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Thierry Gillier, fondateur de Zadig & Voltaire : « On ne sait jamais à quel moment une marque devient une marque »


Né en 1959, Thierry Gillier se décrit comme un « entrepreneur artistique ». Le fondateur et président de la marque Zadig & Voltaire  a développé cette entreprise made in France au-delà-des frontières, à travers la distribution d’un réseau exclusif, prestigieux et stratégique. Cet artiste discret et raffiné nous expose comment il a réussi à appréhender différemment le marché du textile. 

Entreprendre - Thierry Gillier, fondateur de Zadig & Voltaire : « On ne sait jamais à quel moment une marque devient une marque »

Né en 1959, Thierry Gillier se décrit comme un « entrepreneur artistique ». Le fondateur et président de la marque Zadig & Voltaire  a développé cette entreprise made in France au-delà-des frontières, à travers la distribution d’un réseau exclusif, prestigieux et stratégique. Cet artiste discret et raffiné nous expose comment il a réussi à appréhender différemment le marché du textile. 

Quelle fut l’influence de votre enfance sur votre parcours ?

Je suis né dans une famille d’industriel à Troyes, berceau de la maille. La ville exportait à travers le monde entier. Mes deux grands-parents avaient des usines, j’ai baigné dans l’univers du textile depuis mon plus jeune âge.  Ma mère, qui était modéliste-styliste, travaillait pour mon grand-père.

Je suis en quelque sorte un enfant du terreau de l’industrie textile française. J’ai ensuite poursuivi mes études à Paris avant de partir pour New York étudier l’art à la Parsons The New School for Design et au Bard College, où j’ai  appris beaucoup de choses.

Que représente l’art pour vous ?

Je suis un esthète et un passionné d’art. J’ai toujours été attiré par l’art sans pouvoir expliquer cette attirance. J’aime dessiner et j’éprouve une sensibilité particulière à la peinture et à la sculpture. J’ai été très inspiré par les musées et l’impressionnisme abstrait américains, Picasso fut également une de mes sources d’inspiration.

Aujourd’hui, je suis ancrée dans l’expression contemporaine, le passé étant conservé dans les musées. Je travaille avec de nombreux artistes américains et quelques artistes français, comme la plasticienne Tatiana Trouvé. Etrangement, la France a loupé le coche. Les Italiens et les Allemands ont été excellents, les Allemands également.

Après mes études, j’ai repris l’usine familiale avec mon frère alors que la société était en dépôt de bilan. J’y ai appris mon métier en reprenant une machine que nous devions relancer et refaire fonctionner. Nous nous sommes tournés vers les créateurs en vogue de l’époque – Thierry Mugler, Yves Saint-Laurent – et nous avons fabriqué pour tous les marques emblématiques du moment. J’ai rapidement pris conscience que ce n’était pas ce qui m’intéressait et je me suis tourné vers la création et le retail.

Qu’est-ce qui vous attire dans l’univers du retail ?

J’ai toujours été attiré par ce secteur avec les méthodes de distribution américaines pour source d’inspiration. Les grands retailers de l’époque étaient américains (Gap). Nous étions alors dans un contexte où la mondialisation n’était pas encore d’actualité : elle est née beaucoup plus tardivement que ces marques de retail.

En 1997, vous fondez votre propre marque Zadig & Voltaire. Quelle est votre ambition à l’époque ?

Cette marque est un hommage au roman philosophique Zadig ou la Destinée de Voltaire. Je ne souhaitais pas agir en mon nom propre, je devais donc inventer une idée. Cet ouvrage insuffle une certaine philosophie de la vie et témoigne de l’expérience de Zadig dont la vie ne passe pas comme prévu. La marque est née de l’alchimie entre l’art, la culture et les modèles de distribution de l’époque, elle fut inspirée par tout ce que j’avais appris et ressenti.

Vous sentez-vous l’âme d’un artiste ?

J’aurais pu être artiste mais la création pure m’intéressait moins que la création inscrite dans un modèle industriel. Je me considère comme un entrepreneur artistique.

Qu’est-ce qui vous anime lorsque vous créez ?

J’ai conçu quelques modèles en décidant désormais ne plus faire que ce qui m’intéressait en occultant tout ce que je jugeais dénué de sens. La création de Zadig & Voltaire est l’expression d’une volonté de travailler avec plaisir dans un environnement dans lequel je puisse évoluer sans avoir de contraintes, ou plus exactement, dans lequel je ne sois assujetti qu’à mes propres contraintes. Nous allions sur le terrain, nous nous engagions sur une voix sans nous interdire de couper la branche concernée lorsque celle-ci ne semblait plus opportune.

Comment faire grandir une marque ?

Une marque ne s’explique pas, elle est le cheminement d’une personne et d’une personnalité dans ce qu’elle ressent et voit. Zadig & Voltaire est la projection de ce que j’ai créé. J’incarne Zadig & Voltaire ou je la fais incarner par d’autres dans une sorte de prolongement identitaire. Evoluant dans l’industrie, ce travail nécessite de nombreuses ressources pour aboutir. À l’image de Zadig, il s’agit du parcours d’une vie faite de rencontres.

Comment avez-vous sélectionné les gens qui participent à cette aventure ?

Je m’entoure de personnes qui m’intéressent, certaines travaillent à mes côtés depuis toujours. J’intègre ma vie à l’intérieur de Zadig & Voltaire. Zadig & Voltaire atteste d’une véritable différence au regard des autres marques, car nous incarnons un style. J’ai façonné l’identité de la marque à travers une signature stylistique « casual rock » singulière qui incarne le « easy luxury » à la française.

Une marque a quelque chose de très aventureux : on ne sait jamais à quel moment une marque devient une marque. C’est particulièrement vrai dans le secteur de la mode où toutes les marques que l’on voit sont pour la plupart reprises par des financiers et transformées. Lorsqu’une marque est engendrée complètement, il en va tout autrement, elle va prendre des formes et s’inscrire dans un mouvement quotidien, se développer et parfois devenir une vraie marque.

Comment imaginez-vous l’avenir de la marque ?

 

Initialement partis de rien, nous avons réussi à ce que la marque prenne forme, existe et s’installe en nous adossant aux fondamentaux. Nous nous appuyons aujourd’hui sur des choses que j’ai créées aux prémices : des tricotages, des points, etc. J’ai conduit au départ un travail de recherche sur les matières, sur les fils, cette démarche nous a permis de nous affranchir du simple prêt-à-porter.

Ce cheminement en amont explique certainement la rencontre avec des clients qui ont façonné la marque avec nous. Je pense qu’une marque enracinée dans des fondamentaux, dont le rayonnement est aujourd’hui mondial, ne peut qu’évoluer dans le temps et s’inscrire dans une dynamique de croissance forte.

Qu’est-ce qui a changé depuis la création de la marque il y a 20 ans ?

 

J’ai évolué. A ses débuts, la création avait quelque chose de comparable au travail d’un laboratoire qui ignore s’il réussira à sortir la bonne formule. La création est un savant mélange qui allie des composantes multiples, dont l’architecture. Les premières boutiques Zadig & Voltaire avaient fait l’objet d’un calcul précis afin que les personnes puissent toucher les cachemires de la main, se servir par elles-mêmes et cheminer à travers les points de ventes.

Il s’agissait de cachemires très stylisés ayant fait l’objet d’un travail minutieux de recherche sur la forme et le tricotage afin de sorti des standards. J’ai particulièrement apprécié le démarrage de ce côté self-service dans les boutiques.

Le concept était novateur pour l’époque. L’idée consistait à démocratiser le cachemire et à trouver des poils permettant de le rendre abordable tout en conservant sa dimension singulière et précieuse.

Comment définir votre métier ? Styliste ? Artiste ?

C’est un métier très artistique. Nous faisons appel à la culture et nous intégrons l’histoire et le patrimoine passé à travers nos créations. Notre métier requiert également une importante technicité (tissu, maille, cuir, accessoire…). C’est donc toute une mise en scène qu’il faut arriver à organiser.

Comment s’organise votre quotidien ?

Mon travail est désormais celui d’un chef d’orchestre, je décide des orientations à prendre, d’aller sur tel terrain, sur telle voie, mais avec des talents derrière moi pour accompagner et soutenir le mouvement d’ensemble. Je dois avoir le recul nécessaire pour avoir des idées et trouver l’inspiration. Je suis boulimique, je travaille sur des projets multiples afin de ne pas m’ennuyer sur un projet unique. Ma philosophie de vie consiste à être tenu en haleine par des nouveaux projets.

L’entrepreneuriat coule dans mes veines. Je souhaite aller toujours plus loin, créer des choses nouvelles, parfois recréer à l’intérieur d’un périmètre existant ou repenser un modèle sur lequel on travaille depuis une vingtaine d’années. C’est précisément la démarche que nous conduisons actuellement en menant une véritable transformation des points de ventes, du style et finalement de tout l’existant.

Notre métier suppose une constante remise en question afin de toujours être à la pointe. Mon emploi du temps est jalonné de rencontres, de réunions stratégiques… Je travaille sur le prochain défilé, je réfléchis au choix de l’égérie de la prochaine saison, je me balade dans le studio où je regarde tout ce qui sort chaque jour pour ne rien perdre. C’est absolument passionnant.

Avez-vous réalisé le rêve de votre vie ?

J’ai réalisé quelque chose qui me tenait à cœur et qui me fascinait. Cependant, je pense que l’on n’a jamais terminé, notre métier est en perpétuel mouvement. Il n’est pas concevable de se reposer sur quelque chose que l’on a fait 10 ans en arrière sous peine de vieillir au sens propre du terme. La remise en perspective est permanente pour se renouveler et continuer d’exister.

Quelle est votre philosophie de vie ?

Je me sens assez proche de la philosophie de Zadig, ce héros idéaliste apprend en se confrontant à l’épreuve de la vie. Il est essentiel de relativiser ce que l’on est et ce que l’on vit. A la fin du conte, Zadig n’a plus besoin que d’un rayon de soleil, d’un peu d’eau et d’un morceau de pain.

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