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Tancrède Neveu (Alliance Forêts Bois) : « Nous ne pouvons pas laisser nos forêts mourir sans rien faire »


Au cœur de l’actualité, l’avenir des forêts françaises inquiète et divise. Et pour cause, face au changement climatique, le poumon vert de l’Hexagone se voit menacé : incendies et mégafeux, tempêtes, maladies, mortalité… Nombreux sont les défis à relever pour les forestiers. Dans le même temps, l’ensemble de la filière...

Tancrède Neveu, responsable au service Forêt Carbone de la coopérative forestière Alliance Forêts Bois.

Au cœur de l’actualité, l’avenir des forêts françaises inquiète et divise. Et pour cause, face au changement climatique, le poumon vert de l’Hexagone se voit menacé : incendies et mégafeux, tempêtes, maladies, mortalité… Nombreux sont les défis à relever pour les forestiers. Dans le même temps, l’ensemble de la filière forêt-bois doit concilier résilience des forêts, préservation de l’environnement et objectifs de neutralité carbone. Pour faire la lumière sur tous ces enjeux, la rédaction d’Entreprendre donne la parole  à ces professionnels à l’occasion de deux interviews. Rencontre avec Tancrède Neveu, responsable au service Forêt Carbone de la coopérative forestière Alliance Forêts Bois.


De récents articles déclarent que la capacité de stockage de CO2 des écosystèmes forestiers a été divisée par deux en dix ans. Comment expliquer ce phénomène ?

C’est vrai et c’est inquiétant. Le puits de carbone forestier sur lequel nous comptions tant pour atténuer les effets du changement climatique est lui-même victime de ce changement climatique. Nous constatons un ralentissement de la croissance des arbres, tandis que leur
dépérissement et leur mortalité s’accélèrent. Donc oui, il y a moins d’entrées et plus de sorties dans le puits de carbone. Ces sorties sont principalement dues à la mortalité des arbres et à l’exploitation des bois sinistrés et non pas à l’augmentation des prélèvements dans les peuplements en bonne santé.

N’oublions pas qu’en récoltant et en valorisant une grosse partie des bois victimes des sinistres (tempêtes, scolytes, incendies), la filière forestière permet aussi de prolonger le stockage du carbone à travers les différents usages de ces bois (construction, emballage, papier…). Il est intéressant de noter que dans le dernier rapport du CITEPA (sur la capacité de stockage en carbone des forêts), seules les forêts de Nouvelle Aquitaine présentent encore un bilan de stockage en progression, alors qu’elles ont été victimes durant les deux dernières décennies de deux violentes tempêtes. La Nouvelle Aquitaine est aussi la région où la récolte de bois et le reboisement sont les plus dynamiques. Pourtant dans cette région, le puits de carbone continue de se remplir. Alors, pour rendre à nos forêts leur capacité de stockage, faudrait-il, comme certains le prônent, les laisser en libre évolution en stoppant les exploitations et les reboisements ? Je ne le crois pas.


La récolte de bois est parfois présentée comme une des raisons pour lesquelles le puits de carbone forestier est en baisse. Pourtant, l’exploitation et l’utilisation du bois font partie des solutions pour la neutralité carbone. Faut-il arrêter les récoltes de bois pour favoriser la résilience des forêts et préserver leur capacité d’absorption carbone ?

Cette question est fondamentale, mais lorsque le message est simplifié, à savoir « exploitation forestière = moins de carbone » nous empruntons un dangereux raccourci. Lorsqu’une forêt est défrichée pour être remplacée par de l’urbanisme ou de l’agriculture, il y a en effet une fuite de carbone colossale et une disparition du puits. Ce n’est heureusement pas le cas des forêts françaises. Car nos forêts continuent de s’étendre en surface et la récolte de bois est moins importante que l’accroissement biologique nos forêts (même si celui-ci tend à diminuer à cause du changement climatique). En d’autres termes, nous ne coupons pas plus de bois, que les forêts sont capables d’en produire.

Lorsque le bois sort de la forêt, le carbone ne s’échappe pas directement dans l’atmosphère. Il reste stocké plus ou moins longtemps dans les produits bois : certes très peu de temps pour le bois-énergie, mais plusieurs centaines d’années pour le bois de construction. Or, l’objectif de tout forestier est avant tout de produire du bois d’œuvre.

De plus, il est important de rappeler que c’est en récoltant du bois (éclaircies, balivage, cloisonnement…) que le forestier accompagne et stimule la croissance de la forêt. Autrement dit, une forêt qui n’est pas gérée est une forêt qui captera de moins en moins de carbone, voire qui en relâchera.

Si nous réfléchissons en termes de stock carbone, il faut aussi penser à la sécurisation de ce stock. Comme nous l’avons vu, le carbone est à la fois stocké dans la forêt et dans les produits bois. Ainsi, maximiser le stock carbone présent dans la forêt en l’exploitant le moins possible, au détriment du carbone stocké dans des matériaux bois, peut présenter de sérieux risques, d’autant plus dans le contexte du changement climatique. Un trop gros volume de carbone stocké en forêt, peut être très vite relâché dans l’atmosphère suite à un incendie ou à une tempête. Il faut trouver le bon équilibre dans la répartition de ces stocks, massif par massif. Enfin, l’utilisation du matériau bois est une manière de décarboner un certain nombre de nos activités, en utilisant une ressource renouvelable à la place de ressources plus énergivores ou totalement émissives (énergies fossiles). C’est le principe de la substitution.

Est-il possible de concilier projets forestiers et impact positif pour l’environnement ?

C’est surtout indispensable. Le travail du forestier consiste avant tout à composer avec les dynamiques de la nature : le sol, la végétation, la faune, le climat, la topographie… Donc l’environnement. La biodiversité sera une alliée essentielle pour l’adaptation des forêts au changement climatique. Les territoires forestiers sont très divers : certains ont des sols plus riches et une biodiversité abondante, d’autres ont des sols très ingrats et une biodiversité très spécifique. La métrique de la biodiversité est d’ailleurs difficile à définir. C’est pourquoi il n’est pas sensé de comparer la forêt landaise avec d’autres forêts à l’apparence plus diversifiée. La forêt landaise a un humus très acide, un sol sableux avec des terrains très humides et parfois à l’inverse très secs. Le pin maritime est adapté à ces spécificités. Le massif landais a donc une biodiversité particulière, mais dans lequel le pin maritime est un pilier essentiel.

La biodiversité n’est pas un état immuable, ni dans l’espace, ni dans le temps. Au contraire, elle est extrêmement mouvante. Si vous ajoutez à cela le changement climatique, la biodiversité d’aujourd’hui ne sera assurément pas celle de demain. Dans vingt ans, rien ne sera pareil, nos paysages forestiers vont beaucoup évoluer, qu’on le veuille ou non. Il faut beaucoup de modestie face à cela.

Les forestiers, pointés du doigt par l’exploitation forestière et la coupe de bois, n’ont-ils pas justement un rôle crucial à jouer ?

Pendant très longtemps, le métier de forestier était bien considéré. Depuis quelques années, une ambiance délétère s’est installée, laissant aux forestiers un important sentiment d’incompréhension, parfois même d’injustice. Pourtant, le rôle des forestiers est absolument crucial. Face aux différentes crises, dont la crise climatique, beaucoup de personnes semblent être dans une situation de renoncement. Selon elles, il faudrait tout arrêter car « tout ce que fait l’Homme est forcément mal ». Lutter contre ce type d’argument n’est pas facile, c’est une question de société. Il faut notamment que nos politiques montrent l’exemple et redonnent l’envie de « faire société ». Qu’on le veuille ou non, nous ne pourrons pas tout arrêter sous prétexte que nous avons « cassé la planète ». Ce serait une très mauvaise solution. Surtout, nous ne pouvons pas laisser nos forêts mourir sans rien faire.

Je pense notamment à l’objectif des 1 milliard d’arbres d’ici dix ans, qui a été un sujet souvent récupéré et critiqué. Pourtant, 1 milliard d’arbres en dix ans, c’est 100 millions d’arbres par an. En France, aujourd’hui, de manière usuelle, nous plantons déjà 70 millions d’arbres. Pour atteindre cet objectif, il suffit d’augmenter la capacité de plantation de toute la filière de 40 %. Il n’y a vraiment pas matière à polémiquer. Évidemment qu’il faut planter plus d’arbres : ici, pour installer des systèmes agroforestiers et des haies, là pour verdir et climatiser nos villes, et bien sûr dans nos forêts, pour remplacer les arbres sinistrés et pour les préparer au changement climatique…

Le changement climatique est brutal et le rôle des forestiers est d’accompagner et d’aider les forêts à s’adapter à ce changement trop rapide. Parmi les méthodes d’adaptation de nos forêts, la plantation de nouvelles provenances et de nouvelles essences sera essentielle.

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