J’ai reçu au cours du mois d’octobre près d’une trentaine de business plans de start-ups désireuses de lever des fonds. Certaines déjà accomplies, d’autres embryonnaires, et toutes convaincues que le développement de leur entreprise passait par un appel aux capitaux exterieurs.
“Lever des fonds”, c’est devenu dans l’inconscient collectif de notre écosystème, le passage obligé une fois qu’on a créé sa start-up. Or, même s’il demeure un formidable catalyseur, ce passage est loin d’être obligé, et comporte certaines limites.
Cet article peut sembler surprenant, étant donné qu’avec mes associés chez Ametix, nous investissons régulièrement dans des entreprises innovantes en direct, ou via des structures dédiées (L’Express Ventures …), mais le point que je veux faire ici, est qu’avant de lever, il y a quelques sujets à méditer :
Est-ce le bon moment ?
Combien lever ?
Qui faire entrer au capital ?
Est-ce que les intérêts sont réellement alignés ?
Est-ce que lever est gage de réussite ?
Le bon moment pour lever des fonds ?
Il y a des start-ups qui lèvent sur un power point. Ces levées sont peu nombreuses et reposent pour la plupart sur le track record des dirigeants; On peut citer l’exemple de Marc Simoncini, qui après de nombreux succès (dont l’IPO de Meetic), a levé aisément pour Sensee, une start-up qui souhaite disrupter le secteur de l’optique, ou celui de Marc Ménasé, qui après la jolie revente de Nextedia à Lagardère Active, a levé sur MenInvest, qui se positionne sur tout ce qui touche à l’homme sur Internet.
Si vous n’êtes pas de ceux-ci, je vous déconseille fortement de lever à ce stade, car même si vous arrivez à séduire, les investisseurs seront d’autant plus gourmands que le projet est jeune et risqué, et même si cela parait excitant d’avoir beaucoup de fonds sans avoir fait grand chose, les nouveaux actionnaires seraient en droit de demander une part significative du capital pour leur apport (30-40% du capital) et cela pourrait s’avérer problématique lors du prochain tour de table, car les futurs investisseurs ne souhaiteront peut-être pas investir sur des chefs d’entreprise qui perdent le contrôle d’une société encore jeune.
Le bon moment pour lever, c’est le moment ou vous n’avez pas besoin de lever.
Ca sonne bizarre, mais si vous avez besoin de l’investisseur, plus que le contraire, vous vous trouvez en position de vulnérabilité et cela aura des répercutions certaines sur la valorisation de votre entreprise, ou pis encore, sur le pacte d’actionnaires. Nous avons aidé une jeune start-up a lever plusieurs centaines de milliers d’euros il y à quelques mois.
A l’issue de la levée, le fondateur, m’a remercié et m’a dit qu’il avait une bonne et une mauvaise nouvelle: la bonne c’était que la valorisation proposée avait été acceptée, la mauvaise était que le fonds lui avait inséré dans le pacte une clause stipulant que chaque année en fonction des performances de l’entreprise par rapport au business plan annoncé, il risquait de perdre (ou de gagner le cas échéant) des parts supplémentaires de son entreprise.
Pourquoi ne pas s’autofinancer, en tout cas dans un premier temps ? Vous arriverez ensuite beaucoup plus fort en montrant votre capacité à générer du chiffre d’affaires, sans compter sur qui que ce soit. On se souvient qu’Airbnb s’était autofinancé au démarrage en vendant des paquets de céréales à l’éffigie de Barack Obama et de John McCain.
En faisant des ventes, même si ce n’est pas sur votre activité principale, vous démontrez votre capacité à “faire du business”, et cela est rassurant pour un investisseur; Lorsque nous sommes entrés dans Short Edition, une start-up incroyable qui fait de la big data dans la littérature, nous avons été bluffés par leur capacité à vendre des missions de brand content à des grands comptes. Ce n’était pas leur business premier, mais cela financait les couts de structure dans les premiers mois, et c’était d’autant plus louable.
Il y aussi le chemin des crédits à taux 0, sur l’honneur, ou encore les subventions publiques, comme le fait beaucoup ces temps-ci la BPI. Courir les subventions, est extrêmement chronophrage, mais il n’y a aucune contrepartie et les montants sont parfois importants.
Est-ce que lever est obligatoire dans la vie de l’entreprise en croissance ? Absolument pas. Chez Ametix, nous sommes dans les métiers de services (assistance technique, recrutement, événements IT), et nous n’avons jamais fait appel à des investisseurs depuis la création il y a quelques années. Nous sommes approchés régulièrement à ce sujet, mais la croissance du groupe finance aujourd’hui les risques que nous prenons, et c’est un excellent compromis.
In fine, les investisseurs, aiment prendre un train qui est déjà parti (et qui va vite de préférence), plutôt qu’un train qui va peut être partir un jour. En cela, il faut comprendre que le meilleur moment pour lever, et lorsque l’on a réalisé un P.O.C. (proof of concept), et que même à toute petite échelle, le business tourne. Cela dit, c’est toujours intéressant d’être au contact d’investisseurs, sans pour autant chercher à lever. Etre identifié en amont est le meilleur moyen pour être approché au bon moment.
A noter, qu’il n’y a qu’une seule opportunité de présenter son dossier à un investisseur. J’entends par là qu’une fois que l’entrepreneur essuie un refus, il est compliqué de revenir voir le même investisseur un mois après avec le même projet, à moins que celui-ci ait connu un bouleversement en termes de traction.
Combien lever ?
Quand on me demande combien il faut lever, c’est plutôt mauvais signe. Faire un tour de table signifie allouer de nouvelles ressources vers des leviers d’accélération clairement identifiés. Si on ne sait pas combien lever, ça veut dire qu’on ne sait pas à quoi vont servir les fonds, et on tombe dans le travers que l’on énonçait en préambule.
Lever, c’est céder une part de son entreprise, de son aventure, un bout de sa vie (professionnelle), et chaque euro levé, c’est un peu de contrôle en moins, et des comptes à rendre en plus. C’est un formidable levier pour aller plus vite, mais cela doit s’inscrire dans une stratégie précise car cela change la done pour la start-up; même si le nouvel entrant est minoritaire.
Parfois, on vient nous voir en nous disant “J’ai besoin de 500 000 Euros dont 400 000 pour Google”. A cela, je réponds généralement qu’il y a peut-être d’autres manières de communiquer. Google Adwords est un super outil, mais il comporte ses limites. Par exemple si vous montez un site de rencontres, vous allez sans doute miser sur l’occurrence “rencontre Paris”. Le simple clic risque de coûter 10 à 20 Euros, et le budget sera englouti en quelques semaines sans pour autant avoir la certitude de se constituer une masse critique pouvant faire fonctionner ce type de site. Il y a d’autres méthodes de faire de l’aquisition de traffic, moins onéreuses.
Prenez le buzz marketing, par exemple, ou “marketing du pauvre” comme l’appellent certains. Les campagnes lorsqu’elles sont savamment orchestrées, peuvent fournir des résultats surprenants. Je me souviens des campagnes pour FaisMesDevoirs, Mailorama, ou plus récemment CombienJeMerite.com.
Sur cette dernière opération, nous avons reçu chez Ametix des dizaines de milliers de visiteurs, sur la base d’une bonne idée, d’un simple communiqué de presse et d’un site wordpress créé en 1 heure par notre community manager. Lever pour donner à Google n’est pas une stratégie. Ce qui est attendu d’un entrepreneur, c’est l’exécution, et avoir une bonne idée et compter sur Google pour faire le reste ne démontre pas une capacité à bien exécuter.
Pour en revenir au montant de la levée, je dirais qu’il faut anticiper et à choisir, lever plutôt plus que moins. C’est toujours délicat de retourner voir les investisseurs au bout de quelques mois pour demander une rallonge ou un “bridge” jusqu’au prochain tour.
En ce qui concerne la valorisation, il y a des milliers d’articles, d’études et de livres parus sur le sujet, mais lorsqu’il s’agit d’évaluer une start-up en early-stage, c’est souvent une négociation, une séduction, et la promesse de gains futurs alléchants.
Qui faire entrer au capital ?
C’est terriblement tentant d’accepter des chèques de tous ceux qui sont prêts à les faire, mais est-ce judicieux ?
Lors du premier tour, on peut généralement compter sur les 4F (Founders, Family, Friends and Fools), quelques fonds qui ont un véhicule spécialisé pour l’amorçage (ID Invest, Elaia Partners, Partech …), et des Business Angels, qui sont nombreux.
Je suis partisan des Business Angels pro-actifs, qui en plus du “ticket” contribueront au développement de l’entreprise en partageant une expertise, une crédibilité, ainsi qu’un carnet d’adresses.
Par exemple, pour un même ticket, quelqu’un comme Olivier Mathiot ou Jean-David Blanc peut s’avérer nettement plus pertinent qu’une trentaine de “business angels”, issus d’associations éponymes. On trouve dans ces cercles des jeunes retraités qui n’ont jamais été entrepreneurs, et pour qui la start-up est une superbe danseuse dont ils peuvent se prévaloir auprès de leurs amis. A l’exception près de deux ou trois, comme Investessor, piloté par le brillant Alain Ilhe, ce n’est pas toujours le meilleur choix/
De plus, avec la première catégorie, celle des mavericks, c’est tellement plus rapide. Je me souviens d’un café ou je présentais des start-ups à Oleg Tscheltzoff il y a quelques temps. Celui-ci fît une offre en quelques secondes à l’une d’entre elles, et le virement fût effectué sous 48 heures. Ca ne l’empêche pas d’avoir un niveau d’exigeance très élevé, mais quelqu’un comme Oleg veut aller vite car il n’a pas de temps à perdre, et fait davantage confiance aux entrepreneurs qu’aux business plans.
Certains investisseurs demanderont (à juste titre) un siège d’administrateur. C’est important d’avoir un Conseil d’Administration, tant qu’il est restreint (5 personnes maximum). Ce conseil, permet de faire un point, généralement mensuel, qui conforte ou non la stratégie implémentée par les dirigeants. Il est important de se renseigner sur les administrateurs qui rejoindront votre board. Certains investisseurs de la place de Paris sont réputés pour être de véritables tyrans qui sont nuisibles à l’entrepreneur, tandis que d’autres, davantage bienveillants peuvent s’avérer être les meilleurs “alliés” de ce dernier.
Souvent ce sont ces alliés, qui poussent l’entrepreneur à pivoter vers un autre business model quand celui-ci est en difficulté. Les pivots de stratégie ont permis à des entreprises comme AirBnB, Criteo ou encore Leetchi de se retourner et de performer en s’éloignant de l’idée qu’ils avaient pitcher initialement lors du tour de table.
Est-ce que les intêrêts sont alignés ?
L’entrepreneur, lorsqu’il monte et développe sa start-up peut avoir de manière légitime, différentes vélléités quant à celle-ci: la revendre à plus ou moins long terme, la développer et plus tard la transmettre à ses enfants…
Il faut savoir qu’un investisseur, qu’il soit un fonds ou un business angel, n’a généralement qu’un objectif : revendre sa participation en faisant un multiple important sur le montant investi. Cela signifie que peu d’investisseurs ont vocation à rester 15 ans dans l’entreprise. Une feuille de route est établie au départ, et ensuite un compte à rebours implicite commence. Parfois même, certaines participations doivent être cédées pour que le fonds auquel elle appartient puisse liquider le fonds et faire remonter les plus values à ses actionnaires.
Il faut comprendre que c’est un bout de chemin à partager. C’est juste un peu plus humain, que d’avoir un crédit à rembourser sur 5 ans, et surtout moins risqué pour les entrepreneurs.
Une fois que l’entreprise est un succès, il peut être également intéressant de faire entrer des fonds pour se développer mais aussi pour s’accomplir à titre personnel. C’est fréquent, que l’entrepreneur fasse un cash-out lors de l’arrivée d’investisseurs.
Est-ce que cela est gage de réussite ?
Certainement pas. Lever des fonds, c’est extra-ordinaire pour le déploiement d’une stratégie, pour les RP, et pour la maman de l’entrepreneur qui lit le journal et voit son fils dedans. C’est excellent pour l’égo, mais ça ne gage en rien de la réussite de l’entreprise. Et pour preuve, dans les meilleurs fonds de venture Français, 50% des participations déposent le bilan dans les 5 ans (d’où l’importance aussi de faire des multiples importants sur les succès en parallèle).
On lit souvent (parfois même sur ce site), que telle ou telle entreprise a levé 2, 5 , 50 millions d’euros … mais ça n’est que des vanity metrics tant que l’entreprise n’a pas créé de la valeur, avec un chiffre d’affaires sonnant et trébuchant.
La levée de fonds est une étape dans la vie de certaines start-ups, qui témoigne de la confiance d’investisseurs, ce qui est une bonne chose. Cela sanctionne aussi l’entreprise auprès des tiers puisqu’une valorisation est établie.
On se souvient de Boo.com au début des années 2000 qui avait levé des centaines de millions de dollars, et avait fermé ses portes quelques jours après avoir ouvert. Plus récemment, les Groupon, MySpace, ou autres, ont fermé après avoir levé des centaines de millions de dollars.
Est-ce que l’échec brise les liens avec l’investisseur ? Pas nécessairement. Ca peut paraitre étrange, mais si l’entrepreneur a montré sa capacité à développer un business, et que l’échec nait d’un retournement du marché, d’une mésentente entre associés ou autre, cela n’aboutit pas sur un divorce avec celui qui a fait initialement confiance à l’entrepreneur. Perdre, fait parti des risques que prend l’investisseur. L’idée est que les pertes soient compensées par les gains des autres participations.
Lever permet certainement “d’accélérer sa croissance” comme on peut lire ça et là, mais ce n’est pas une fin en soi. Lors de ma première aventure en 2007, je me suis perdu dans les levées de fonds, et cela a failli me couter très cher. C’est un processus qui prend du temps, beaucoup de temps, et mobilise beaucoup d’énergie pour les entrepreneurs.
Pour synthéthiser, il faut comprendre pourquoi on lève, quand on lève, et ne pas suivre le troupeau en cherchant à lever pour estimer que son entreprise est un succès. Si il faut lever, nous avons en France une incroyable génération de net-entrepreneurs accomplis qui prennent des risques en investissant dans des start-ups, car d’autres l’ont fait pour eux auparavant. Grâce à eux, faire une levée en amorçage (seed money) en tout cas, est devenu relativement facile. Et c’est ainsi que nait un cercle vertueux ou le capital circule, permettant de soutenir les entrepreneurs dans leur quête de réussite.
A PROPOS DE L’AUTEUR
Stéphane Boukris est un chef d’entreprise et investisseur dans le secteur du numérique.
Il est l’un des co-fondateurs du groupe Ametix (12 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015) qui accompagne les organisations et les hommes dans leur transformation digitale.
Il est lauréat de la BFM Académie en 2008, lauréat des Favoris de la meilleure innovation en 2010 (FEVAD). Ametix a remporté deux fois la médaille d’or des Big Boss du E-commerce en 2014 et 2015.