des contacts avec de futurs partenaires industriels pour anticiper l’achat de robots. « En parallèle, on travaille main dans la main avec nos fabricants historiques. Ils sont très curieux et voient bien les implications à moyen terme si on parvenait à fabriquer de grandes séries. » Car le catalogue du Slip Français présente un avantage déterminant : il comporte peu de modèles différents, lesquels sont réalisés en séries importantes. Un écosystème qui se révèle facilement « industrialisable ».

Robotiser pour relocaliser la production

Pour une marque qui fut dès son lancement investie d’une mission d’ordre sociétale, la question de la robotisation n’est pas neutre. Arrière-petit-fils de Léon Flam, fondateur de la marque de maroquinerie haut de gamme éponyme, Guillaume Gibault en appelle à la spécificité du secteur : le textile a tellement subi les affres de la délocalisation depuis 30 ans (la production a encore reculé de 7 % entre 2010 et 2016) que l’automatisation, si décriée dans d’autres secteurs, se mue en levier de relocalisation.

Le fondateur du Slip Français avance un chiffre pour justifier ce pied de nez aux croyances actuelles sur l’automatisation : sur les 100 millions de sous-vêtements pour hommes consommés chaque année en France, seuls 5 millions sont effectivement fabriqués en France. C’est dans les interstices de ce déséquilibre colossal que compte s’engouffrer la PME parisienne. « Demain, avance Guillaume Gibault, si des machines sont capables de fabriquer trois fois plus vite pour deux fois moins cher, le secteur va récupérer du volume de production. Au vu du déséquilibre actuel, ce processus ne détruira pas d’emplois dans les usines. Au contraire, il va augmenter le nombre d’usines de production. »

Selon ce schéma vertueux, l’ancien tissu industriel, encore actif et efficace (13,2 milliards d’euros de CA en 2016), sera renforcé par l’arrivée de nouvelles usines qui rapatrieront les commandes en France. Dans le textile, le déséquilibre serait tel aujourd’hui, selon Guillaume Gibault, que le risque serait donc « quasi nul » de voir la robotisation entraîner une nouvelle salve de destructions d’emplois. « A court terme, pour des industries brassant de gros volumes, l’automatisation (même volume de production mais avec moins de personnes) tuera des emplois. Mais dans le textile, avant qu’on arrive à ne plus avoir besoin de salariés pour faire un volume stable de commandes, il s’écoulera du temps. »

Une relation de proximité avec les PME du textile

Cette perspective de relocalisation est accueillie avec un certain engouement par tout ce que le tissu industriel du textile compte de PME. Elles sont aujourd’hui une trentaine à profiter de l’essor du Slip Français qui ambitionne de commercialiser entre 350 000 et 400 000 pièces en 2018. « En comptant nos principaux sous-traitants, cela représente 97 emplois à temps plein », précise Guillaume Gibault qui envisage, de son côté, de recruter une vingtaine de collaborateurs supplémentaires pour accompagner cette croissance.

Dès l’origine, la start-up parisienne a construit son écosystème autour d’une relation de proximité avec des PME du textile. Début 2011, alors que l’idée de vendre des slips « made in France » vient tout juste de naître dans l’esprit de Guillaume Gibault, ce dernier cherche un outil de production pour ses produits. Il fera confectionner ses 600 premiers slips – qu’il ramènera à Paris dans le coffre d’une Picasso rouge de location – à l’usine Moulin Neuf Textiles, en Dordogne.

Si les slips du catalogue actuel sont désormais confectionnés dans l’usine Lemahieu (les commandes du Slip Français représentent 20 % de la marchandise produite par la PME), à côté de Lille, la recherche d’un savoir-faire est toujours le dénominateur commun. « Le tri entre nos fournisseurs se fait naturellement, glisse Guillaume Gibault. Nous cherchons des gens sérieux qui connaissent leur métier, sont capables de se projeter dans l’avenir, d’aller de l’avant et de proposer des idées. La qualité première reste la capacité à innover, à inventer. Il faut aussi savoir écouter les contraintes industrielles et comprendre les besoins de la marque. Mais c’est généralement le cas avec les entreprises encore en place : ceux qui ont survécu ont dû faire preuve d’ingéniosité pour trouver des solutions. »

Si aujourd’hui, Le Slip Français est perçu comme un levier de développement pour le secteur, il n’en a pas toujours été ainsi. Durant ses premiers mois d’existence, la jeune marque de sous-vêtements intrigue. « C’est un secteur très frileux car sinistré, rappelle Guillaume Gibault. Les gens ont vécu des moments très difficiles. Je les comprends. »

Dans le petit milieu du textile, le premier contact fut d’abord assez froid. Dans un secteur écrasé par 30 ans de délocalisation, la frilosité s’immisce partout. Une entreprise aussi jeune qui prétend vouloir « réinventer le secteur » suscite donc méfiance et interrogation.

Durant les premiers mois, Guillaume Gibault a dû prêcher la bonne parole pour convaincre les acteurs de la filière de bien vouloir prendre en charge la réalisation de ses modèles. Ça, c’était avant. « Maintenant, raconte ce diplômé de HEC, le téléphone sonne pour nous proposer de nouvelles idées et de nouvelles productions ! Les gens sont contents de travailler avec nous : on est sérieux, on tient nos engagements et nos plans de croissance. Ils nous expliquent qu’on leur redonne le moral, qu’on leur garantit des emplois et des commandes. Notre action participe d’un effet très vertueux dans le secteur. On joue le jeu, et eux aussi. »

Les acteurs historiques reprennent confiance, le dynamisme et l’investissement reprennent du poil de la bête. Dans ce secteur moribond, confronté à la concurrence asiatique et en proie à des surcapacités industrielles, ce cercle vertueux est déjà en soi un petit miracle. A son échelle, le Slip Français tire tout un secteur vers le haut.

50 M€ de chiffre d’affaires dans 5 ans ?

Doublant de taille tous les ans (1,5 M€ de CA en 2014, 3,7 M€ 2015 et 8 M€ en 2016), Le Slip Français apprend à digérer cette croissance frénétique. « Former les équipes, intégrer de nouvelles ressources, se déployer en France et à l’étranger : cette croissance implique beaucoup d’enjeux. » D’ici 4-5 ans, la marque parisienne se fixe un objectif de 50 M€ de chiffre d’affaires. Avec une ambition chevillée au corps : être le premier modèle de marque textile engagée avec une production locale.

« On souhaite renverser la façon dont fonctionne ce secteur jusqu’à présent : au lieu de fabriquer trois fois moins cher à l’autre bout du monde des produits qu’on ne vend pas ou seulement en soldes, on vend au prix juste des produits conçus au niveau local avec des procédés aussi respectueux que possible de l’environnement. Voici ma définition d’une marque engagée. » Une marque qui n’hésite pas à aborder frontalement la question des marges. Entre le prix sortie d’usine et le prix public, Le Slip Français qui réalise 70 % de ses ventes sur son site affiche des coefficients compris entre 3 et 3,5, « là où l’ensemble des marques de mode bossent à 6, quand ce n’est pas 7 ou 8 », soutient Guillaume Gibault. Avec des marges deux fois inférieures aux autres acteurs de l’industrie textile, la PME fondée en 2011 est obligée de miser sur son agilité.

Cette volonté de se distinguer des pratiques des acteurs traditionnels du secteur fait partie de la stratégie de l’entrepreneur. En misant sur des produits de qualité fabriqués en France et sur des campagnes virales sur les réseaux sociaux, Le Slip Français est devenu une sorte de modèle qui joue à fond sur sa dimension sociétale, avec le « made in France » en toile de fond.

« L’enjeu, c’est d’expliquer la chaîne de valeur et le vrai prix des produits. Les clients sont réceptifs. L’exemple du lait équitable « C’est qui le patron ? » est frappant. Lorsqu’ils sont impliqués et mis au courant des réalités du secteur, les consommateurs se rendent compte qu’ils ont un rôle à jouer. C’est l’une de nos forces pour l’avenir. Mais aussi une exigence, qui nous indique la direction à prendre, la bonne manière de travailler et de mettre au point les produits. »

A l’heure où la défiance à l’égard des grandes marques s’accentue – 56 % des Français ont une opinion négative des acteurs traditionnels, selon une étude du cabinet AT Kearney -, Le Slip Français se trouve du bon côté de l’histoire. Comme en témoigne ce classement réalisé par le site e-RSE (septembre 2017) : la marque de sous-vêtement est arrivée en tête du classement des entreprises qui inspirent le plus confiance aux Français. « C’est incroyable, concède Guillaume Gibault. Cela prouve d’une part qu’on fait bien le boulot ; et, a contrario, à quel point les autres ne le font pas bien. »

Après avoir construit une marque forte en France (la 5ème boutique a été ouverte en août dernier de Toulouse), le Slip Français court désormais vers un nouvel enjeu « naturel » : son déploiement à l’international. Fabriquer des slips en France et les vendre à l’étranger, notamment dans des pays où la marque est déjà présente (Angleterre, Allemagne et Japon).

D’où l’entrée au capital fin 2016 du fonds d’investissement Experienced Capital, fondé par les anciens patrons de Sandro et Maje et spécialisé dans les start-up de la mode. Avec l’entame de son industrialisation et l’export en ligne de mire, la PME parisienne s’apprête à entrer dans une nouvelle ère. « Ces perspectives nous invitent à nous projeter dans l’avenir. D’ici 4-5 ans, où en serons-nous en termes de marketing, de marque, d’outil de production ? » Cette partie de l’histoire reste encore à écrire.

[FIN][FIN] Un CA en forte croissance

2011 : 40 000 €

2012 : 282 000 €

2013 : 900 000 €

2014 : 1,5 M€

2015 : 3,7 M€

2016 : 8 M€

2017 : 13 M€

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