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Stéphane Bern : « Notre patrimoine représente 500 000 emplois »


Stéphane Bern, à la tête de la « Mission Patrimoine », prouve qu’au-delà de l’intérêt culturel, c’est tout un pan de l’économie de la France qui est en train de renaître, en créant des entreprises et des emplois.

Entreprendre - Stéphane Bern : « Notre patrimoine représente 500 000 emplois »

Sur 44 000 monuments recensés à ce jour sur notre territoire, 9 000 sont dégradés, et plus de 3 000 menacés de péril. C’est tout le combat de Stéphane Bern, qui, à la tête de la « Mission Patrimoine », prouve chaque jour qu’au-delà de l’intérêt culturel, c’est tout un pan de l’économie de la France qui est en train de renaître, en créant des entreprises et des emplois. Entretien exclusif.

Vous expliquez que le patrimoine est une passion française. Elle avait peut-être juste besoin d’être réveillée cette passion pour que les Français se mobilisent aussi financièrement ?

Stéphane Bern : Oui, parce que le plus important à comprendre aujourd’hui, c’est le rôle économique essentiel que joue notre patrimoine pour notre pays. Il représente aujourd’hui pas moins de 500 000 emplois en France, crée du lien entre les générations, lutte contre la désertification de nos campagnes, dynamise toute l’économie des territoires ruraux. Les entreprises industrielles dans nos campagnes sont menacées par des délocalisations, donc ce sont autant d’emplois qui sont en danger. Je reviens justement de la Sarthe où c’est une imprimerie qui va être délocalisée en Hongrie. La grande force de notre patrimoine, c’est qu’il n’est pas délocalisable ! En sauvant notre patrimoine, on sauve par la même occasion des milliers d’emplois partout en France, y compris dans nos villages.

Car le patrimoine français est très justement réparti, à 50% dans les villes et à 50% dans les campagnes. De plus, notre patrimoine est un conservateur des métiers d’Art (ébénistes, marbriers, vitriers, graveurs…), de nos talents et de nos savoir-faire artisanaux, c’est une filière d’excellence pour nos jeunes au travers de l’apprentissage (+51% d’apprentis au travers de la mission patrimoine cette année), ce sont aussi des chantiers écoles qui se créent un peu partout. J’ai d’ailleurs fait récemment une réunion avec les ministres Muriel Pénicaud et Jean-Michel Blanquer sur cette question.

Sans parler de la nouvelle économie et du vivier de start-ups qui gravitent autour du patrimoine ?

S.B. : Vous avez entièrement raison ! Je reviens d’ailleurs du lancement, le week-end dernier, d’un hackathon sur le thème du e-patrimoine au Château de Vaux dans le village de la Loupe (28), organisé à l’occasion des 5 ans de l’école et du campus européen Wild Code School, dédiés aux métiers des nouvelles technologies. C’est un défi lancé aux élèves et jeunes geeks pour qu’ils inventent de nouvelles applications sur la thématique « Développer un outil pour promouvoir le patrimoine en région Centre-Val de Loire ».

Par ailleurs, je travaille beaucoup avec la start-up Patrivia, avec laquelle on vient de lancer en octobre, avec la Fondation du patrimoine, le « pass patrimoine » qui permet pour 79 € de visiter près de 400 lieux du patrimoine français, et on va lancer le pass famille en 2020. Et puis, toute cette communauté de start-ups de la nouvelle économie est très demandeuse d’espaces collaboratifs de coworking dans ces lieux chargés d’histoire. C’est encore une autre manière de créer du lien, de faire vivre et revivre notre patrimoine, en participant à l’incubation et à l’essor de ces start-ups qui seront les PME et les licornes de demain.

Les particuliers peuvent participer à cette sauvegarde en jouant au Loto du Patrimoine et en participant à la campagne de financement participatif sur le site de la mission. Et les entreprises, comment peuvent- elles concrètement vous aider ?

S.B. : Je vous donne un exemple : En juin dernier, Jacques de Peretti, le président d’Axa France, a dévoilé un partenariat de trois ans, avec la Fondation du patrimoine, pour contribuer à la sauvegarde de 15 sites en danger identifiés par notre Mission. Rien que pour cette année, l’entreprise a débloqué 1,5 million d’euros pour restaurer 5 monuments que 3500 collaborateurs et agents généraux d’Axa ont choisi eux-mêmes. C’est notamment le cas du Manoir de Courboyer, abritant la Maison du Parc naturel régional du Perche, à Perche-en-Nocé dans l’Orne (61). Je crois que toutes les grandes entreprises françaises qui ont un véritable maillage territorial, cohérent avec le maillage de notre patrimoine, devraient s’inspirer de ce modèle. Je pense à la SNCF bien sûr, mais aussi à Vinci Autoroutes, à Enedis et bien d’autres.

Sans parler des PME et des ETI ?

S.B. : Oui, je mise aussi beaucoup sur toutes les ETI et PME françaises qui sont très souvent des entreprises familiales, existant depuis plusieurs générations, implantées en régions, et qui sont très attachées aux valeurs de transmission. Je discutais dernièrement avec Philippe d’Ornano, le président du groupe Sisley, qui me disait que si l’on déplafonnait le mécénat des PME et des ETI, elles donneraient davantage pour le patrimoine. Il y a vraiment des passerelles à faire entre nos sites patrimoniaux et nos entreprises régionales.

C’est très positif que des entreprises adoptent ou parrainent un monument, emblème de leur région, au plus près de leurs salariés. Je l’ai toujours dit : le lieu crée du lien ! Et il ne faut pas voir cela comme un coût, mais plutôt comme un investissement. Notre patrimoine, nos monuments, c’est un peu comme une copropriété dont nous sommes tous dépositaires. Et comme dans une copropriété, votre bien se dégrade si vous ne faites pas les travaux. Protéger notre bien commun, ce n’est pas du luxe, c’est une nécessité économique !

Etes-vous fier du succès du Loto du Patrimoine dont le lancement n’a pourtant pas été de tout repos ?

S.B. : Oui, c’est un formidable succès ! Et oui, je suis fier que les Français se réapproprient ce combat utile pour tous, qui est devenu un levier économique dans les territoires ruraux. Comme vous pouvez l’imaginer, cette Mission Patrimoine n’a pas été une promenade de santé, mais la cause valait tous les sacrifices. Car ce combat pour le patrimoine a donné un vrai sens à ma vie. Celui de la transmission d’un héritage commun, celui qui rassemble et réconcilie les Français. Grâce à cette opération, 3 500 sites ont déjà été signalés partout en France, 390 projets ont été sélectionnés depuis 2018, 120 sites sont déjà en travaux et 50 millions d’euros ont déjà été récoltés. Et ce n’est qu’un début, car la Mission continue son travail aux côtés de la Fondation du patrimoine.

Vous parlez même de notre Patrimoine comme de « l’industrie du XXIe siècle ». Expliquez-nous.

S.B. : Oui, j’en suis convaincu. D’une part, parce que c’est un des secteurs de l’économie les plus rentables. D’autre part, parce que c’est une industrie écologique, non polluante, qui protège notre environnement et crée des écrins de verdure. Le problème, c’est qu’aujourd’hui personne ne veut assumer que la France se trouve désormais à la 7e position industrielle mondiale. Si l’on assumait cette forme de désindustrialisation, on comprendrait qu’on peut beaucoup gagner en misant sur une nouvelle filière verte non polluante implantée au cœur de nos régions, qui est celle du Patrimoine. Je suis convaincu que notre passé va devenir notre avenir. Notre patrimoine, c’est la chance de la France, y compris sur le plan économique, c’est notre trésor, notre pétrole ! Les pierres enrichissent les hommes, les traces de notre histoire créent de l’économie, des emplois, du profit, de la valeur ajoutée, mais aussi du lien social et du bien-être.n

Propos recueillis par Valérie Loctin

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