Par Guillaume Tissier, associé Avisa Partners
Avec la crise sanitaire et le conflit ukrainien qui mettent en lumière nos multiples dépendances, la souveraineté se cuisine à toutes les sauces, notamment en matière industrielle.
On ne peut que se féliciter de cette prise de conscience, dont on regrette juste qu’elle n’intervienne que maintenant après 30 ans de désindustrialisation massive, particulièrement en France, dont le PIB industriel est l’un des plus bas d’Europe (12,4% contre 20,3% en Allemagne), juste devant celui de la Grande-Bretagne (8,7 %), ce qui n’est pas particulièrement rassurant.
Pour être utile, cette prise de conscience doit cependant faire fi des querelles conceptuelles et clichés simplistes : être souverain économiquement ne signifie pas fermer les frontières et relocaliser toutes les productions sur nos territoires. Cela signifie maîtriser ses dépendances et relocaliser la production de certains produits clés ou intrants considérés comme stratégiques dans des chaînes de valeurs qui resteront en large part mondialisées. Souveraineté économique ne rime donc ni avec démondialisation, ni avec décroissance.
Cette prise de conscience doit également se traduire en actions au risque de rester dans l’incantation. Elle doit enfin et surtout conduire à faire des arbitrages difficiles mais indispensables, compte tenu de l’urgence de la situation, de nos capacités limitées, de la taille de notre marché intérieur et de la fragmentation du marché européen qui n’est unique que sur le papier.
Des arbitrages en matière énergétique. Après 20 ans d’atermoiements et de désinvestissement, nous n’avons d’autre choix que de réinvestir dans le nucléaire si nous voulons préserver la compétitivité de nos entreprises. Et peut-être sacrifier certaines mesures écolo-démagos, comme l’abandon du véhicule thermique en 2035, sur l’autel du pragmatisme. Thierry Breton vient d’ailleurs d’insister pour adopter une clause de revoyure permettant de repousser si besoin était cette échéance. Aussi nécessaire soit-elle, la transition énergétique doit être préparée et s’accompagner de mesures transitoires. On se souviendra à cet égard que la pénurie de moutarde subie par le consommateur français en 2022 a d’abord pour origine l’interdiction brutale de l’épandage d’insecticides sur les graines de moutardes en 2019, laquelle a conduit à une brutale chute de la production française et, par ricochet, à une dépendance forte à l’agriculture canadienne, qui a subi coup sur coup deux années difficiles en raison d’aléas climatiques, et à la production ukrainienne, brutalement stoppée, et pour cause, depuis février 2022.
Des arbitrages, également, en termes de politique industrielle pour concentrer les efforts sur quelques priorités clés et éviter le traditionnel saupoudrage de la manne publique. Avec 30 milliards d’euros consacrés à l’industrie, le plan France 2030, a, selon le bilan présenté le 19 octobre 2022 en Conseil des Ministres par Elisabeth Borne, déjà contribué au financement de 810 projets portés par 1 260 bénéficiaires pour 7,5 milliards € engagés. Mais le nombre de priorités suivies et notre relative incapacité à stopper rapidement les projets ne présentant pas suffisamment de résultats concrets pourraient limiter l’impact final de ce plan ambitieux. Une bonne nouvelle toutefois : pour éviter le dirigisme des plans passés, celui-ci a adopté une approche plus « bottom-up » et donné une priorité aux PME (45% de PME bénéficiaires contre 7% pour les grandes entreprises depuis le lancement du plan en octobre 2021).
Des arbitrages, enfin, en matière d’implantations industrielles. Difficile, en effet, de concilier l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols et le développement de nouvelles implantations. Même si un dispositif de labellisation « clés en mains » pour les sites industriels a été mis en place, même si les délais d’implantation théoriques ont déjà été réduits avec la Loi ASAP de décembre 2020, la réalité est que le délai réel pour obtenir une autorisation d’implantation d’un site industriel ou logistique serait de l’ordre de 17 mois selon le rapport remis par Laurent Guillot au Gouvernement en mars 2022. Seraient notamment en cause la durée de réalisation des études environnementales et les délais induits par le risque de contentieux.
Quoique nécessaires, tous ces arbitrages ne seront cependant d’aucune utilité si l’on ne revalorise pas rapidement l’industrie dans le cœur des Français. La France n’a pas désindustrialisé durant les 3 dernières décennies que pour des raisons économiques. C’est aussi parce qu’elle n’aimait plus son industrie, considérée comme rétrograde, polluante et bien sûr incompatible socialement avec l’objectif de 80% d’une classe d’âge au bac lancé en 85 par Jean-Pierre Chevènement. A l’heure de l’usine 4.0, il nous faut donc réconcilier les start-up et le monde industriel, revaloriser l’image de l’industrie dans l’imaginaire collectif et accorder à la formation des nouvelles compétences industrielles l’importance stratégique qu’elle mérite.
Guillaume Tissier
Associé Avisa Partners
Avisa Partners organise le 16 novembre 2022 à la Maison de la Chimie (Paris 7è) le Forum Resiliens consacré aux enjeux de résilience stratégique et de souveraineté économique