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Smart nations : miser sur l’intelligence plutôt que sur les ressources naturelles


Alors que l’exploitation à outrance des ressources naturelles n’est plus susceptible de représenter un modèle durable de développement économique et humain, de plus en plus de pays et de villes se convertissent à un nouveau paradigme fondé sur l’intelligence humaine et l’innovation. Ainsi, par exemple, du Rwanda, de Singapour ou...

Singapour est l'une de ces "smart nations" qui misent sur l'intelligence et l'innovation

Alors que l’exploitation à outrance des ressources naturelles n’est plus susceptible de représenter un modèle durable de développement économique et humain, de plus en plus de pays et de villes se convertissent à un nouveau paradigme fondé sur l’intelligence humaine et l’innovation. Ainsi, par exemple, du Rwanda, de Singapour ou de l’Arménie, qui ambitionnent de mettre leurs pas dans ceux de la Californie, véritable « smart state » avant l’heure.

L’adage est connu : il ne saurait y avoir de croissance infinie sur une planète, par essence, finie – ou, plus précisément, dont les ressources sont limitées. « Depuis les années 1970, la population mondiale a doublé et le PIB mondial a quadruplé », écrivent ainsi les spécialistes du groupe international d’experts sur les ressources (IRP) du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), selon qui « ces tendances ont nécessité de grandes quantités de ressources naturelles pour alimenter le développement économique (…). Cependant, ces gains ont eu un coût énorme pour notre environnement naturel, affectant (…) le bien-être humain et exacerbant les inégalités à l’intérieur et entre les pays ». Intenable à long terme, ce modèle de développement pourrait bien imposer à l’humanité d’aller chercher de nouvelles ressources… dans l’espace – une quête dispendieuse, à laquelle bien peu de pays pourraient sérieusement s’adonner.

Arménie, Singapour, Rwanda : ces smart nations qui misent sur l’intelligence et l’innovation

Si les ressources naturelles sont limitées, ce n’est, en revanche, pas le cas d’autres richesses plus immatérielles, comme l’intelligence et l’imagination. Des ressources sur lesquelles misent, justement, les « smart nations », ces petits pays dépourvus de matières premières mais qui tirent bien mieux leur épingle du jeu que certains de leurs grands rivaux, pourtant assis sur des montagnes de ressources naturelles. Disposant de réserves en gaz et en pétrole parmi les plus vastes au monde, l’Iran pointe, ainsi, à la 70e place dans le classement de l’indice de développement humain (IDH) ; à l’inverse, Hong Kong et Singapour, véritables « nains » en termes d’espace et de ressources disponibles, décrochent respectivement d’enviables 4e et 12e places au classement IDH – et ce depuis de nombreuses années. Preuve que l’équation ressources naturelles = richesse n’est pas, ou plus, nécessairement pertinente.

Ces smart nations, selon le concept théorisé par l’ex-président arménien Armen Sarkissian, sont des pays qui ont, le plus souvent, misé sur le capital humain pour se développer. A l’image des États membres du Club of Small and Smart, ces pays qui, comme le Luxembourg, le Qatar, les Émirats arabes unis et bien d’autres encore, ont intégré que leur richesse future ne gisait pas seulement dans leur sous-sol. Ainsi du Rwanda qui, avec son Smart City Masterplan, entend passer d’une économie principalement tournée vers l’agriculture à une société fondée sur l’intelligence et les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). L’opportunité, pour les autorités rwandaises, de faire des villes du pays des cités plus efficientes, plus compétitives et plus innovantes.

Présent lors de l’édition 2019 du Forum de Doha, Armen Sarkissian avait saisi l’occasion de revenir sur la notion de smart nations : « Les superpuissances ne sont pas les seules à posséder une « voix puissante », c’est également le cas des petits pays prospères. Je suis heureux que cette idée simple soit transmise ici, à Doha. Le Qatar est l’exemple parfait d’un petit pays, qui est non seulement beau mais aussi prospère. Il y a beaucoup d’autres pays (…) qui réussissent tout aussi bien. Parmi eux, Singapour a une grande influence dans le concert des Nations. Un autre est le Rwanda dont le président est présent au Forum. Ce sont de petits pays mais ils ont une vision précise, connaissent exactement leurs atouts et en font un succès. D’autres pays, comme le Qatar, non seulement utilisent les ressources naturelles, mais les emploient pour construire l’avenir. Cet avenir ne reposera pas sur les ressources naturelles mais sur l’éducation, l’intelligence artificielle, la création de nouvelles données et les technologies. »

Un chemin également emprunté par l’Arménie, pays du Caucase où Armen Sarkissian, physicien et mathématicien de formation, a initié un ambitieux programme visant à développer les sciences et les technologies. Baptisée ATOM (« Advance Tomorrow »), l’initiative entend attirer dans le pays les meilleures entreprises informatiques du monde afin d’y développer l’intelligence artificielle (IA), la modélisation mathématique ou encore les capacités d’apprentissage automatique. Une quinzaine de grands groupes technologiques ont répondu présents, parmi lesquels IBM, Siemens, Dassault ou Thales. « ATOM est une plateforme (…) qui vise à apporter en Arménie ce qu’il y a de meilleur dans le monde », a déclaré Armen Sarkissian, « à créer dans notre pays une culture au sein de laquelle la science, les technologies et l’industrie (…) sont étroitement liées ». L’actuelle administration, dépourvue de dirigeants jouissant d’une formation scientifique de haut-niveau, saura-t-elle poursuivre dans cette voie ?

Vers une internationale saint-simoniste ?

A l’image de l’Arménie d’Armen Sarkissian, il semble que de plus en plus de pays fassent du saint-simonisme leur boussole pour l’avenir. En 1819, Henri de Saint-Simon publie sa célèbre « parabole », dans laquelle l’économiste et philosophe français compare la perte, fictive, de toutes les personnalités de la noblesse et de l’appareil d’État avec celle, autrement plus dommageable pour Saint-Simon, de tous les intellectuels, techniciens, ingénieurs et artisans du pays – une évocation avant l’heure de la fameuse « fuite des cerveaux ». Deux cents ans plus tard, force est de constater que cette parabole n’a rien perdu de son acuité : le Royaume-Uni de Margaret Thatcher était dirigé par une chimiste, l’Allemagne d’Angela Merkel par une physicienne et l’Arménie jusqu’à récemment par un ancien chercheur en mathématiques – qui, à en croire la rumeur, aurait d’ailleurs rencontré Merkel alors qu’elle serait venue assister à ses conférences lorsqu’il enseignait en ex-Allemagne de l’Est.

Dans le monde, nulle région ne semble plus emblématique de cet avantage comparatif des cerveaux sur les ressources que la Californie. Berceau de la Silicon Valley, l’État pèse pour près de 15% du PIB américain – ce qui en ferait, s’il était indépendant, la cinquième puissance économique mondiale. Première richesse de la Californie, l’innovation se déploie dans ses centres de recherches, ses universités prestigieuses (Stanford, Berkeley, Caltech) et ses pôles technologiques de pointe. Autant d’atouts qui lui permettent de déposer un brevet américain sur quatre et de s’imposer, devant la Rust Belt, comme le premier pourvoyeur d’emplois industriels aux États-Unis. Avec Hollywood et sa riche production cinématographique et musicale, la Californie s’est, enfin, taillée une réputation mondiale dans l’industrie culturelle. De quoi donner des idées et des ambitions à bien des pays dans le monde.

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