Comment devient-on une grande cheffe ?
Stéphanie Le Quellec : Il s’agit plutôt d’une passion effectivement encouragée par la famille. Nous avions la culture de la table à la maison, pas de cantine, vingt personnes à Noël, ma mère et ma grand-mère cuisinaient très bien. J’étais plutôt dans la gourmandise, le lien social, j’avais un goût pour la cuisine. Je n’ai découvert que plus tard ce qu’est vraiment la gastronomie. Vers 14 ans, j’ai annoncé à mes parents que je ne voulais pas passer un bac général, mais entamer un cursus en école hôtelière. Ils m’ont fait confiance.
À ce moment-là, mon ambition était d’en faire mon métier, j’espérais pouvoir ouvrir mon propre restaurant autour de bons petits plats français dans un style bistronomique. Ce n’est que vers 18 ans que j’ai découvert lors de mon stage au George V ce qu’était la haute gastronomie avec ses valeurs de rigueur et d’excellence.
La télévision est-elle le facteur d’accélérateur inséparable de votre succès ?
Stéphanie Le Quellec : Inséparable, je ne sais pas, je pense que j’y serai parvenue, mais sur une durée bien plus longue. Lorsque j’ai reçu la proposition de participer à la saison 2 de Top Chef, j’ai hésité, j’ai demandé conseil à Philippe Jourdin qui m’a dit d’y aller, que cela me ferait gagner dix ans sur ma carrière. Il est vrai que la visibilité est tellement forte que si ce que vous êtes et ce que vous faites plaît, cela peut aller loin. Après avoir gagné ce concours, j’ai entendu d’autres jeunes vouloir surfer sur la vague télé.
Néanmoins, nous ne sommes pas des surfeurs, nous sommes des cuisiniers ! La télé n’est pas notre métier, bien qu’il s’agisse d’une formidable mise en lumière de notre artisanat et de notre savoir-faire. En sortant de Top Chef, j’ai eu des propositions rémunératrices, mais il faut savoir ce que l’on veut faire de sa vie. J’ai travaillé deux fois plus dur jusqu’à décrocher les étoiles. Top Chef appartient à mon CV, c’est une ligne parmi d’autres.
Les femmes étoilées au Michelin ne sont pas si nombreuses. On connaît Anne-Sophie Pic, même si elle a succédé à son père à Vienne. Comment l’expliquez-vous ?
Stéphanie Le Quellec : En pratique, les métiers de la haute gastronomie deviennent un peu plus souples, même s’il y a deux éléments essentiels pour les femmes qui veulent exercer ce métier. D’abord, il faut avoir confiance en soi, travailler très dur et ne rien lâcher pour aller au bout de ses envies et convictions. D’autre part, les jeunes femmes sont très présentes dans le secteur de l’hospitalité, à la fois dans les écoles hôtelières, mais aussi aux postes de sous-chef dans les équipes, mais beaucoup moins au-delà. La raison en est le manque de compatibilité avec la vie de famille. La naissance du premier bébé crée souvent un arrêt pour la suite. Mon mari et moi nous occupons tous deux de nos enfants et de la maison, il est indispensable que le conjoint (ou la conjointe) accepte le travail en soirée et le week-end. Il n’y a pas d’autre choix que de faire des sacrifices et s’organiser.
J’essaie de faire attention à cela pour mes équipes, lorsqu’une femme est enceinte, je suis à l’écoute pour aménager convenablement les plannings afin que tout le monde s’y retrouve. Le secteur de la cuisine gastronomique doit faire bouger les lignes. Tout est question d’équilibre, j’ai moi-même toujours été sur le fil pour conduire vie personnelle et vie professionnelle. En revanche, je ne choisirai jamais de recruter une femme par rapport à son genre, tout est toujours question de valeurs et compétences, professionnellement et humainement.
En 2019, vous ouvrez votre propre restaurant La Scène, cela a-t-il représenté une grande différence par rapport à avant ?
Stéphanie Le Quellec : Nous avons travaillé dur pour être à la hauteur de ces étoiles Michelin. En intégrant l’hôtel Prince de Galles, j’avais signé pour créer le concept du restaurant, en désacralisant un peu l’idée de palace, avec une cuisine ouverte par exemple. Lorsque j’ai ouvert mon restaurant en 2019, j’ai poussé plus loin cette identité en renforçant le côté intime. Il est plus simple de fixer ses propres limites lorsque l’on est chez soi, l’approche est plus personnelle. Un palace est un lieu merveilleux, prestigieux, c’est aussi un hôtel. Chez moi, nous sommes 100 % restaurant, sans avoir à respecter les codes inhérents au palace.
Vous faites preuve d’un vrai dynamisme d’entrepreneure. Deux boutiques « Mam » avec le chef pâtissier Pierre Chirac, l’ouverture de « Vive, Maison Mer » avec votre mari David Le Quellec et maintenant « Kitchen » dans l’hôtel « Madame rêve ».
Stéphanie Le Quellec : Depuis quatre ans, avec mon mari, je me suis lancée dans une aventure entrepreneuriale. J’ai découvert un second métier, être chef d’entreprise me plait beaucoup, je trouve très excitant d’essayer de construire pour la famille, les enfants, les collaborateurs. Je me suis aperçue que l’adrénaline liée à la surcharge de travail me permettait de construire un nouvel univers, je me suis prise au jeu. Le mot boulimique me convient, je ressens une sorte de faim insatiable à travailler, grandir, rencontrer des personnes. Même culinairement parlant, je ne suis jamais aussi productive que lorsque je suis noyée de travail. Il arrive qu’en attaquant la semaine, j’ignore si je parviendrai à tout réussir, mais faire plusieurs choses en même temps est possible. Pour « Kitchen », l’aventure prend une autre forme, je signe la carte, je prête mon nom, j’ai mis les équipes en place dans un format différent au sein de l’hôtel Madame Rêve.
D’où vient l’idée de votre offre Noël anti-inflation ?
Stéphanie Le Quellec : Je m’intéresse au monde dans lequel nous vivons, il m’a paru important comme cheffe médiatisée de m’adresser à une clientèle très large. Notre palette de prix est étendue, de 1,90€ pour le produit le moins cher chez Mam, à 350€ pour un menu du restaurant. Vu la situation économique, j’ai eu envie d’élaborer une offre haut de gamme qui ne soit pas inaccessible, à 49 euros, avec de beaux produits sourcés, des équipes étoilées en cuisine, de beaux emballages pour profiter en mettant les pieds sous la table. C’est évidemment une somme, mais faire des courses pour un dîner de fêtes coûte cher également. J’apprécie avoir mes quatre maisons à Paris, dans un mouchoir de poche, car je peux y aller quand je veux, mais cette offre sera offerte sur la France entière grâce à un partenariat avec Chronofresh*. (*NDLR : Offre à 49 euros livrable du 18 au 31 décembre).
De quoi êtes-vous le plus fière ?
Stéphanie Le Quellec : Dans les quatre maisons travaillent 70 collaborateurs fidèles, motivés. Il s’agit de l’une de mes plus grandes fiertés, cela me motive et me stimule chaque matin. Grâce à tous, nos clients sont également fidèles même si, depuis ma première ouverture, la conjoncture est compliquée, Covid, Ukraine, inflation… Pour entreprendre, il faut beaucoup de foi, heureusement je n’en suis pas dénuée. Il vaut mieux aussi être optimiste, dynamique et pugnace !
Propos recueillis par Anne Florin