Alors que le projet de taxe GAFA a été rejeté au niveau européen, la France est contrainte de faire cavalier seul sur ce dossier, ce qui suscite l’ire de Washington qui a jugé qu’une taxation des géants du numérique sur la base de leur chiffre d’affaires était « discriminatoire ». Selon Cyril Maucour, associé chez Bignon Lebray, si cette taxe GAFA sera au final « quasi indolore pour les GAFAM, elle le sera sans doute moins pour les entreprises françaises déjà soumises à l’impôt sur les sociétés ».
La taxe sur les grandes entreprises du numérique pourrait être soumise au Parlement avant l’été. Quelles sont les contours de ce projet de loi adopté en Conseil des ministres ?
Après plusieurs mois d’évocation et l’échec des discussions pour une mise en place au niveau européen, la France a décidé de faire cavalier seul et de mettre en place au 1er janvier 2019 un dispositif permettant de taxer une partie du chiffre d’affaires réalisés par les géants du numérique réalisant un chiffre d’affaires annuel mondial de plus de 750 millions d’euros, et de plus de 25 millions d’euros en France.
La taxe sera appliquée sur la part du chiffre d’affaires mondial du groupe correspondant à la proportion française des utilisateurs des services dématérialisés, dont l’applicabilité serait effective, devrait « atteindre rapidement les 500 millions d’euros » de recettes fiscales pour la France, selon Bruno Le Maire.
Quelles entreprises sont ciblées par cette taxe ?
Cette nouvelle taxe vise à soumettre à l’impôt français les très grandes entreprises du secteur numérique (Google-Alphabet, Apple, Facebook, Amazon…), qui, jusqu’à présent, sont très peu imposées à l’impôt sur les sociétés en France, compte tenu des règles actuelles de fiscalité internationale.
L’idée nouvelle est de taxer ces entreprises sur leur chiffre d’affaires « rattachable à la France », qu’il soit réalisé en France ou à l’étranger. Le critère de rattachement est ici basé sur la localisation physique des internautes utilisateurs. Au sens de cette taxe, un service est considéré comme fourni en France s’il repose sur l’activité numérique d’internautes localisés en France.
Selon le projet de loi, les redevables seront les entreprises encaissant un chiffre d’affaires sur les activités numériques taxables d’au moins 750 millions dans le monde et d’au moins 25 millions en France, ces seuils étant appréciés au niveau du groupe d’entreprises liées. Les activités numériques taxables sont au nombre de trois : plateforme de mise en relation entre internautes, publicité ciblée en ligne, et vente de données collectées en ligne à des fins publicitaires.
Existe-il des spécificités d’application suivant le secteur d’intervention, la taille ou le chiffre d’affaires ?
A ce stade, il n’existe pas de spécificités d’application en fonction du secteur d’intervention mais bien en fonction de la nature de la prestation fournie par l’entreprise dès lors qu’elle franchit les deux seuils précités. Pour chacune des trois activités taxables, le projet de loi précise comment doit se comprendre le terme de « chiffre d’affaires rattachable à la France ».
Ainsi, un service de publicité sera considéré comme fourni en France lorsqu’un message publicitaire est affiché auprès d’un internaute localisé en France, quelles que soient la localisation de l’acheteur et du vendeur du service de publicité.
Un service de vente de données d’utilisateurs sera considéré comme fourni en France si ces données ont été générées ou collectées à partir de l’activité d’un internaute localisé en France.
Enfin, s’agissant des services d’intermédiation, une distinction est apportée : soit la plateforme permet de réaliser des transactions entre utilisateurs et le service sera considéré comme fourni en France si une des transactions réalisées implique un utilisateur localisé en France (acheteur ou vendeur), soit la plateforme ne le permet pas et le service sera considéré comme fourni en France dès qu’un internaute dispose d’un compte actif ouvert depuis la France auprès de ce service.
A part les GAFA, les entreprises françaises sont-elles impactées ?
Le projet de loi ne prévoit pas d’exonération pour les entreprises françaises. Une telle différence de traitement serait d’ailleurs discriminatoire et contraire au droit de l’Union européenne.
De fait, compte tenu des seuils de chiffres d’affaires, un certain nombre de sociétés françaises devraient être impactées. Elles seront donc pénalisées au titre de leur activité, la taxe GAFA venant s’ajouter à l’impôt sur les sociétés. La taxe payée par ces sociétés françaises constituera une charge déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
Ainsi, pour ces sociétés, la mise en œuvre de la taxe peut sembler injuste compte tenu de l’intention initiale du législateur qui était de taxer les multinationales qui échappaient à cet impôt. De plus, cela va à l’encontre de la baisse progressive de la fiscalité des entreprises promise par Emmanuel Macron jusqu’en 2022. Notons d’ailleurs à ce titre que, dans ce même projet de loi, figure un cavalier législatif visant à décaler d’un an la baisse annoncée du taux de l’IS pour certaines entreprises !
Pourra-t-on mesurer l’impact fiscal d’une telle mesure ?
Le gouvernement annonce 400 millions d’euros de recettes fiscales en 2019. Cela paraît faible en comparaison du budget de l’Etat et surtout au regard des bénéfices des GAFAM et de leur imposition située 14 points en dessous de celui des PME Françaises, selon le ministre des Finances.
Côté entreprises, si cette taxe sera quasi indolore pour les GAFAM, elle le sera sans doute moins pour les entreprises françaises déjà soumises à l’IS français sur l’ensemble de leurs résultats réalisés en France !
Pourra-t-on à terme uniformiser cette loi au niveau européen ?
L’uniformisation européenne a déjà échoué après d’âpres négociations entre les ministres des finances des différents Etats membres. Il est peu probable que le sujet puisse être relancé à ce niveau, même si c’est encore la volonté affichée par le gouvernement français lorsqu’il communique sur l’aspect provisoire de la taxe GAFA française.
En revanche, au niveau de l’OCDE, un projet de réforme des règles de territorialité de la fiscalité internationale pour ce type d’entreprises est relancé suite à la publication par l’OCDE du document de consultation publique intitulé « Relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie ». Une consultation publique aura lieu sur ce sujet les 13 et 14 mars 2019, à Paris, lors de la réunion du Groupe de réflexion sur l’économie numérique. Si les pistes envisagées par l’OCDE devaient aboutir, cela constituerait un bouleversement total d’un des principes de la fiscalité internationale, en vertu duquel le rattachement se fait au regard de la présence physique des activités et non au regard de la localisation du marché.
Les Etats Unis sont aujourd’hui demandeurs de cette remise à plat des règles de territorialité de la fiscalité internationale. Mais ils souhaitent eux aussi prendre une part de ce gâteau qui leur échappe, tant par le comportement de leurs champions nationaux que par celui des groupes étrangers. Le chemin du changement voulu par l’OCDE est encore long et incertain, puisqu’il ne sera pas tracé en fonction des seuls intérêts européens de lutte contre l’évasion fiscale numérique, mais en fonction des intérêts, souvent divergents, de l’ensemble des membres de l’OCDE…
Existe-il une jurisprudence en la matière ?
S’agissant d’une taxe inédite jusqu’alors, de par son principe original de territorialité basée sur la localisation des internautes, il n’existe aucune jurisprudence comparable.