Alors que se profile une guerre commerciale au long cours avec les États-Unis, les autorités de Beijing regrettent une « provocation » qui va à rebours des discours de coopération prononcés ces derniers mois.
Beijing n’a pas tardé à réagir à l’annonce du projet français visant à taxer plus lourdement les vêtements dits de « fast fashion ». La proposition de loi, portée par la députée Anne-Cécile Violland et soutenue par le gouvernement, prévoit d’imposer un malus environnemental pouvant aller jusqu’à 10 euros par article, soit une hausse de près de 50 % du prix pour certains vêtements à bas coût. Si l’initiative vise officiellement à lutter contre les dérives environnementales et sociales du modèle de consommation rapide de la mode, elle suscite l’ire des autorités chinoises.
Dans un contexte de tensions commerciales mondiales accrues, la Chine dénonce un « protectionnisme déguisé » de la part de Paris. Le Global Times, média d’État chinois, s’est fait l’écho du mécontentement des industriels et des autorités. « Cette proposition de loi aura un impact direct sur les exportations de textile chinois vers la France et l’Union européenne », prévient Xu Yingxin, vice-président de la China National Textile and Apparel Council (CNTAC), dans les colonnes du quotidien. Beijing redoute de voir ce type de mesures faire tache d’huile dans d’autres pays européens, sur fond de durcissement global des régulations commerciales.
Le sujet est d’autant plus sensible que la Chine reste le premier fournisseur textile de la France et de l’Union européenne. En 2023, les importations françaises de vêtements et accessoires en provenance de Chine ont représenté plus de 30 % du total, selon les douanes françaises. Un alourdissement des taxes pourrait affecter un secteur qui emploie des millions de personnes en Chine, particulièrement dans les provinces côtières comme le Guangdong ou le Zhejiang.
Signe de l’importance du dossier, le ministère chinois du Commerce a officiellement exprimé sa « vive préoccupation » et appelé la France à respecter les principes du libre-échange. Dans une déclaration relayée par l’agence Xinhua, le ministère souligne que la Chine « espère voir la France respecter l’esprit de coopération prôné dans le partenariat stratégique global sino-français » et demande à Paris de « créer un environnement commercial équitable et non discriminatoire ».
Au-delà de l’aspect économique, les autorités chinoises s’agacent du timing de cette initiative, alors même que Paris et Beijing multiplient les échanges diplomatiques. Le président Emmanuel Macron avait insisté lors de sa visite en Chine en avril 2023 sur la nécessité de renforcer le dialogue économique. De leur côté, les dirigeants chinois avaient salué la France comme un partenaire stable au sein de l’Union européenne. « Cette mesure apparaît comme une provocation gratuite », déplore un diplomate chinois cité par l’agence Chine Nouvelle.
De nombreux analystes chinois redoutent également un effet boule de neige. Selon une note du China Daily, certains parlementaires allemands et néerlandais suivraient avec attention les débats en France et pourraient s’en inspirer pour durcir leurs propres législations sur la mode jetable. Si une telle dynamique devait se concrétiser, c’est l’ensemble du modèle exportateur chinois qui en serait fragilisé.
Les milieux d’affaires chinois plaident donc pour une désescalade. Lors d’un récent forum organisé à Shanghai par le CNTAC, plusieurs grands groupes du textile ont appelé à privilégier la concertation. « Nous comprenons les préoccupations environnementales légitimes, mais elles ne doivent pas se traduire par des barrières déguisées », a souligné Lin Yunfeng, président de la China Textile Commerce Association. Beijing espère encore peser sur les discussions parlementaires avant l’adoption définitive de la loi prévue courant 2025.
En France, le gouvernement assume pour l’instant pleinement le projet. Dans l’entourage du ministre de la Transition écologique, on défend « une mesure indispensable pour responsabiliser l’offre et la demande », rappelant que l’industrie textile est l’une des plus polluantes au monde. Reste que le dossier est désormais éminemment politique et symbolique, à l’heure où la Chine et l’Union européenne cherchent à préserver tant bien que mal leurs relations économiques face aux remous géopolitiques et à la pression américaine.