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Smart Immune, l’alternative aux chimiothérapies


Il ne faut jamais dire jamais. À l’âge de treize ans, Karine Rossignol est atteinte d’une maladie grave qui peut sérieusement entraver son avenir. Aujourd’hui, cette HEC, docteure en pharmacie, a cofondé Smart Immune pour lutter contre le cancer.

Karine Rossignol

Parfois, tout ne démarre pas comme il le faudrait. À peine adolescente, on diagnostique une maladie auto-immune à la jeune Karine Rossignol. Hospitalisée pendant un an à l’hôpital Necker à Paris, traitée durant des années, elle fera mentir les prédictions pessimistes qui avaient été émises. Docteure en pharmacie, elle décide de s’orienter vers un master HEC.

Sa vie professionnelle commence comme chef de groupe chez Guerlain, et elle devient mère de trois filles. La vie se poursuit, l’envie de lancer son entreprise est déjà ancrée, mais les circonstances ne s’y prêtent pas forcément. Son travail la mène donc chez L’Oréal, puis chez Chanel lorsqu’elle décide de revoir le professeur Claude Griscelli qui l’avait soignée, ex-directeur général de l’Inserm.

Karine Rossignol nous confie : « Il m’a donné l’énergie pour me battre, m’a suivie jusqu’à 26 ans, une sorte de père putatif auprès de qui trouver conseil. J’ai travaillé six mois comme bénévole avant de pouvoir disposer d’un poste au sein du projet « Imagine », Institut des maladies génétiques, dans lequel étaient aussi impliqués Alain Fischer et Marina Cavazzana, initiateurs en matière de thérapie génique chez les enfants bulles ».

Retour vers le médical

Voici Karine au poste de cosecrétaire générale de l’aventure Imagine. Le Pr Griscelli n’aura pas à regretter d’avoir cette recrue à son bord, cette battante, qui ne renonce jamais, parvient à lever de 2006 à 2016 quelque 183 millions d’euros pour créer et faire rayonner l’Institut. Tout se passe au mieux lorsque deux de ses collègues et amies, le docteur Isabelle André et la professeure Marina Cavazzana, la contactent pour lui proposer un nouveau défi. Il s’agit d’exploiter les résultats de leurs travaux qui ont abouti à un dépôt de brevet sur la technologie ProTcell (Progéniteurs de lymphocytes T).

Isabelle André est directrice de recherche, et connue dans le monde entier pour la qualité de ses travaux sur la différenciation des lymphocytes T. Elle forme un duo très complémentaire avec Marina Cavazzana. Pédiatre hématologue à Necker, cette dernière a reçu plusieurs récompenses pour ses travaux, dont le prix Irène Joliot Curie 2012 de « Femme scientifique de l’année » et le prix Ernest Beutler par l’American Society of Hematology.

Thérapies cellulaires

L’objectif est posé : créer une nouvelle offre de thérapies cellulaires permettant de redonner un système immunitaire pleinement fonctionnel aux victimes du cancer ou d’infections graves. Dans le futur, ces travaux peuvent aider à rendre plus efficace l’immunothérapie en évitant au maximum la chimiothérapie, parfois difficilement supportable. Karine Rossignol a dû à nouveau lutter contre la maladie avec un cancer du sein il y a plus de dix ans et connaît parfaitement l’autre côté du miroir.

Le VIH est également en ligne de mire, la fondation Bill et Melinda Gates a en effet investi cinq millions de dollars dans la startup notamment afin de trouver une solution en supprimant la protéine qui permet au virus de contaminer les cellules. Il est remarquable que cette Fondation ait décidé d’entrer au capital de la startup, au lieu de procéder via une subvention pure et simple comme cela est souvent le cas. Preuve en est de son engagement dans le temps.

Deux mois au lieu de 18 !

Sans entrer dans les détails, la technologie brevetée permet de produire des cellules ProTcell à partir des cellules souches du sang d’un donneur sain. Ces ProTcell, une fois injectées dans l’organisme, migrent vers le thymus du patient et deviennent des globules blancs d’élite, les lymphocytes T. Naturellement, notre organisme a besoin de dix-huit mois pour parvenir à ce résultat. La technologie de Smart Immune permet de le faire en environ deux mois. Sept jours seulement pour la production en laboratoire des ProTcell qui seront injectées dans le sang du patient.

Le thymus est ensuite capable de les sélectionner, de les éduquer pour les transformer en de nombreux globules blancs sains et fonctionnels capables d’aller sur le terrain remplir leur tâche : reconnaître et éliminer les cellules malignes ou infectées. Cet entraînement dans le propre thymus du patient fait toute la différence.

Karine Rossignol explique : « Nous avons tous des cellules cancéreuses, même les bébés, mais elles sont détruites par nos lymphocytes T. Avec l’âge, le combat est plus difficile. Nos globules-soldats sont capables de reconnaître 200 millions d’ennemis différents chez un sujet jeune, et de moins en moins en vieillissant. Notre traitement vise à redonner un système immunitaire fonctionnel chez les patients qui en ont un besoin vital. À l’avenir, il est probable que la régénération du thymus qui découle de notre thérapie aura des effets à étudier. En maintenant une bonne immunité, on agit sur l’inflammation chronique du vieillissement, qui provoque aussi Alzheimer ou Parkinson ».

Essais cliniques en bonne voie

Smart Immune a débuté en septembre un essai clinique sur des malades atteints de leucémies aiguës grâce à l’investissement de la Fondation Bill et Melinda Gates. La phase I est en cours de finalisation, avec injection de la dernière dose chez les patients. La bonne dose a pu être évaluée, sans effet adverse, pour des résultats complets de phase II attendus fin 2025. Il s’agit d’influencer la durée ET la qualité de vie des patients.

Autre bonne nouvelle, le Conseil Européen de l’Innovation va contribuer à hauteur de quinze millions d’euros au développement de la startup afin de poursuivre et accélérer les essais cliniques. Une subvention de 2,5 millions a déjà été accordée pour développer le médicament chez les patients nés avec un système immunitaire déficient.

Course contre la montre

La phase suivante est de créer des banques de cellules prêtes à l’emploi. La production de cellules cryopréservées dans une vingtaine de biobanques diviserait les coûts de fabrication par dix. Karine Rossignol explique : « Nous allons monter un partenariat dans le cadre de France 2030, dont la finalité est de construire une filière de bioproduction en France, ce qui est essentiel pour notre souveraineté. Force est pourtant de constater que les fonds français sont frileux par rapport aux fonds américains ».

Marina Cavazzana a co-inventé une thérapie génique pour guérir une maladie génétique du sang qui est aujourd’hui commercialisée par le laboratoire américain Bluebird Bio à prix d’or, 2,8 millions de dollars l’injection. Déverrouiller le prix de ces nouveaux médicaments et traitements est une question prioritaire. Pour y parvenir, il faut passer d’une fabrication sur mesure à une fabrication prêt-à-porter, du faubourg Saint-Honoré à Zara.

Pour aller plus loin et plus vite, les investisseurs institutionnels doivent s’engager. Le Conseil Européen a donné le la, bien des millions sont encore nécessaires pour aller au bout de l’espérance. Karine Rossignol précise : « Nous sommes dans la dernière ligne droite d’une levée de fonds en série A, nous avons réuni 75 % du montant et pensons conclure cet automne ».

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